Ce qui se passe au Proche-Orient depuis la signature de l'accord sur le nucléaire iranien est la traduction concrète d'une décision visant à considérablement réduire l'influence de l'Iran au niveau régional. C'est un observateur politique arabe bien informé qui le dit. Et qui explique que cette décision a été prise sous la direction de l'Arabie saoudite, avec la participation de la Turquie et la bénédiction des États-Unis. D'ailleurs, les derniers développements au Yémen, au Liban, en Irak et en Syrie le montrent bien.
Cet observateur évoque aussi le plan de Téhéran, maintenant que Riyad a refusé le bras tendu et que les efforts de Oman et de la Russie en ce sens ont échoué. Les conditions de l'Arabie saoudite et des pays arabes pour cela étaient claires : que l'Iran mette un terme à ses ingérences dans les affaires arabes et qu'il retire de Syrie ses hommes ainsi que ceux du Hezbollah. En un mot comme en cent, Téhéran souhaite désormais entraîner Washington à la table des négociations, comme il l'a fait pour le nucléaire, et discuter des différents dossiers politiques régionaux.
Sauf qu'en Iran, la situation n'est pas très limpide. Les progressistes, emmenés par le président Hassan Rohani, sont encerclés par les conservateurs, avec à leur tête le guide suprême. Parallèlement, le pouvoir iranien est tout autant encerclé de l'extérieur, tant au niveau régional, par les Arabes, qu'international, par les capitales occidentales en général et Washington en particulier, qui attend de Téhéran l'application stricto sensu et sans conditions de l'accord sur le nucléaire. Le pouvoir iranien, qui cherche naturellement à engranger des acquis qui renforceraient sa position tant sur le plan local qu'à l'étranger, est persuadé que Washington peut faire pression sur Riyad pour pousser les Saoudiens à changer d'avis. Et pour que l'Iran joue enfin le rôle de co-gendarme régional.
Mais l'administration Obama ne l'entend pas de cette oreille, surtout que le président américain doit encore faire valider l'accord nucléaire par le Congrès, ce qui est loin d'être une mince affaire. Les Américains attendent toujours des Iraniens qu'ils donnent des preuves de bonne volonté, notamment en Syrie, au Yémen, en Irak et même au Liban.
Dans ce contexte de grosse impasse et de marasme, la situation s'est détériorée, justement au Liban, (re)devenu boîte aux lettres privilégiée pour l'Iran, qui y envoie ses messages d'escalade via ses alliés libanais. On ne peut pas occulter les incidents qui ont accompagné la manifestation initiée par le mouvement « Vous puez ! », ainsi que la paralysie étatique et le blocage des institutions, des développements régionaux, surtout après qu'Ankara et Riyad eurent corsé leurs conditions face à Téhéran concernant la Syrie. Surtout aussi, après ce qui s'est passé en Irak, où des symboles pro-iraniens ont été accusés d'avoir permis à l'État islamique de prendre Mossoul, et où la volonté de réforme a vite ciblé des alliés irakiens de l'Iran, parrainés par l'ayatollah Sistani.
Face à tout cela, l'axe iranien ne pouvait que se rabattre sur le maillon faible, une de ses cartes fétiches : la scène libanaise. D'ailleurs, il n'en a plus d'autre, pratiquement... La manifestation à l'initiative de « Vous puez ! » a ainsi été totalement politisée. Un des hommes politiques assure qu'« affectivement et raisonnablement, nous nous plaçons du côté des manifestants », mais qu'il ne pouvait en aucun cas cautionner les actes de violence et de vandalisme des voyous qui s'étaient infiltrés dans la masse citoyenne. Surtout qu'une très grande partie des slogans (appel à la chute du régime et à celle du gouvernement, tenue d'élections, etc.) s'était totalement éloignée du dossier des déchets, pourtant raison première de la manifestation d'hier. À tel point qu'un des organisateurs de la manif s'est demandé si « c'est la démission du gouvernement qui résoudra la crise des ordures. »...
Idem pour la déclaration de Tammam Salam : elle a été totalement occultée et honnie par tous ceux dont l'agenda était purement politique, très loin de la question des déchets. À ce sujet, un des ministres confirme que M. Salam est déterminé à présenter sa démission dès jeudi si les forces politiques ne décuplent pas d'efforts et de bonne volonté pour optimiser le rendement gouvernemental.
En attendant, les observateurs s'attendent à une escalade presque quotidienne au Liban, et ce jusqu'à mi-septembre, avant la mise en application de l'accord sur le nucléaire. Ce Liban qui restera encore pour longtemps la boîte aux lettres idéale pour tous les grands joueurs...
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commentaires (5)
Dans tous les pays démocratiques du monde, il est interdit aux fauteurs de troubles de manifester dans les rues. Conformément à ce principe, en ma qualité de citoyen ordinaire, Je souhaiterais que le Ministre de l'Intérieur d'interdire toutes les manifestations non autorisées et ce, sur tout le territoire libanais. La comédie des derwiches tourneurs est terminée, la loi est la même pour tous.
Un Libanais
21 h 05, le 24 août 2015