L'un est journaliste, l'autre historien. Avec des mots crus, ils disent à peu près la même chose. Zeev Sternhell, l'une des consciences de la droite israélienne, dans un entretien accordé à l'hebdomadaire français L'Express* : « Netanyahu est un faible en réalité. Il admire Churchill mais, pour incarner un homme politique de cette stature, il faut savoir reconnaître une situation historique et entraîner un peuple derrière soi. Pas se traîner derrière. » Roger Cohen dans le New York Times du 14 juillet : « Les juifs et les Arabes de Terre sainte sont menés par des hommes trop petits pour procéder à des changements. »
D'un côté, des dirigeants qui ne ratent pas l'occasion de rater une occasion, de l'autre des (ir)responsables qui saisissent au bond le prétexte, forts il est vrai du soutien sans faille d'une certaine opinion internationale. Telle était la situation, du moins jusqu'à cette date du 14 juillet quand, l'ultradroite l'emportant sur la droite, le gouvernement de Tel-Aviv s'est mis dans l'obligation de foncer tête baissée dans une aventure dont presque tout le monde aujourd'hui s'accorde à dire qu'elle est sans issue. Bien plus longue aussi que prévu au départ et bien plus coûteuse en troupes engagées et en vies humaines. Ainsi, on est passé en moins de deux semaines de 40 000 à 53 000 réservistes, approchant ainsi le seuil autorisé de 60 000 rappelés sous les drapeaux.
Du côté palestinien, les pertes atteignent des proportions qui forcent certains États à accomplir, pour équilibrer croient-ils leur condamnation et leur défense, des contorsions sémantiques risibles s'il ne s'agissait de l'un des drames les plus atroces de la décennie. Moins scandaleux toutefois, cet exercice d'équilibrisme que les hypocrites protestations arabes formulées comme à contrecœur, assorties – là aussi pour faire bonne mesure – d'une dénonciation du Hamas, qui utilise des boucliers humains à Choujaïya, Boueirij et ailleurs. Dans cette bande de terre d'une superficie d'à peine 362 kilomètres carrés tentent de survivre, plutôt mal que bien, près de 2 millions de personnes dont une proportion de 51,8 pour cent se trouve sous le seuil de pauvreté, soit avec moins de 2 dollars par jour (le pourcentage est de 19 pour cent en Cisjordanie). Quatre-vingts pour cent de Gazzaouis dépendent de l'aide alimentaire et le taux de chômage y est l'un des plus élevés du monde.
La situation s'est aggravée depuis que l'Égypte du maréchal Abdel Fattah el-Sissi a décidé de condamner les dizaines de tunnels utilisés surtout par des contrebandiers, un geste qui avait mis un point final à des rapports en dents de scie. Cette mesure explique aussi, mais en partie seulement, l'inimitié succédant à la méfiance qui avait porté Ismaïl Haniyé et les siens à rejeter une proposition de cessez-le-feu similaire pourtant à celle de Mohammad Morsi, qui avait permis en novembre 2012 d'éviter la catastrophe.
Entre un Netanyahu qui surfe à domicile sur la vague du fanatisme national et religieux et un Hamas qui joue sur la fibre patriotique mais parvient de moins en moins facilement à mobiliser une population désormais peu encline à écouter les voix d'une prétendue raison – celle que dicte l'Occident–, la marge de manœuvre des éventuels négociateurs s'avère par avance étroite. D'un sec « Je sais ce dont nous avons besoin pour assurer la sécurité de notre peuple », le Premier ministre israélien a opposé une fin de non-recevoir à une nouvelle démarche du secrétaire d'État. Si l'on voit mal, dès lors, à quoi pourrait servir une énième visite de John Kerry, il est aisé par contre d'imaginer le tournant que prendront les héritiers de cheikh Ahmad Yassine : celui du jihadisme, avec les dangers qu'il représentera demain pour l'Europe et les États-Unis, mais aussi et surtout pour les protégés de ces derniers, qui se préparent déjà à affronter des lendemains incertains.
Entrée hier dans sa troisième semaine, l'opération Bordure protectrice n'est à ce jour qu'un demi-succès, c'est-à-dire un semi-échec. Par le nombre de morts qu'elle a engendré, elle aura représenté une riposte démesurée aux tunnels qui permettaient le transit des missiles. Comment en justifier la sauvagerie quand, sur les plus de 500 victimes à ce jour, plus d'un quart est constitué d'enfants terrés avec leurs familles dans des abris de fortune ou jouant sur les plages de l'enclave.
Ce sont les images de ce nouveau massacre des Innocents que devrait retenir l'opinion mondiale.
« ... Alors Hérode, voyant qu'il avait été leurré par les mages, se mit dans une grande colère et il envoya tuer tous les enfants de deux ans et au-dessous qui étaient à Bethléem et dans tout son territoire » (Matthieu, chap. 2, versets 16-18).
* N° 3 289 du 16 au 22 juillet 2014.
commentaires (5)
Ils ont creusé leurs propres tombes !
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
00 h 56, le 23 juillet 2014