Conscient de l'importance du rôle des médias dans cette période délicate, le cardinal Béchara Raï a accordé aux journalistes un entretien de plus d'une heure, en dépit des nombreux visiteurs du siège patriarcal à Bkerké. Le patriarche est soucieux d'expliquer le point de vue de l'Église et surtout de contribuer à sa manière à rappeler aux Libanais les constantes qui sont à la base de la naissance de la patrie et qui sont parfois occultées par la classe politique et par les développements sur le terrain.
Chaleureux, prenant le temps de s'enquérir de chacun, le patriarche Raï a aussi de l'humour puisqu'il demande, avant d'entamer l'entretien, d'un ton faussement innocent : « Les journalistes ne comptent-ils pas avoir leur candidat à la présidence ? »... Le sujet de l'heure est ainsi lancé. Le patriarche maronite est catégorique : l'élection présidentielle doit avoir lieu à la date prévue. Selon lui, ce n'est pas discutable et il ne faut même pas envisager la possibilité d'une vacance du pouvoir. « Ce terme ne doit pas exister ni dans notre vocabulaire ni dans nos esprits », dit-il avant d'ajouter qu'il tient ce discours avec tous ses interlocuteurs, y compris les ambassadeurs étrangers et arabes. Mgr Raï insiste encore : « Ne pas élire un président signifie couper la tête du pays. Comment le corps peut-il continuer à vivre sans sa tête ? C'est la présidence qui donne la légalité à toutes les institutions de l'État. Ne pas élire un président est une honte pour le Liban et les Libanais. C'est une atteinte à notre dignité. »
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Interrogé sur le fait que le président du Liban pourrait être élu par l'étranger, le patriarche maronite refuse d'entrer dans un tel débat. Selon lui, il est certain que le président du Liban doit avoir de bonnes relations avec la communauté internationale et avec les pays arabes, mais ce sont les Libanais qui doivent élire leur président. « D'autant, précise-t-il, que dans la Constitution, il est dit que le peuple est la source de tous les pouvoirs. » Il faut donc que le peuple choisisse, peut-être sur la base d'un sondage crédible et objectif. Mais selon le patriarche, pour cela, il faudrait qu'il y ait des candidatures claires, avec des programmes précis pour que les Libanais puissent faire leur choix. « Je ne comprends pas, dit-il, pourquoi il n'y a pas de candidatures déclarées. Est-ce une devinette ? » Le cardinal Raï affirme ensuite que l'élection d'un président n'est pas comme celle d'un patriarche. Pour élire le patriarche, les évêques se réunissent en conclave et prient et il y a une inspiration divine qui intervient. Mais dans l'élection présidentielle, ce sont les députés qui doivent voter et ils doivent donc prendre conscience de l'importance de leur décision.
Pour le patriarche Raï, le futur président doit être « un homme exceptionnel », car son mandat, qui doit commencer le 25 mai 2014, expire en 2020, date du centenaire de la création du Grand Liban. C'est une date particulièrement importante, car à ce moment-là, les Libanais devront prouver que le modèle libanais est encore vivant et qu'il continue à être une nécessité pour la région et peut-être pour le monde. Pour pouvoir mener à bien cette mission, c'est-à-dire rassembler les fils du pays, rapprocher les points de vue en rassemblant tout le monde autour de l'État, le président devrait avoir des qualités exceptionnelles, souligne Mgr Raï.
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En ce qui concerne le rôle de Bkerké, le patriarche affirme que la commission de suivi, formée des représentants des quatre leaders maronites, est en train de se réunir régulièrement avec le représentant du patriarcat pour tenter de dégager une approche commune entre les leaders maronites au sujet de l'échéance présidentielle. L'idée principale est de pousser les députés chrétiens à se rendre à la séance parlementaire destinée à élire un président pour assurer le quorum requis et, ensuite, que les députés fassent leur choix. Le patriarche précise qu'il n'y a pas encore d'accord mais les discussions avancent.
En réponse à une question sur la plaie béante de Tripoli, le patriarche Raï confie avoir reçu une délégation de Tripolitains (non chrétiens) qui lui ont parlé de la tragédie au quotidien que vit la ville. Mais il précise que les Tripolitains lui ont dit que le vrai problème vient des hommes politiques, qui reçoivent des financements de l'étranger... Le patriarche lance ainsi un appel aux hommes politiques de Tripoli (et du Liban en général), leur demandant de revenir à leur conscience et de ne pas se contenter de réunions pour la forme, en cherchant plutôt à ramener réellement le calme dans la ville. Dans ce contexte, le patriarche est offusqué par les attaques contre l'armée libanaise, qui protège le Liban et les Libanais.
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« Inciter la foule contre elle, c'est contribuer à détruire le toit de la maison sur les habitants », dit-il. Il faut signaler ici que le patriarche maronite s'est rendu à Tripoli après le double attentat à la voiture piégée devant les mosquées, dans un souci d'exprimer sa condamnation de tels actes et sa solidarité avec les habitants de la ville. Le patriarche insiste ainsi pour condamner toute agression et toute tentative de déstabilisation dans toutes les régions du pays. Il revient sur la nécessité de prendre une décision claire d'appui à l'armée, tout en retirant toute couverture politique à ceux qui commettent des infractions.
Il rappelle encore que le Liban a un rôle primordial dans la région. Il ne doit pas le perdre et les Libanais ont un rôle-clé dans la préservation de ce rôle. Il invite aussi les médias à étudier le document élaboré par Bkerké et à le discuter, précisant que ce document est le fruit de concertations et de réflexions. Il a été longtemps mûri avant d'être adopté par les évêques, a précisé le patriarche.
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MAIS SI ON PENSERAIT À MOI... JE M'EXCUSE D'AVANCE. JE NE SUIS NI ATOLLIEN ET NI CRABIEN !
LA LIBRE EXPRESSION
20 h 57, le 21 mars 2014