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Liban - Salon du livre

Jacques Liger-Belair, hier, aujourd’hui et demain

« En cette période où l'on parle d'agences de notation, de crises mondiales, de notes d'évaluation données aux pays, nous avons notre » triple A « depuis bientôt 34 ans! » Dixit Josiane Torbey, qui signe la préface de l'ouvrage intitulé « Jacques Liger-Belair, le parcours d'un architecte », publié aux éditions Dar an-Nahar.

Collège des Saints-Cœurs Kfarhabab, 1974-1978.

Organisé autour de neufs chapitres abondamment illustrés, l'ouvrage bilingue consacré à Jacques Liger-Belair est le produit de longs entretiens menés par des spécialistes avec le fondateur de l'Atelier des architectes associés qui expose sa philosophie de l'architecture, son choix de matériaux, son engagement infaillible pour la conservation du patrimoine et sa conception de la ville. Auteur de L'Habitation au Liban (édité par l'Apsad), de « Beyrouth 1962-2002 » (préfacé par Amin Maalouf, Dar an-Nahar), chevalier de l'ordre de la Légion d'honneur française et détenteur du prix Duyver d'architecture à Bruxelles pour la maison 100 % green conçue pour Abdo et Raymonde Ayoub, à Dahr el-Souwan, Jacques Liger-Belair signera son nouvel ouvrage ce soir au Biel, au stand Dar an-Nahar, à 18h.

Le globe-trotteur
Mais tout d'abord, la biographie signée Carla Henoud. JLB est né à Liège, d'une mère belge et d'un père français qui a dessiné pour Hergé le fier vaisseau du Secret de la licorne. À 22 ans, diplôme d'architecture en poche, vouant une immense admiration pour Le Corbusier et le « béton loyal », il décroche un poste de professeur dans son école. Au cours de sa première année d'enseignement, « il est amené à noter sévèrement un étudiant médiocre, fils d'un architecte éminent, inspecteur de l'État qui n'acceptera pas qu'un jeune professeur juge ainsi son fils. Il se vengera, en fin d'année et en public, par une » engueulade « imméritée et humiliante. Jacques, révolté, en grande colère, décide alors brusquement de tout quitter, l'école et la Belgique ». Il s'en va à la découverte de Chandigarh, que Le Corbusier bâtissait au Panjab. Un interminable voyage de 40 000 km en 2CV qui le conduira à travers l'Europe, la Turquie, le Proche-Orient, l'Iran, le Pakistan et enfin l'Inde. De ce périple, comme Ulysse, il ramènera plein de récits et des carnets remplis de croquis. Il rencontre à Beyrouth Jacqueline Saghbini qu'il épouse en 1960. De leur union naissent trois enfants : Catherine, Dominique et Gérard. « Quinze années de paix, de sérénité vont permettre à Jacques de prendre racine. Il adopte le Liban. Le Liban l'adopte. » Il entame alors sa carrière d'architecte en tentant de « concilier ma formation, ma culture occidentale moderne et mon engouement pour les architectures traditionnelles d'Orient ».

Les premières réalisations
En 1961, son premier chantier, le jardin d'enfants du collège Notre-Dame de Nazareth, une œuvre « atypique et innovante » qui rejette la construction de l'école austère aux longs couloirs, marque le départ de nombreuses commandes. Les constructions éducatives et religieuses seront sa légion : il réalisera les écoles de la Congrégation des sœurs des Saints-Cœurs à Beyrouth, Zahlé, Machghara, Kfarhabab, Aïn Najm, Jounieh et Damour ; l'église et l'école de la communauté chaldéenne ; les chapelles du monastère de l'Unité des sœurs clarisses à Yarzé et du Carmel Saint-Joseph. Dans un garage désaffecté du mandat français, il dresse la chapelle des franciscaines de Badaro. Il signe l'oratoire d'un groupe de réflexion, animé par le jeune père Sélim Abou. Il bâtira même une mosquée à Yanbu, en Arabie saoudite.
En 1971, à la demande d'Henri Eddé, alors ministre des Travaux publics, JLB et Nicolas Bekhazi se penchent sur le projet de construction des écoles primaires publiques. Quatre écoles-pilotes seront exécutées dans la Békaa et sur la côte avant que l'opération ne soit interrompue par la guerre de 1975. Le projet ne sera jamais repris.
D'autres facettes de l'architecte se révèlent à partir de 1980, lorsqu'avec son nouveau partenaire Jean-Pierre Mégarbané il s'élance dans la construction des résidences, notamment à Doha, au sud de Beyrouth (pour la Intra Investment Co) ; à Maad pour Henri Naccache ; à Baabdate (pour Nabil et Mona Saleh, elle sera corbuséenne, ou, du moins, sous influence) ; à Kfarhabab (Joseph Ayoub) et à Dahr el-Souwan (Abdo et Raymonde Ayoub). Des villas modernes poussent en harmonie avec la topographie des lieux, sans porter atteinte à la nature. Car ces architectures sont « aussi contextuelles et intégrées à leur milieu que l'étaient celles anciens bâtisseurs », écrit JLB.

