Schizophrénie, déni de réalités insoutenables ou complicité avilissante ? Le questionnement est de circonstance alors que le Liban est rattrapé par la peste jihadiste et que les guerres civiles entraînent toute la région dans une lente désintégration, avec en toile de fond la fuite éperdue des chrétiens d'Irak et le massacre des innocents à Gaza. Le questionnement est d'ordre moral et devient donc nécessairement culpabilisant : la communauté internationale peut-elle continuer à se complaire dans le cocon de l'amnésie ou de l'indifférence alors que le sang coule à flots, inonde les écrans de télévision et les sites des réseaux sociaux, images terrifiantes à l'appui ?
Est-il seulement concevable, une fois l'émotion passée et les larmes séchées, face à une horreur banalisée parce que répétitive, que les regards finissent par se détourner de l'essentiel et ne se fixent plus que sur le long parcours de vies paisibles ? Une telle renonciation est-elle tolérable alors que la barbarie continue de faire étalage de ses hauts faits sanglants et que les victimes innocentes emplissent les fosses communes creusées dans les champs de ruines ?
Les atrocités accumulées, les assassinats au quotidien, au fil des mois, au fil des ans, auraient-ils pour conséquence de durcir les âmes et d'adapter les politiques d'État aux cyniques réalités des faits accomplis ? Un génocide chassant l'autre, une épuration ethnique faisant oublier celle qui l'a précédée, on se retrouverait ainsi dans une situation d'accoutumance à l'horreur qui anesthésierait les consciences et insensibiliserait les cœurs.
Entre-temps, dans un Proche-Orient livré aux barbares, on trucide allègrement, on décapite, on brise les os, on enfouit des populations entières sous des tonnes de barils d'explosifs. Quant au monde dit « libre », il se dit évidemment terrifié, il dénonce, condamne, menace, entreprend des opérations d'assistance ponctuelle... et, lentement, tourne la page. Et dans la continuité de son aide à « populations en danger », il offre alors l'asile à quelques petits milliers de réfugiés et les convie à goûter aux joies de la démocratie, « celles dont ils ont été privés dans leur propre pays ».
Il est loin, bien loin, le temps des espoirs fous, des encouragements et des promesses rapidement données et encore plus rapidement retirées. Il est loin, bien loin, le temps des printemps vite éclos, vite enterrés. La culpabilité, elle, se dissout naturellement dans les conciliabules interminables du Conseil de sécurité, dans les conférences stériles d'un Occident en perte de mémoire ; elle se dissout dans les manœuvres grossières de démocraties prises au piège de leurs propres mensonges, otages de leur soumission à la realpolitik ; elle se dissout enfin dans les frappes de « bonne conscience » de l'aviation américaine sur des positions islamistes en Irak, quand tout a déjà été dit, quand tout a déjà été défait.
La descente aux enfers ne date pas d'aujourd'hui, elle a commencé avec les liens suspects entretenus avec Ben Laden en Afghanistan, elle s'est poursuivie avec le désastre américain en Irak, la faillite occidentale en Libye et les reculades déshonorantes en Syrie, elle s'accélère avec l'extension des tentacules jihadistes partout dans le monde, à partir d'un Moyen-Orient exportateur et importateur d'un terrorisme envahissant.
À trop jouer avec le feu, on se brûle forcément les doigts. Mais dans le cas présent, c'est le destin de populations entières qui est en jeu, qui est instrumentalisé sur la table des compromissions...
Âmes sensibles s’abstenir !
OLJ / Par Nagib AOUN, le 11 août 2014 à 00h00
Quand le mensonge devient atavique...
01 h 16, le 12 août 2014