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Liban - Enseignement supérieur

« Anciens de l’USJ, unissez-vous !  »

Le déficit d'image de l'Université Saint-Joseph et le rôle des anciens passés à la loupe.

Salim Eddé, patron de Murex, prononçant son mot. Photos Michel Sayegh

« L'USJ ne vaut-elle pas plus que 1 % de Harvard ? » (lire ci-dessous). C'est avec cette question coup de poing de Salim Eddé, patron de la société informatique Murex, que s'est ouverte une réflexion de quelques heures, samedi dernier, sur le rôle de la fédération des anciens dans la vie de l'université, organisée à l'amphithéâtre Aboukhater, campus des sciences humaines.
En dix minutes à haut débit, Salim Eddé, conférencier d'honneur de l'événement, avait tout dit, laissant l'audience K.-O. Qu'est-ce qui fait la grandeur d'une université ? C'est « une éducation de grande qualité qui est finalement le seul bien que nous garderons tous, durant notre vie, et que nous souhaitons transmettre aux générations qui nous suivent. Cette éducation a toujours fait la force du Liban dans son environnement régional. Cette éducation à laquelle les jésuites ont tant contribué, en particulier grâce à l'USJ depuis 140 ans », a dit Salim Eddé.
« À Harvard, a-t-il poursuivi, les scolarités ne couvrent que 20 % du budget de fonctionnement de l'université. En comparaison, ces scolarités couvrent 87 % du budget de fonctionnement de l'USJ. N'est-il pas devenu plus qu'urgent que l'USJ adopte un modèle de financement comparable à celui de Harvard, et ne réunisse un fonds de 300 à 500 millions de dollars qui pourraient générer par leurs intérêts jusqu'à 20 % du budget de l'USJ, contribuant ainsi à l'arrêt de la croissance des frais universitaire, et, idéalement, à leur réduction ? »
En deux paragraphes, toute la problématique du rôle des anciens et de la valorisation de leur contribution au financement de l'université était posée.

Institutionnaliser un rayonnement
L'excellence de l'enseignement de l'USJ n'a plus besoin d'être démontrée. Des générations de juges, d'avocats, d'ingénieurs, de médecins, d'infirmières, de professeurs, de gestionnaires, de journalistes, d'écrivains, de psychologues, d'historiens, de chercheurs, d'administrateurs, d'acteurs sociaux, de prêtres et de religieuses peuvent en témoigner. On ne sort pas de l'USJ sans avoir été profondément transformé, sans avoir acquis des armes intellectuelles et morales qui vous resteront pour la vie.
Mais comment institutionnaliser ce rayonnement ? Voilà où l'USJ est à la traîne. Et voilà le coup de génie de son recteur : celui de cette réflexion qui doit permettre à l'USJ de rattraper son retard, de se hisser au rang des grands dans l'esprit de tous, de faire rêver de s'y inscrire de nouvelles générations de surdoués, et de faire contribuer à son rayonnement toutes les générations d'anciens.
Ce n'est pas difficile, ont montré Salim Eddé et d'autres. Il s'agit, pour ceux qui en ont la charge, de travailler l'image de l'université et de désapprendre que « l'argent est une chose secondaire qui, à la limite, dénature la noblesse de leur mission ».
« Les universités américaines ont tellement bien travaillé leur image qu'il est chic de contribuer à leur fonctionnement, alors que la contribution à l'USJ n'est pas valorisée », a dit le patron de Murex.
Présenté par Chucri Sader, président du Conseil d'État et de la Fédération des anciens, le colloque a reçu de lui pour mission de « réconcilier les anciens avec l'université », de « renforcer le sentiment d'appartenance, de valoriser la contribution au fonctionnement de l'USJ ». Il a permis à une quinzaine d'intervenants de dire en trois tables rondes d'une heure chacune ce qui pour eux a « fait » l'USJ et doit continuer à la faire.

Une affaire de valorisation
Comment valoriser la contribution au fonctionnement de l'USJ ? Par l'esprit de liberté et de démocratie qui transforme un savant en homme libre, a affirmé Ziyad Baroud ; par l'existence d'un « passeport USJ » intergénérationnel, a dit l'entrepreneur Robert Tarazi, président de l'association des anciens du Qatar, dont le ministre de la Culture, a-t-il précisé, est aussi un « ancien, et un parfait francophone » ; par la créativité et le sens de la famille « qui peut commencer par le souvenir du tireur embusqué et des sacs de sable à la sortie de Huvelin », a lancé Basma Neaimi, présidente du chapitre d'anciens de Montréal ; par le premier accueil et le modèle de conduite et d'éthique qui règne entre étudiants, personnel administratif et corps enseignant, a dit Antoine Hokayem, vice-recteur aux relations internationales, du gardien du parking à la secrétaire derrière son bureau, en passant par le professeur derrière sa voix et sa compétence ; par l'indépendance d'esprit que chaque nouvelle génération doit s'efforcer d'acquérir, pour discerner ce qui l'asservit, a souligné Issa Goraieb, l'éditorialiste de L'Orient-Le Jour ; par la persévérance et la politique des petits pas, secret de toute réussite, a dit Fouad Zmokhol, président du RDCL ; par la « toile » et les réseaux sociaux, a soutenu Marie Nakhleh ; par le sport et l'esprit d'équipe qui aident à passer « du je au nous », a dit Nadim Souhaid, « l'ambassadeur du sport » de l'université, défendeur du « contrat synallagmatique entre l'esprit et le corps » ; par des levées de fonds, des campagnes bien ciblées, le mécénat, le crowdfunding, ont martelé Imad Baalbeck, grand prêtre du fund raisng de l'AUB, surprenant et réaliste invité, Roger Nasnas, président du Conseil économique et social, Carlos Aboujaoudé, patron d'une law firm, et Naji Boulos.

