Rechercher
Rechercher

Nos Lecteurs ont la Parole - Jackie DERVICHIAN

24 avril 1915 : ce jour que les Arméniens n’oublieront jamais - Les victimes cachées du génocide

La foi chrétienne est l'une des composantes majeures de l'identité arménienne. Et pourtant, aujourd'hui, il est de plus en plus question de ces Arméniens musulmans, islamisés de force au cours des siècles passés et tout particulièrement du génocide de 1915 en Turquie.
La chape de silence commence à se disloquer. L'un après l'autre, les fantômes prêtent leurs voix à ce « passé qui ne passe pas ».
Une mémoire vivante et tourmentée. On les appelle « les restes de l'épée ». Des enfants rescapés du génocide, essentiellement de belles jeunes filles, enlevées sur les chemins de la déportation, pour être incorporées dans des foyers musulmans, kurdes ou turcs.


Converties de force à l'islam, épousées légalement ou restées « secondes femmes », elles ont traversé le siècle dans le silence, « les lèvres scellées » par la douleur et par la crainte de remuer les fantômes du passé.
Elles ont eu des enfants qui, la plupart du temps, ignoraient cette origine cachée et, aujourd'hui, c'est à la génération suivante que l'on découvre cette réalité.
« Autant le négationnisme est difficile à contrer, disent-ils, autant une grand-mère est intouchable. »
Objets, visages, images floues de lieux hantés comme la petite ville de Dersim, qui semble paresser au fond d'une vallée. Tout en bas, au fond du canyon, les eaux en furie du fleuve Munzur. Ce cours d'eau à la force légendaire qui coule dans la région de Dersim, dans l'est de la Turquie, a servi de cimetière à des milliers d'Arméniens de l'Empire ottoman, victimes du premier génocide du XXe siècle. Du haut des falaises, des hommes et des femmes ont été jetés dans le fleuve.
Dans cette enclave montagneuse, des dizaines de villages portaient des noms arméniens avant 1915.
L'habitant de Dersim, cet Arménien islamisé, est donc, si l'on peut ainsi dire, le seul historien sur place, qui nous reste des temps antégénocidaires. L'autre volet de l'appartenance nationale, et non religieuse. Bientôt cent ans !
Aujourd'hui, les Arméniens cachés de la Turquie se mettent à revendiquer haut et fort une identité arménienne, longtemps niée et inavouable. Et beaucoup reviennent à la religion et à la culture de leurs aïeux, enclenchant un mouvement de fond avec lequel la société turque devra compter à l'avenir. Ces Arméniens oubliés reviennent hanter les autorités turques telle une damnation : ils sont les racines du pays, ils portent en eux la mémoire collective du pays de Massis et d'Ararat.
Sans nous, ils ne sont plus rien. Sans eux, nous tombons dans le vide, d'une mémoire brisée.


Très souvent, l'idée s'empare de notre conscience que seul un chrétien peut être considéré comme arménien ; d'où il ne saurait exister des notions telles que « Arménien converti ou Arménien d'autre religion.
Il faut aborder dans le cadre de la réalité contemporaine, plutôt que ce que nous voulons voir ou ce qui est idéal. L'existence des Arméniens islamisés de force et de leurs descendants est un fait, et il serait pour le moins partial d'ignorer une population qui a préservé la mémoire de ses origines arméniennes, en dépit de difficultés sans nombre.


C'est vrai que nous avons été le premier peuple à accepter la chrétienté, en 301 après J.-C., et ces Arméniens catholiques, protestants, païens ou athées ou islamisés restent des Arméniens. Notre arménité exige de donner voix et, partant, mémoire vive aux centaines de milliers de ces victimes pour qu'elles ne soient pas précipitées dans les caveaux de l'oubli. Nous estimons que la diversité des religions ne détruit pas l'unité nationale. Aucune nation civilisée ou non civilisée sur terre n'adhérerait à une même Église. Ni le catholicisme, ni le protestantisme, ni même l'islam n'ont fait que l'Arménien cesse d'être un Arménien, et inversement, l'appartenance à l'Église apostolique ne nous donne pas le droit d'être appelés arméniens.
Si j'insiste sur ce point, c'est surtout pour prouver que « l'identité nationale » n'est pas une réalité figée, définie une fois pour toutes, mais un combat dialectique entre les périphéries et le centre, l'ombre et la lumière, le passé et le présent, les forces du mal et les forces du bien, le déracinement et l'enracinement.


Il est clair que dès qu'on rejette le principe de la légitimité religieuse, il n'y a plus, pour donner une base aux délimitations d'une nation, que le droit des nationalités, c'est-à-dire des groupes naturels, déterminés par la race, l'histoire et la volonté des populations. Désormais, la question de l'identité nationale n'est plus seulement, ni même principalement, un problème philosophique, n'intéressant que le petit monde des intellectuels. Elle devient une « affaire d'État ». L'affaire de tous les Arméniens.
On ne saurait mieux souligner le fait que désormais, l'identité arménienne nationale est fondée sur une identification entre le monde des morts (les Arméniens du génocide) et le monde des vivants (les Arméniens rescapés et les Arméniens islamisés).
Approchons-nous de ces Arméniens oubliés, adoptons-les ! Qu'ils retrouvent leur bercail familial ! Il est temps. Le temps de la vérité !
Cela signifierait la « déconstruction » de l'État-nation turc, modèle infaillible comme l'aimait Atatürk, et la déstabilisation d'Ankara, une fois pour toutes. Turquie, reconnais le génocide !
Bientôt cent ans !

Jackie DERVICHIAN
Chercheuse

La foi chrétienne est l'une des composantes majeures de l'identité arménienne. Et pourtant, aujourd'hui, il est de plus en plus question de ces Arméniens musulmans, islamisés de force au cours des siècles passés et tout particulièrement du génocide de 1915 en Turquie.La chape de silence commence à se disloquer. L'un après l'autre, les fantômes prêtent leurs voix à ce « passé qui...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut