L'annonce des résultats des appels d'offres devait se tenir aujourd'hui, elle a finalement eu lieu hier, suite aux manifestations du week-end. L'ouverture des plis financiers au siège du Conseil du développement et de la reconstruction (CDR) a révélé les noms des sociétés qualifiées, et particulièrement celles dont l'offre financière était la plus avantageuse. Dès après la conférence de presse du ministre de l'Environnement Mohammad Machnouk, qui a fait suite à la réunion de la commission ministérielle chargée du dossier, les critiques ont fusé de toutes parts, notamment sur deux points : les prix jugés très élevés proposés par les compagnies et ce qui semble être un « partage des parts politique », même si les principaux intéressés s'en défendent.
La réaction la plus significative était celle du président du Parlement Nabih Berry. Celui-ci a déclaré en soirée que « l'appel d'offres devrait être remis en question en raison des prix très élevés, susceptibles de grever le budget de l'État, ou alors il devrait être annulé totalement ». À noter que le ministre des Finances, Ali Hassan Khalil, du bloc de Berry, faisait partie de la commission ministérielle qui a procédé hier à l'ouverture des plis. Selon notre correspondante Hoda Chédid, il devrait aujourd'hui transmettre la position de son bloc, hostile aux résultats des appels d'offres, au Conseil des ministres, durant la session extraordinaire à laquelle a appelé le Premier ministre Tammam Salam. Une autre réaction a été exprimée par un ministre du bloc du Changement et de la Réforme, le ministre de l'Éducation Élias Bou Saab, qui a affirmé « ne pouvoir approuver un appel d'offres qui va aggraver le taux de gaspillage ». Quel est le sort du débat qui devrait avoir lieu aujourd'hui en Conseil des ministres ?
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Le flou sur les futures décharges
Même si, théoriquement, les résultats des appels d'offres doivent être entérinés par le Conseil des ministres, pratiquement, les noms des sociétés qui ont remporté les régions, et le prix par tonne qu'elles proposent, sont désormais connus :
– Pour Beyrouth, le consortium libano-italien Batco, Lavajet (Antoine Azhour) et Daneco, avec un prix proposé de 168,63 dollars par tonne (aucune autre société qualifiée).
– Pour le Metn, Kesrouan et Jbeil, le consortium libano-français Butec (Nizar Younès), Indevco (Nehmat Frem) et Pizzorno, avec 171,6 dollars (contre le consortium libano-bulgare Araco (Jihad el-Arab) et Soriko, pour 178,59 dollars).
– Pour Baabda, Aley et le Chouf, le consortium libano-espagnol South for Construction (Riad el-Assaad) et Hera, pour un prix de 153 dollars (aucune autre société qualifiée).
– Pour le Nord et le Akkar, le même consortium libano-italien qu'à Beyrouth, Batco-Lavajet-Daneco, pour un prix de 189,3 dollars contre le consortium libano-bugare Jihad for Commerce and Contracting (JCC, Jihad el-Arab) et Soriko, pour 199,68 dollars.
– Pour le Sud et Nabatiyé, le consortium libano-koweïtien Ward (Chérif Wehbé) et NCC, pour 151,86 dollars contre les consortiums libano-bulgare JCC et Soriko, pour 205,07 dollars, et libano-italien Danache (Mohammad Hassan Danache), Lavajet et Daneco pour 193,72 dollars.
– Pour la Békaa et Baalbeck-Hermel, le consortium libano-bulgare JCC, Hammoud Entrepreneurs (Kassem Hammoud) et Soriko, pour un prix de 148,95 dollars contre les consortiums libano-koweïtien Ward et NCC, pour 172,15 dollars, et libano-italien Khoury Contracting (Dany Khoury), Lavajet et Daneco, pour 215 dollars.
Le ministre est pourtant resté flou sur le principal problème qui peut entraver le travail des entrepreneurs : les sites de décharges. « Nous en discuterons demain (aujourd'hui) en Conseil des ministres, a-t-il répondu, en réponse à une question. Les entrepreneurs ont proposé des sites, certains ont même déjà obtenu l'aval de certaines municipalités. Mais j'éviterais de nommer les régions pressenties pour ne pas susciter des réactions de refus. »
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Une remarque a été faite au cours de la conférence de presse sur les prix élevés proposés par les entrepreneurs, même par rapport au prix payé à Sukleen (ndlr : environ 150 dollars). « Généralement, les sociétés doivent faire leur calculs à long terme, a souligné M. Machnouk. Nous avons lancé un appel d'offres pour 5 à 7 ans. Les sociétés doivent calculer leurs dépenses et la rentabilité du processus, et proposer des prix adéquats. Dans les pays plus stables, de tels appels d'offres s'étalent sur vingt ans et les prix sont plus bas, naturellement. Dans tous les cas, notre processus a été transparent de bout en bout. »
Interrogé sur d'éventuelles négociations pour une baisse des prix, M. Machnouk a souligné que le Conseil des ministres chargerait probablement le CDR de ce suivi (plus pour la surveillance de la mise en place des techniques que pour les prix, a précisé Nabil el-Jisr, président du CDR, interrogé en marge de la conférence). « Il ne faut pas perdre du temps en comparant les prix entre les régions, parce que les paramètres sont différents dans chaque cas », a précisé le ministre.