Les années d'après-guerre
En 1990, Liger-Belair est sollicité « comme architecte-consultant par Dar el-Handasah pour jeter les bases du plan de reconstruction du centre-ville ». Mais les points de vue divergents le poussent à quitter le groupe... Il planche alors sur les équipements sportifs et culturels dédiés aux nombreuses institutions notamment la Rawda School, le Collège Louise Wegmann de Jouret el-Ballout, le Collège protestant et le Centre sportif, culturel et social de Notre-Dame de Jamhour.
Plusieurs projets sont également élaborés pour la Syrie, l'Égypte, le Ghana et surtout Alger où l'Atelier des architectes associés signe la réalisation de la faculté de médecine de la ville, le siège de la poste et des télécommunications et divers ensembles résidentiels...
Dans l'intervalle, l'AAA plante ses édifices à Adma, Achrafié (l'Albergo, la tour Mouawad, Les Jardins de Tabaris, Le Trabaud, Le Patio de Beyrouth, Sioufi Heights, etc), mais aussi à Badaro (Badaro Gardens), à Nahr Beyrouth (siège de Holcom) et le nouveau campus de l'Alba, etc... L'ensemble respecte fidèlement les idées fondatrices de base qui ont fait la renommée de l'Atelier. C'est-à-dire « une architecture moderniste, intemporelle, humaniste, verte, flexible, intégrée, respectueuse de l'environnement et des usagers ; mais aussi à jour dans les techniques et matériaux de pointe adéquats », souligne Jean-Pierre Megarbané, premier associé et cofondateur de l'AAA, auquel se joindront Georges Khayat, André Trad et Roger Hachem.

Le béton « loyal » du Corbusier
Se prêtant au jeu des entretiens avec les architectes André Trad, Georges Khayat, Nevine Megarbané et Georges Arbid, Jacques Liger-Belair livre au fil des pages sa philosophie de l'architecture, inscrite dans une dynamique de progrès continu.
Concernant sa première réalisation, le jardin d'enfants du Collège N-D de Nazareth, objet d'une publication dans la revue L'Architecture d'aujourd'hui, JLB dit : « Nous avons voulu que l'enfant grandisse et s'émancipe au sein d'une architecture adaptée qui prend part à son éducation. » Alors le projet a été conçu « comme un petit tissu urbain avec maisons et patios, ruelles et place centrale... Il inaugurait aussi l'usage, au Liban, du béton décoffré, le "béton loyal" du Corbusier ».
Au sujet de l'église de Notre-Dame de Nazareth, où il prône le « dépouillement total » en effaçant tous les ornements datant du XIXe siècle, JLB explique : « J'ai voulu retrouver la force des origines en remettant à nu la structure de base de l'édifice, magnifiée par le blanc intense. (...) Dans ces années-là, on pouvait aller à l'essentiel, plus facilement qu'aujourd'hui. N'oublions pas que c'était l'époque de la publication des directives conciliaires de Vatican 2 qui voulaient débarrasser l'Église et les églises de choses inutiles pour retrouver l'esprit de l'Évangile. »
Dans ses chapelles il privilégie le béton brut, le parpaing nu et le bois de charpente. « Oui, dit-il, Je n'ai jamais cherché à aseptiser mes architectures. Comme aux premiers temps, j'utilise les matériaux disponibles et courants, et aussi le mobilier artisanal, populaire, jusqu'à ces panneaux de jute, ce tissage fruste dont on fait les sacs de légumes, et qui filtre si bien la lumière... ».

