Rechercher
Rechercher

Liban - La psychanalyse, ni ange ni démon

La rupture avec les savoirs constitués : la psychologie et la philosophie

Ce qui est renversant dans le jeu des chiffres chinois décrit la semaine dernière, c'est la simplicité de la solution. Elle est là pour qui veut la voir, mais personne ne la voit. La réponse est simplement décentrée par rapport aux allumettes. Elle n'est pas là où les joueurs regardent. Elle est ailleurs, et cet ailleurs est proche. Il est à quelques centimètres. Pourtant, personne ne le voit. Tout le monde est occupé par une autre logique, celle du sens et du raisonnement. Cette occupation est favorisée par la fascination qu'exerce la forme des allumettes. Quand ils découvrent que cela se passe ailleurs, les joueurs éprouvent un désenchantement à la mesure de la fébrilité qui a accompagné leurs recherches.
En découvrant l'inconscient et en constatant la résistance dont sa découverte fait l'objet, Freud est amené, en 1917, à une déduction : si, avec Copernic et Darwin, l'humanité a subi deux blessures narcissiques, la troisième lui sera infligée par la psychanalyse. Nous pouvons en effet constater que, dans les trois cas, il s'agit surtout d'un décentrement insupportable à l'esprit humain. Copernic démontre que la Terre n'est pas le centre de l'Univers, qu'elle est plus petite que le Soleil, qu'elle tourne autour de lui et non l'inverse. Darwin découvre que l'homme n'est pas le centre de la vie sur terre, il est en continuité phylogénétique avec le singe qui est donc l'ancêtre de l'homme. Enfin Freud découvre que la conscience n'est pas le lieu qui détermine le comportement, la pensée et le langage humains. C'est l'inconscient qui est le véritable lieu de la pensée de l'homme, ce qui va entraîner Freud à une série de ruptures avec les savoirs constitués, avant de théoriser le psychisme.

Rupture avec la psychologie et la philosophie
En constatant la primauté d'un lieu autre et décentré qui fait que « le moi n'est pas le maître en sa demeure », la psychanalyse ne peut qu'être en antipathie avec la psychologie et la philosophie qui affirment quant à elles le primat de la conscience et trouvent, comme le dit Freud, que « la notion même d'un psychisme inconscient est contradictoire ». Par la psychanalyse, la notion de « sujet pensant », propre à la philosophie, est radicalement subvertie. Cette subversion trouvera son aboutissement avec Lacan. Ce n'est plus le sujet de la conscience qui pense, mais ce sujet-là est pensé dans un autre lieu. Ce lieu est celui de l'Autre, là où le savoir inconscient est refoulé. Le sujet est défini par son rapport à ce lieu autre, et Lacan parlera de sujet divisé incompatible avec le sujet de la philosophie classique.

En faisant son retour à Freud et en énonçant que c'est le langage qui détermine l'inconscient et non l'inverse, Lacan accentue cette blessure narcissique. L'inconscient est dans les mots. Il n'est ni caché ni enfoui. « L'inconscient est sans profondeur », nous dit Lacan comme le montre bien la bande de Moebius. Cette bande ou « 8 intérieur », on peut facilement la constituer en tordant une feuille rectangulaire de façon à joindre les deux bouts tordus. Ainsi, si l'on parcourt avec le doigt la face extérieure, on aboutit sans discontinuité sur la face intérieure de la même bande. Cette topologie moebienne, cette continuité entre les deux faces extérieure et intérieure d'une même bande représente au mieux le rapport entre l'inconscient et le conscient, la « double inscription » dont parle Freud. Quand les mots des parents sont entendus par l'enfant, ils s'inscrivent des deux côtés de la bande de Moebius, dans le conscient et dans l'inconscient. Autrement dit, le même mot utilisé dans son sens usuel peut prendre une résonance toute autre s'il est pris dans le jeu des associations libres du sujet qui parle. Il acquiert alors cette « haute intensité psychique » dont parle Freud, ou son statut de « signifiant asémantique » dont parle Lacan, signifiant qui n'a pas de sens, dont la seule fonction est de représenter le sujet et non pas d'exprimer un sens particulier.

Dans le jeu des chiffres chinois, les doigts donnent une idée de la représentation de haute intensité psychique, du signifiant asémantique qui n'ont aucun rapport de sens avec les allumettes. Ils sont là à qui veut les voir. Mais justement, personne ne veut les voir. Au rythme même des joueurs fascinés par les allumettes, le patient qui vient à l'analyse prendra le temps qu'il faudra, son temps singulier et subjectif pour déplacer son regard et s'apercevoir que l'énigme qu'il essayait de résoudre, l'énigme posée par son symptôme pour lequel il a entrepris une analyse n'était ni enfouie ni cachée. Cette énigme était là, devant lui, présente à travers les mots qu'il employait pour dire sa souffrance et sa jouissance. L'analyste, qui doit être patient, doit laisser au patient l'instant de voir, le temps pour comprendre et le moment de conclure son énigme.
Ces trois « temps logiques », qui n'ont rien à voir avec le temps de la montre, sont décrits par Lacan, comme devant scander la durée de l'analyse, le temps de certaines séances, le déroulement d'une même séance ou d'une séquence de séances qui se suivent. Le temps de l'inconscient n'est pas le temps de la montre ce qui nous permet de comprendre pourquoi la psychanalyse dure longtemps.

 

Lire aussi
L'inconscient est décentré. Le jeu des chiffres chinois

L'histoire de la psychanalyse -4- L'École de Nancy et la suggestion

L'histoire de la psychanalyse - 3 - Charcot et l'hypnose

L'histoire de la psychanalyse -2- Puységur et le sommeil magnétique

L'histoire de l'analyse -1- Franz Anton Messmer

Ce qui est renversant dans le jeu des chiffres chinois décrit la semaine dernière, c'est la simplicité de la solution. Elle est là pour qui veut la voir, mais personne ne la voit. La réponse est simplement décentrée par rapport aux allumettes. Elle n'est pas là où les joueurs regardent. Elle est ailleurs, et cet ailleurs est proche. Il est à quelques centimètres. Pourtant, personne ne...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut