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Nos Lecteurs ont la Parole - Ronald BARAKAT

« Où sont-ils », les vrais loyalistes ?

Maintenant que le ciel syrien, inviolable jusqu'à tout récemment, est devenu la ruche où bourdonnent des avions de combat de divers pays, l'espace d'entraînement de pilotes de diverses nationalités, le baptême de feu des femmes pilotes, le champ de premier tir d'avions américains furtifs, d'avions arabes en rodage... que ressent le Syrien lambda prorégime ? Étant donné que ses supérieurs ne ressentent rien depuis le début de la guerre et ne peuvent par conséquent être interrogés.
Que pense-t-il de ce ramdam aérien assourdissant au-dessus de sa tête ? Pourquoi a-t-il fallu qu'une coalition se forme pour faire le travail de son « gouvernement » (guillemets nécessaires) ? Les forces armées de son pays ne sont-elles pas dotées d'une aviation efficace, au vu des ravages que celle-ci commet dans les secteurs rebelles ; ses pilotes ne sont-ils pas rompus au largage aveugle de barils d'explosifs ? Alors pourquoi avoir laissé aux jihadistes qui, hier encore, leur ont infligé des revers humiliants, à Raqqa et ailleurs, et ont massacré leurs soldats, des havres de paix, ici et là ? Pourquoi avoir épargné les champs pétrolifères – six champs sur dix en Syrie – sous leur contrôle et restés intacts jusqu'à l'intervention étrangère, sachant que ces puits constituaient la source majeure de leur financement et leur généraient environ deux millions de dollars par jour ? Si le citoyen, lambda ou pas, prorégime, n'ose pas interroger directement son gouvernant, a-t-il au moins le courage de s'interroger lui-même ? Et de s'inspirer de certains partisans, pourtant des inconditionnels du régime, qui ont en août lancé une stridente interrogation par la campagne « où sont-ils ? »
afin de s'enquérir de leurs soldats disparus lors de la chute de la base aérienne de Tabqa, engloutis par l'ogre daéchiste après leur humiliation. Question surprenante, et donc significative (et porteuse de germes), mais restée sans réponse, ou dont la réponse est venue sous forme carcérale plutôt que verbale, les questionneurs ayant été arrêtés par les questionnés.
Oui, le citoyen syrien prorégime devrait commencer (ou finir) par se poser des questions – qu'il fasse ou non partie de l'alliance des minorités – sous peine de voir son bon sens sérieusement questionné. Il devrait questionner son moi sur les promesses de son « surmoi », ressassées depuis un an, deux ans, trois ans... selon lesquelles la guerre contre le terrorisme sera gagnée, même si elle prendra un peu de temps. Mais ce temps, de plus en plus sombre, s'étend pour s'avérer plus long que prévu, favorise la multiplication bactérienne jihadiste, crée de nouveaux protagonistes, redessine une carte plus morcelée, remodèle un corps social plus démembré, une conscience collective plus hantée. La dignité nationale est bafouée et sa souveraineté violée sur terre par le melting-pot jihadiste, et dans les airs par des escadrilles étrangères, si ce n'est ennemies, qui n'ont pas demandé la permission à la « tour de contrôle » (et d'ivoire), sans compter la mise au ban des nations, voire de l'humanité (s'il s'en trouve vraiment une de nos jours).
Si le souverain peu loyal de ce sujet loyaliste ne sent toujours pas la terre se dérober sous ses pieds, étant vicieusement vissé sur son trône et, en station debout, bien planté de ses deux béquilles russe et iranienne, que celui qui lui sert de support, que celui qui le supporte après avoir supporté son géniteur s'éveille, se meuve, s'émeuve, se redresse, se dérouille, s'interroge, se révolte finalement de voir son pays écartelé, exsangue, détruit, ruiné, vidé par le nombre incalculable de morts, de réfugiés, de détenus... que ce fidèle loyaliste se distancie, l'espace d'un examen de conscience, et s'horrifie de voir sa patrie méconnaissable, défigurée, mutilée, envahie de mercenaires extrémistes de tous bords et de tout poil, chiites et sunnites, transformée en un immense caravansérail, au point de devenir lui-même étranger et minoritaire sur sa propre terre. Minoritaire en tant que syrien, et non point alaouite, chiite, chrétien, druze ou kurde. Faute de pouvoir compter les morts et blessés parmi ses concitoyens, dont une grande partie a été assimilée aux « terroristes » qui ont finalement montré leur vrai visage et leurs vraies origines, qu'il tente de dénombrer les victimes dans son propre entourage, son propre camp, et notamment les dizaines de milliers de soldats tués dans cet interminable combat qui n'a d'autre motif que la vanité, car « vanité des vanités, et tout est vanité », dit l'Ecclésiaste. Qu'il s'informe d'autres médias que ceux qu'on lui sert ou qu'il s'attache à absorber, s'indigne à la vue récente de cette longue colonne de soldats inconnus (et nus), en route vers une fosse commune de la région de Tabqa après la chute de la base de même nom, au bout d'un calvaire humiliant. Qu'il contemple, effaré, son armée nationale en déliquescence progressive, diluée de milices étrangères ; qu'il éprouve la honte de la voir à la solde de paramilitaires qui commettent les pires exactions et crimes contre l'humanité. Que son oreille, longtemps sourde, se débouche sur le cri des agonisants, des suppliciés, des affligés ; que son œil se dessille pour voir l'horreur au quotidien, partout, mais surtout là où sa loyauté n'est pas.
Que ce loyaliste si loyal envers une personne, pour laquelle il n'est personne, tourne sa loyauté vers l'identité humaine, d'abord, nationale ensuite ; qu'il se libère de son cachot communautaire et du culte d'une personnalité qui se nourrit de sa dévotion et de sa naïveté. Qu'il joigne une voix courageuse à ces loyalistes qui ont osé crier « où sont-ils ? » pour en payer le prix. Qu'il se demande aussi « où sont-ils » ces dizaines de milliers de disparus, de détenus, de déplacés, d'endeuillés, d'orphelins, ces millions de réfugiés ? Et où sont-ils ceux qui ont dit « où sont-ils » ?

Maintenant que le ciel syrien, inviolable jusqu'à tout récemment, est devenu la ruche où bourdonnent des avions de combat de divers pays, l'espace d'entraînement de pilotes de diverses nationalités, le baptême de feu des femmes pilotes, le champ de premier tir d'avions américains furtifs, d'avions arabes en rodage... que ressent le Syrien lambda prorégime ? Étant donné que ses...

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