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Liban - La psychanalyse, ni ange ni démon

L’inconscient est décentré. Le jeu des chiffres chinois

La découverte d'une mémoire Autre, oubliée et inaccessible à la volonté, mais cependant active et déterminante de nos pensées, nos paroles et nos actes est l'événement majeur de ce que Freud apprit auprès de Charcot. Cette mémoire inconsciente que Freud va appeler Inconscient se manifeste en permanence dans notre vie psychique : dans les rêves, les fantasmes, les lapsus et les actes manqués. Elle détermine également la logique des paroles que nous énonçons. Ce que Freud a constaté lorsqu'une de ses premières patientes hystériques lui dit : « Taisez-vous et laissez-moi parler. » La première règle de l'analyse devient : « Dites ce qui vous passe par l'esprit », meilleur moyen de déjouer la censure que le sens des mots induit. Car si nous ne voyons pas les manifestations de notre inconscient, c'est parce que le sens des mots, le signifié, la signification, la logique cartésienne occupent notre attention.
Pour comprendre cela, nous allons prendre pour exemple un jeu de société appelé « Jeu des chiffres chinois ».
Ce jeu n'a rien à voir avec les chiffres ou les nombres chinois eux-mêmes, il tire son nom de son apparente complexité. On demande aux présents de s'asseoir par terre en formant un arc de cercle autour de nous. Devant eux, on dispose cinq allumettes. Il s'agit pour les joueurs de deviner le chiffre que cela peut représenter. De un à cinq. Pas plus que les doigts d'une main.

La recherche d'une logique de sens
On commence par disposer les cinq allumettes parallèlement, le bout soufré tourné vers nous. Après quelques secondes de réflexion, tout le monde trouve qu'il s'agit du chiffre cinq. On acquiesce. Le jeu paraît facile : la direction des bouts soufrés détermine la réponse.
Le coup suivant, on change le sens d'une allumette en tournant le bout rouge vers les joueurs, les quatre autres restant tournées vers le meneur de jeu. Le temps de réflexion est plus long. Quelques-uns répondent rapidement : quatre. Le raisonnement est simple : les allumettes dirigées vers le meneur du jeu déterminent la réponse. Pour les autres, c'est le chiffre trois qui est le bon. En soustrayant l'allumette dirigée vers eux des quatre autres, ils trouvent logiquement le chiffre trois. On leur répond qu'il s'agissait bien du chiffre trois. La troisième figure dispose les allumettes dans le sens inverse de la précédente : quatre sont dirigées parallèlement vers eux et l'autre vers nous. Après un long moment de réflexion, une certaine fébrilité agite les joueurs. Est-ce le regroupement des allumettes en plus grand nombre qui détermine la solution, indépendamment du fait qu'elles sont tournées vers le meneur ou vers les joueurs ? Autrement dit, les quatre allumettes dirigées vers les joueurs représentent le vecteur principal du fait de leur plus grand nombre, et celle dirigée vers le meneur doit en être retirée ? Certains annoncent de nouveau le chiffre trois. Notre acquiescement leur procure un grand soulagement. La logique qui détermine le jeu semblait claire.

Rien ne va plus...
À partir de là, les choses se compliquent.
Personne ne devinera le chiffre que représentent les cinq allumettes. Les coups se succèdent et, à plusieurs reprises, le meneur de jeu dispose les allumettes n'importe comment, et avance à sa guise des chiffres qui ne veulent plus rien dire. Le désarroi est total. Les joueurs s'agitent, bougent, se lèvent et changent de place. À ce moment-là, les yeux de l'un d'eux se mettent à briller. Il n'ose pas annoncer le bon chiffre tellement la solution est simple. Il finit par le faire. Pendant que les joueurs avaient le regard fixé sur les allumettes, fascinés par les différentes formes qu'elles prenaient, sous la pression du sens et de la pensée logique, ils ne voyaient pas qu'à trente centimètres derrière les allumettes, des doigts de la main appuyés par terre, le meneur du jeu leur indiquait le chiffre qu'ils devaient deviner.
C'est comme cela que notre inconscient fonctionne, que l'Autre nous parle, que « Je est un autre » comme le dit Rimbaud. Pour Freud, « Le moi n'est pas le maître en sa demeure ». L'inconscient n'est pas enfoui comme le pensait au départ Freud dans sa métaphore archéologique. L'inconscient est décentré. Comme dans « La Lettre volée » d'Edgar Allan Poe, l'inconscient est là à qui veut le voir. La lettre volée est là, bien en évidence, froissée et maquillée, mais quand même là, sous le regard de qui veut bien la voir. Or les policiers chargés de la récupérer fouillent l'appartement centimètre par centimètre, mais ne voient pas la lettre, englués qu'ils sont dans leur raisonnement logique, comme les joueurs dans Le jeu des chiffres chinois. Lacan utilisera « La Lettre volée » de Poe pour ouvrir ses Écrits. Le séminaire sur « La Lettre volée » permet à Lacan de montrer que le sujet de l'inconscient est excentré. Ce sujet de l'inconscient nous parle avec des mots, des signifiants dont le sens est trompeur. Le sens des mots, le signifié, si important pour communiquer avec les autres, nous éloigne de nous-mêmes, de notre vérité oubliée, inconsciente.
Face à cette découverte de l'inconscient, Freud va se mettre au travail pour comprendre comment est construit le psychisme. Progressivement, tout en écoutant dans sa pratique les formations de cet inconscient, et qu'il élabore pour cela une technique, la psychanalyse, il va élaborer une théorie de l'appareil psychique.

 

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