Le patrimoine libanais
Architecte moderne, Jacques Liger-Belair enseigne pourtant le patrimoine architectural du Liban à l'Université libanaise. Paradoxe ? « En réalité, les études d'architecture de mon temps se débarrassaient des modèles classiques. C'était l'après-guerre. Le monde se reconstruisait. J'ai quitté l'Europe avec l'illusion de l'universalité de cette modernité triomphante, et j'allais avec l'espoir de participer à ce grand chantier mythique, la ville de Chandigarh, C'était mon "Graal" ... Mais, tout au long de ce périple quasi initiatique, j'ai découvert des paysages et des peuples, leurs maisons et leurs cités merveilleusement adaptées aux sols, aux climats, au mode de vie des gens, leurs cultures, leurs économies. Et j'ai douté alors des orgueilleuses architectures d'Occident (...). »
« Au Liban, j'avais les yeux ouverts sur les "architectures sans architectes" de ce pays magnifique encore assez intact dans les années 60-70. J'ai découvert, observé, analysé ce patrimoine naturel et bâti (...) J'ai découvert que la géographie est la clef des activités et des œuvres des hommes, ce que j'ai tenté de développer dans L'Habitation au Liban. »

Jounieh voulait s'«américaniser »
Quid du décret municipal de la ville de Jounieh portant le nom de Jacques Liger-Belair ? En 1964, à la demande du président Fouad Chéhab, l'architecte avait élaboré un plan directeur pour mettre en valeur les atouts de la ville, fixant un ensemble de priorités en matière d'environnement, de patrimoine et de tourisme. Il préconisait notamment une promenade piétonne tout le long des maisons et des plages, de Kaslik à Maameltein. Mais le projet est tombé à l'eau après le départ du président Chéhab. Seulement deux actions prévues ont été respectées : « Les venelles qui menaient, entre les maisons, au rivage, et qui avaient été squattées par les riverains ont été dégagées et pavées ; de même les alignements prévus pour élargir la route de la côte, qui menaçaient de détruire une majorité de maisons, ont été annulés. » Et le réaménagement du port de pêche lui a été confié.
En 1972, à la création de la Direction générale de l'urbanisme (DGU), JLB relance le projet « en mettant à jour le plan originel (...) Mais le conseil municipal de Jounieh, qui voulait changer l'aspect de la ville en l'"américanisant" l'a rejeté catégoriquement (...) Puis ce fut la guerre civile et l'afflux dans la région de populations (...) C'était la prospérité, le temps des commerces florissants, des casinos sauvages et de l'urbanisation effrénée du rivage et de la basse montagne (...) Face au risque de voir cet héritage unique disparaître à son tour, l'AAA avait été chargé, avec l'Institut de sciences politiques de Paris et l'Unesco, de l'aménagement et des décrets de protection de ce qui subsistait du patrimoine de Jounieh, suivi du plan de réhabilitation du rivage occupé illégalement et ravagé par les restaurants, miniports et autres marinas. Aujourd'hui en 2014, l'AAA s'occupe encore de mettre à jour le projet et de tenter de sauver ce qui reste de ce site qui fut exceptionnel ».

Aux jeunes architectes, je veux dire...
« Si vous êtes capables de bâtir avec vos matériaux, le béton, l'acier, le verre... pour les hommes d'aujourd'hui... aussi intelligemment que le faisaient les anciens avec la pierre, la terre, les arbres et si, comme eux, vous le faites en respectant et même exaltant l'environnement... alors vous serez de bons architectes. »
En tant que professeur, « je continuerais à faire découvrir aux jeunes étudiants leur territoire et les racines de leurs architectures. Mais je leur ferais aussi découvrir les ravages, qu'un demi-siècle de pratique irresponsable d'aménagement et de construction ont provoqués dans leur pays. Je leur apprendrais à observer le beau et le laid de leur environnement, à penser, à se poser de bonnes questions et chercher de bonnes réponses ».
« Je leur parlerais de la ville et de l'absolue nécessité de la rendre aux citoyens, d'en faire des lieux de vie pour tous, enfants handicapés, personnes âgées... De lutter contre ces ghettos et autres quartiers de misère et de désespérance, de réintroduire le végétal dans la ville. Vous le faites déjà, je le sais... mais les facultés d'architecture devraient s'engager davantage et collaborer entre elles pour être à même d'exiger des pouvoirs publics de prendre des décisions, de légiférer utile. »
Jacques Liger-Belair, une histoire de vie, de pays... L'aventure continue.

Organisé autour de neufs chapitres abondamment illustrés, l'ouvrage bilingue consacré à Jacques Liger-Belair est le produit de longs entretiens menés par des spécialistes avec le fondateur de l'Atelier des architectes associés qui expose sa philosophie de l'architecture, son choix de matériaux, son engagement infaillible pour la conservation du patrimoine et sa conception de la ville....
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