Les manifestants ont repris la rue hier (photo AFP).
Les photos diffusées sur les réseaux sociaux ont dévoilé hier l'identité des parties qui ont mis le centre-ville à feu dans une tentative de forcer l'enceinte du Grand Sérail. Les voyous n'ont même pas cherché à se dissimuler, scandant des slogans sectaires et arborant fièrement leurs tatouages partisans. Les organisateurs de la campagne « Vous puez ! » ont d'ailleurs nettement dénoncé les courants politiques qui ont cherché à détourner le mouvement de ses objectifs et alpaguer les revendications sociales pour semer le chaos politique et sécuritaire, au service de l'axe iranien contre le camp saoudien. Le spectacle désolant du centre-ville après le retrait du gros des manifestants a dévoilé leur nature et leurs schèmes. Comme dans le film Assaut de John Carpenter, ces hordes de vandales ont tenté d'assiéger les forces de l'ordre pour s'emparer du dernier bastion de la légalité au Liban, provoquant une réaction de la rue sunnite dans les différents coins du pays.
Les images de chaos en provenance du centre-ville ont poussé les milieux diplomatiques à intensifier leurs contacts avec le Premier ministre Tammam Salam pour qu'il ne démissionne pas, parce que son départ plongerait le Liban dans le vide total. Or c'est précisément l'agenda de certaines parties, qui souhaitent pousser à la tenue d'une Assemblée constituante. En ce sens, la revendication des manifestants en faveur du « changement du régime » profitait principalement au Hezbollah, le week-end dernier. Le président du Conseil a également reçu une vague de soutien de différentes parties locales, l'appelant à tenir bon en attendant que vienne l'heure du règlement régional. « Il n'y a plus à attendre longtemps, et la solution approche », affirme ainsi une source ministérielle, estimant que M. Salam doit « faire preuve de résilience ». L'arène libanaise est la dernière dans le monde arabe à pouvoir encore être utilisée par l'aile dure iranienne dans sa volonté de hausser les enchères en attendant le règlement global, après les camouflets successifs reçus au Yémen, en Syrie, et maintenant en Irak. Et ce même si le Hezbollah s'est gardé hier, lors de sa 17e séance de dialogue avec le courant du Futur, d'admettre sa responsabilité dans le grabuge qui a eu lieu autour du Grand Sérail, affirmant « n'avoir rien à faire » avec ce qui s'est produit...
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Il est attendu que la tentative de semer le chaos dans la rue se reproduise pour faire pression sur le 14 Mars et le gouvernement, dans le but de pousser les parties locales et régionales à modifier leurs positions sur le dossier iranien et dialoguer avec Téhéran. Ce qui s'est produit au Liban, en dépit du discours traditionnel du Hezbollah selon lequel il serait attaché à la stabilité et au gouvernement, est en fait une réponse à la fermeté de la position saoudienne hostile aux négociations avec l'Iran. La scène libanaise n'a été qu'une manière de transmettre un message selon lequel le pays du Cèdre peut à tout moment replonger dans la violence... au grand dam des citoyens mobilisés dans la rue pour une noble cause. Il existe une volonté manifeste chez le 8 Mars de modifier les règles du jeu et d'empêcher Tammam Salam de tenir une réunion ministérielle. Le sort de la réunion de ce matin ne serait pas différent des autres, d'autant que le Courant patriotique libre estime qu'il n'a pas obtenu gain de cause concernant la promotion d'officiers de la troupe au rang de généraux de brigade, ce qui constituait une issue pour maintenir le général Chamel Roukoz en selle.
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À travers sa pression dans la rue, le Hezbollah aspire aussi à assurer des gains à son allié, Michel Aoun. D'autant que la candidature du général Aoun n'est plus viable et qu'il va falloir aller vers un compromis présidentiel. Le parti chiite tente cependant de préserver au chef du CPL son rôle de grand électeur pour tenter de s'assurer lui-même un président qui ne soit pas comme Michel Sleiman, c'est-à-dire un homme de consensus, mais plutôt un homme capable de lui assurer ses intérêts et de protéger l'axe de la résistance et ses armes lors d'éventuelles négociations.
Face aux images douloureuses de dimanche, le patriarche maronite, Mgr Béchara Raï, a contacté notamment Tammam Salam pour l'appeler à tenir bon. Le patriarche a également conversé avec les différents chefs politiques chrétiens afin d'organiser des assises maronites à Bkerké la semaine prochaine avec la participation des chefs de partis, de Michel Sleiman et d'autres personnalités, pour entreprendre des démarches visant à élire un nouveau chef de l'État, dans une initiative bénie par le Vatican. Preuve supplémentaire que le Hezbollah est derrière le regain de tension dans le pays, des contacts ont été menés ces dernières 48 heures entre Washington et Téhéran pour préserver la stabilité au Liban, et le général Aoun notamment aurait été informé du message. Pour l'Occident, la stabilité et la sécurité du Liban sont une ligne rouge et il est interdit que le pays entre à son tour dans le brasier régional, en dépit des tentatives menées par Téhéran.
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Le Hezbollah n'a jamais rien à voir avec ce qui se passe sur la scène interne. C'est un parti observateur! Encore un peu on lui donnerait Allah sans confession! Sa politique sournoise ne leurre plus personne. Deux poids, deux mesures. Il est partie d'un gouvernement mais il fait tout pour le saboter. Ça a toujours été sa politique et ça n'est pas près de changer.
21 h 59, le 25 août 2015