Sur les techniques adoptées par les entrepreneurs (le cahier des charges leur laissait le choix), il a précisé qu'elles sont plus ou moins similaires : le tri à la source, le tri secondaire (en usine), le compostage, le combustible issu des déchets (RDF)... « Certains ont même assuré ne pas avoir besoin d'une décharge, a-t-il ajouté. Même si ce n'est pas le cas, nous aurions réussi à leur faire diminuer le volume des déchets devant être enfoui dans une décharge. » Mais il confirme que le paiement aux sociétés sera fait directement via la Caisse des municipalités, comme précédemment.
Naamé-bis ?
Qu'adviendra-t-il d'ici à six mois, le temps que les compagnies soient prêtes à entamer leur travail ? « Toutes les forces politiques sont responsables de trouver des sites de décharges dans les régions, a lancé le ministre. Ce sera notre revendication demain (aujourd'hui) en Conseil des ministres. L'État doit prendre une décision en ce sens. Il est honteux qu'un pays de cette ampleur soit incapable de le faire. Il nous faudrait trois à quatre décharges, alors qu'on vit actuellement avec 760 dépotoirs sauvages, qui sont peut-être devenus 1 000. »
Il a été interrogé sur la possibilité d'une réouverture de la décharge de Naamé. « J'ai lancé un message (au député) Walid Joumblatt, et à d'autres leaders, afin qu'on puisse doter ce pays de décharges sanitaires bien équipées, a-t-il répondu. La décharge de Naamé aurait été exemplaire, c'est l'avis de tous les consultants qui ont visité le site, n'était-ce ce flux incroyable de déchets de toutes sortes qui y a été envoyé. Si cette décharge peut encore accueillir des déchets, et si les habitants des alentours peuvent supporter encore six mois, ils seraient en train de rendre un très grand service à l'État. Sinon il faut trouver des décharges ailleurs. »
(Pour mémoire : La forêt de Baabda sauvée des ordures)
Prié par L'Orient-Le Jour de commenter l'appel d'offres, l'entrepreneur Riyad el-Assaad, présent sur place, a estimé que « les prix sont très élevés et calculés sur mesure, s'il y avait plus de compétition, les prix auraient été plus bas ». « Ni l'État ni la population ne sortent vainqueurs de cet appel d'offres, seuls les entrepreneurs ont gagné », dit-il. Il est lui-même vainqueur de la région du Metn-Sud, mais va même jusqu'à encourager les manifestants, qui ont déjà exprimé leur colère dans la rue, à revendiquer un nouvel appel d'offres.
Dans une première lecture faite par un environnementaliste des résultats de cet appel d'offres, Ali Darwiche, président de Green Line, estime qu' « il s'agit clairement d'un partage du gâteau : la Békaa, le Nord et Beyrouth par des proches du courant du Futur, au Sud un proche du président du Parlement, au Chouf un proche de Walid Joumblatt (ndlr : Riyad el-Assaad dément) ». Il pose certains points d'interrogation sur les prix proposés par les compagnies : « Il y a des marchés conclus entre les sociétés, cela se voit. Sinon comment expliquer qu'un même entrepreneur, Jihad el-Arab, ait présenté des offres dans deux régions différentes avec 50 dollars de différence par tonne ? Est-ce qu'il voulait laisser la place dans une région, afin de remporter l'autre région? C'est le même système qui avait été instauré avec Sukleen, mais réparti sur quatre ou cinq sociétés au lieu d'une. Or si le gouvernement s'est avéré incapable de surveiller Sukleen, comment fera-t-il avec plusieurs sociétés? » Il affirme que, parallèlement à d'autres mouvements comme ceux de la campagne « Vous puez! », le Rassemblement civil pour l'environnement, dont son association fait partie, compte organiser des protestations contre les résultats de cet appel d'offres.
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commentaires (6)
Un "Nouveau-Né" ? Un "Avorton", oui !
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
15 h 44, le 25 août 2015