Synthèse à deux voix
Dans une intervention de synthèse à deux voix, Hélène Tayyar et Christian Makary devaient souligner combien le passage de l'indifférence au sens de l'appartenance et à la motivation « n'est pas un instant, mais un processus », et combien « l'esprit précède l'argent », combien les choses sont impondérables et comment la cérémonie de remise de diplôme peut être un instant inoubliable qui accompagnera un ancien toute sa vie.
Tayyar et Makary ont également souligné l'importance des valeurs sociales, de la « résistance culturelle », des « valeurs jésuites » telle que la loyauté et, last but not least, combien il est nécessaire, pour maîtriser le temps, d'accompagner le temps. Et de s'engager dans l'anglais. Et, retour à Salim Eddé, de se fixer comme horizon « la limitation de la croissance des frais de scolarité, le renforcement de la qualité du corps enseignant et de la recherche, éléments vitaux de l'avenir de l'Université ».

 

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L'USJ et l'AUB : le rapport qualité-prix, selon Salim Eddé

Dans son intervention, Salim Eddé a raconté avoir fondé avec des associés « il y a bientôt 30 ans » une société informatique, Murex, « qui compte aujourd'hui 2 000 personnes de 65 nationalités dans 18 pays dans le monde, dont 550 Libanais ». Murex développe des logiciels pour les institutions financières : banques, gestionnaires de fonds et autres. « Les deux universités les plus représentées parmi tous nos ingénieurs sont libanaises : il s'agit de l'USJ (plus spécifiquement de l'Esib avec 170 anciens que nous recrutons régulièrement depuis 20 ans), et de l'AUB, avec 170 anciens également », précise M. Eddé.
« La qualité des ingénieurs issus de ces universités est comparable à celle des meilleures grandes écoles en France (Polytechnique, Centrale, Mines, ENSI etc.). Je le sais pour la bonne raison que tous les candidats passent les mêmes tests et entretiens. Mais ce qui m'a toujours frappé depuis 15 ans que nous recrutons dans ces deux universités est qu'à qualité de formation égale, la scolarité à l'Esib a toujours été deux fois moins chère que celle de l'AUB. Parmi toutes les universités privées libanaises, l'USJ est donc celle qui offre de loin le meilleur rapport qualité-prix, du moins en ce qui concerne les études d'ingénieurs, mais je ne serais pas étonné qu'il en soit de même dans les autres domaines », a-t-il poursuivi.
« C'est cela qui à mes yeux constitue la force principale de l'USJ et l'importance de sa mission : rendre disponible au plus bas coût une éducation de qualité à toute la population étudiante du pays sans distinction. »

 

Harvard, un fonds de 53 milliards de dollars !

« Comment continuer à assurer cette qualité alors que les coûts explosent et que de plus en plus d'universités deviennent plus des affaires commerciales que des projets éducatifs ? Et comment freiner l'inflation inexorable des frais de scolarité que doivent payer les étudiants et dont les montants interdisent de plus en plus l'accès à l'éducation aux personnes dont les revenus sont les plus modestes ? À l'Esib par exemple, ces frais ont doublé entre 2000 et 2015, c'est-à-dire nettement plus que l'inflation au Liban durant cette période. »
Ces questions ont été posées par le patron de Murex, Salim Eddé.
« C'est là que je vais vous donner un deuxième exemple tiré de mon expérience. Ma société a vendu il y a quelques années un logiciel de gestion de fonds à l'Université américaine de Harvard. Avant cela, j'étais persuadé que les frais de fonctionnement de Harvard étaient couverts par les scolarités dont les niveaux sont parmi les plus élevés aux États-Unis. J'ai découvert qu'il n'en était rien. Une partie très importante des frais est couverte par les intérêts des fonds issus des donations diverses dont l'université bénéficie depuis sa création. Je le sais maintenant, puisqu'ils utilisent notre logiciel, ce qui m'a permis de savoir quel est le montant des fonds qu'ils gèrent. Il m'a suffi d'allumer le logiciel. Et là je suis tombé de ma chaise : en 2014, les fonds gérés par Harvard se montaient à 53 milliards de dollars. 53 milliards ! Avec un tel montant, on peut presque acheter tout le Liban, et une partie (sinon la totalité) de ses voisins. Et là, je ne parle que de Harvard. Je ne vous ai encore mentionné ni Princeton, ni Stanford, ni Chicago, ni MIT, etc. », a-t-il raconté.
« À Harvard, ce trésor de guerre génère des revenus financiers annuels de 1,6 milliard de dollars (...) ces revenus financiers couvrent 40 % du budget de fonctionnement de l'université, les scolarités ne couvrant que 20 % de celui-ci. En comparaison, les scolarités à l'USJ couvrent 87 % du budget de fonctionnement de l'université. 87 % contre 20 % à Harvard ! Je crois fermement qu'il est urgent que nous adoptions à l'USJ un modèle comparable à celui de Harvard. L'USJ ne peut compter sur aucun État : ni l'État libanais ni l'État français (...) L'USJ ne peut donc compter que sur des donateurs, et plus particulièrement sur ses anciens, nous tous. Mais n'est-il pas possible dans les quelques années à venir de réunir 1 % de ce montant, soit entre 300 et 500 millions de dollars qui pourraient générer par leurs intérêts jusqu'à 20 % du budget de fonctionnement de l'USJ ? Ne vaut-on pas 1 % de Harvard? » a-t-il encore tonné.

 

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