Rechercher
Rechercher

Liban - La psychanalyse, ni ange ni démon

L’histoire de la psychanalyse -2- Puységur et le sommeil magnétique

Armand-Marie-Jacques de Chastenet (1751-1825), marquis de Puységur, sceptique au début par rapport au magnétisme, se laissa convertir par l'un de ses trois frères qui deviennent tous des disciples de Messmer. Il se livra alors dans son château de Buzancy à des traitements individuels et collectifs. L'un de ses paysans, Victor Race, se laissa facilement magnétiser mais, au lieu de faire une crise comme les autres malades, tomba dans un étrange sommeil. Il était plus lucide et plus conscient que dans son état de veille habituel. Il parlait à haute voix et répondait aux questions qu'on lui posait. Sa perception était très aiguisée : chantant pour lui-même et de façon inaudible, Puysegur surprit Victor en train de fredonner le même air. Réveillé, Race ne gardait aucun souvenir de son état de sommeil.
Le marquis de Puységur venait de découvrir ce qui allait devenir plus tard le sommeil hypnotique. Il l'appela le sommeil magnétique, par référence à Messmer dont il est resté le fidèle disciple, non sans déclencher cependant la virulente critique de son maître, Messmer n'ayant pas réussi lui-même à provoquer des états de sommeil analogues. Comment se fait-il que la même technique des passes magnétiques pouvait produire des crises chez les patients de Messmer et des sommeils magnétiques chez ceux de Puységur se demande Ellenberger ? C'est le contexte socioculturel qui nous permet de le comprendre.
Messmer magnétisait surtout les dames du monde et il était naturel que les crises provoquées par lui ne reproduisaient que des accès de ces fameuses vapeurs qui étaient à la mode et qui n'étaient rien d'autre que les ancêtres des symptômes hystériques. Le fluide et sa circulation à l'intérieur du corps des patientes produisait les mêmes effets que ceux décrits lors des vapeurs, d'autant plus que Messmer lui-même en était l'origine et le leur transmettait. Il s'agissait en effet de ces humeurs qui partaient des parties basses du corps et envahissaient le cerveau. Aujourd'hui encore, on en a encore des traces, par exemple dans une foule chargée affectivement, comme dans des cérémonies de mariage ou lors d'obsèques ou de funérailles, il arrive que certaines femmes tombent dans les pommes et qu'on leur apporte des sels pour les réveiller
Quant à Puységur, c'était un marquis, un seigneur et sa relation à Victor Race était de type féodal, une relation de servitude. La dépendance de Victor Race vis-à-vis du marquis était toute naturelle. Le patient dans ce cas ne pouvait qu'être dans un état de passivité et de soumission préalables et le magnétisme exercé pouvait provoquer alors un abandon total et un sommeil tout à fait compréhensible. De même en est-il pour la différence entre le baquet de Messmer et l'orme de Puységur. Si Messmer réalisait ses séances magnétiques collectives autour du baquet, Puységur les faisait autour d'un arbre. L'autorité de Puységur sur ses sujets lui permettait de les rassembler autour d'un arbre magnétisé pour un traitement collectif. Ellenberger reproduit une estampe représentant l'orme, arbre plusieurs fois centenaire autour duquel on voit des patients et Victor Race, appuyé sur Puysegur, tombant dans un sommeil magnétique. Lorsqu'en 1938, l'arbre fut déraciné par une forte tempête, les paysans accoururent pour en détacher des morceaux d'écorce, attribuant à l'arbre des vertus thérapeutiques. La relation du maître à son serviteur peut aussi expliquer les particularités du traitement magnétique de Victor, fait de marchandage et de familiarité avec Puységur. Comme pour Messmer, Ellenberger remarque que Puységur fut « l'un des grands pionniers oubliés de l'histoire des sciences psychologiques ».
On doit en effet à Puységur mais aussi à son patient favori Victor Race d'avoir compris que le malade ne devait pas être l'objet d'expérimentation et de démonstration et que le magnétisme ne devait être utilisé qu'à des fins thérapeutiques. Il comprit aussi que la volonté du magnétiseur était beaucoup plus importante que les techniques utilisées. Enfin et surtout, il formula quelques hypothèses sur les maladies mentales qu'il compara à des formes de distorsion somnambulique, suggérant que le magnétisme soit utilisé dans les hôpitaux pour les guérir. Mieux, il passa six mois avec un jeune de 12 ans, atteint de fureur délirante, sans le quitter ni le jour ni la nuit, devenant ainsi le précurseur de l'antipsychiatrie anglaise avec Kingsley Hall.
On peut se demander, comme certains lecteurs le font, si préhistoire et histoire de la psychanalyse sont nécessaires pour comprendre la psychanalyse. Certainement. L'histoire de la psychanalyse est incontournable, elle permet de situer la psychanalyse dans une continuité avec les pratiques centenaires de la psychiatrie dynamique et par là la sortir de sa tour d'ivoire. En cela, la psychanalyse fait partie de cette même psychiatrie dynamique dont on a tant besoin aujourd'hui, à une époque où le psychiatre est souvent réduit à n'être qu'un prescripteur et le patient qu'un neurone.

Armand-Marie-Jacques de Chastenet (1751-1825), marquis de Puységur, sceptique au début par rapport au magnétisme, se laissa convertir par l'un de ses trois frères qui deviennent tous des disciples de Messmer. Il se livra alors dans son château de Buzancy à des traitements individuels et collectifs. L'un de ses paysans, Victor Race, se laissa facilement magnétiser mais, au lieu...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut