Samy Gemayel l'avait prévu en cours de journée : il sera difficile de parvenir à un texte de compromis au sein de la commission de rédaction de la déclaration ministérielle. Les faits lui ont donné raison. Réunie au Grand Sérail sous la présidence de Tammam Salam, qui s'était rendu auparavant à Baabda, la commission a vite constaté que le climat d'intransigeance manifesté de part et d'autre au sujet de la résistance et de la déclaration de Baabda ne se prêtait pas très bien à son travail d'orfèvre linguistique. Elle se retrouvera donc vendredi, dans l'espoir que la fièvre politique sera retombée, et que les déclarations excessives des députés du Hezbollah et de certains journalistes qui leur sont proches, comme le rédacteur en chef d'al-Akhbar, se seront atténuées.
Ce ne sera pas facile. En classant le triptyque armée-peuple-résistance comme « langue de bois », le président Sleiman a réussi à faire mal. Par ailleurs, en s'engageant de plus en plus en Syrie, le Hezbollah a sapé le peu de confiance que le chef de l'État, en légitime gardien de la Constitution et de l'unité du pays, continuait à lui faire.
En fait, avec la crise en Ukraine et la réapparition de deux camps adverses sur le plan mondial, certains craignent d'ores et déjà que le Liban ne finisse par basculer dans le camp anti-occidental. Cet objectif serait, selon eux, sous-jacent à tout ce que fait le Hezbollah. Le raisonnement se tient. Avec Poutine et Bachar el-Assad, le Hezbollah se retrouverait ainsi, selon le président Obama, « du mauvais côté de l'histoire ». Pour sa part, une source proche du PSP devait déclarer : « Toute tension internationale risque de se répercuter sur les dossiers annexes qui nous encourent, que ce soit en Syrie ou ailleurs, et peut introduire des complications supplémentaires. »
(Pour mémoire : Sleiman-Hezbollah : l'ultime épreuve de force)
Aoun en Arabie saoudite
À ce sujet, du reste, M. Gemayel a bien rappelé au Hezbollah, hier, que « la moitié des Libanais sont hostiles à ses choix politiques ». La moitié « au moins », faut-il dire. Le général Aoun, en effet, a entamé sa propre politique de distanciation par rapport au parti pro-iranien, et s'apprête à répondre à une invitation saoudienne. Selon des indiscrétions parvenues à la rédaction de L'Orient-Le Jour, hier, sa visite aurait lieu demain. Le rapprochement entre le Courant patriotique libre et le royaume wahhabite se fait à l'heure où des mutations profondes ont lieu au sein de la direction saoudienne, et où le dossier libanais a été enlevé à Bandar ben Sultan, le tout-puissant chef des SR, accusé d'appuyer et de manipuler les groupes jihadistes en Syrie et confié à Mohammad ben Nayef, ministre saoudien de l'Intérieur qui, lui, a déjà engagé une politique de répression de ces groupes à l'intérieur du royaume. À Riyad, il n'est pas impossible que Michel Aoun ne rencontre aussi Saad Hariri. Sur la liste des Saoudiens, Samir Geagea serait le prochain invité.
Sur le plan spécifique de la déclaration ministérielle, le CPL joue aussi la conciliation. Le ministre des AE, Gebran Bassil, membre de la commission ministérielle, a affirmé hier : « Il ne faut pas être prisonniers des mots, si l'on abolit le mot résistance, on n'abolit pas sa réalité. » Et d'ajouter qu'il fait son possible pour « tenir la déclaration à l'écart des divergences internes », tout en insistant que « le temps ne joue pas en notre faveur ».
Selon M. Bassil, c'est « par crainte de l'opinion » que certains font de la surenchère sachant qu'ils en reviendront au final à une formule agréée de tous. Une formule où ni le mot triptyque ni les mots déclaration de Baabda ne figureraient tels quels.
Affaires courantes
Pour sa part, prenant la parole à l'issue de la réunion, Waël Abou Faour a affirmé devant les journalistes présents : « Nous nous sommes réunis et avons examiné la question toujours en débat. Ce que je peux dire, c'est que s'il n'y a pas eu de fumée blanche, il n'y a pas de fumée noire non plus, en ce sens que le débat se poursuit et le cours des choses est toujours positif. Si la prochaine réunion a été fixée à vendredi, c'est parce que le chef de l'État se rend demain à Paris et que certains des ministres membres de la commission l'accompagnent. N'oublions pas qu'il s'agit d'une commission politique, non technique. Les débats s'y poursuivent et de façon rationnelle, et la polémique entre le chef de l'État et le Hezbollah ne l'a pas entravé. »
Se voulant rassurant, M. Abou Faour a précisé : « Aucun des camps en présence n'a l'intention de déboucher sur un cabinet d'expédition des affaires courantes. Tout le monde souhaite un gouvernement en bonne et due forme. » Et d'ajouter : « Le premier gouvernement made in Lebanon que nous avons réussi à former est en mesure de surmonter l'obstacle de la déclaration ministérielle ».
À Paris
En attendant la réunion de vendredi, M. Bassil accompagne cet après-midi le président Sleiman à Paris, pour une réunion où se joue notamment l'avenir de l'armée libanaise. La réunion se tiendra demain, mais le chef de l'État s'y rend avec un handicap, puisque le gouvernement Salam n'a pas encore passé le cap de la confiance parlementaire, ce qui pourrait retarder certains des accords financiers qui y seraient conclus et qui ont besoin de l'approbation du gouvernement.
D'autres questions sont en outre en suspens, comme l'assistance aux réfugiés syriens ou encore des questions de sécurité et sociales pressantes, dont on a vu un échantillon hier, sous la forme de la fermeture de deux sociétés d'embouteillage de gaz en raison de menaces d'attentats. Le conflit entre les besoins de la sécurité et les besoins de l'emploi a éclaté devant les caméras, accentué par la manière revêche dont le ministre de l'Intérieur a traité la question, notamment avec l'un des propriétaires de la compagnie. Si le pays continue ainsi, l'explosion sociale n'est plus loin.
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commentaires (6)
DE FUMÉE... IL Y AURAIT : COLORÉE !
LA LIBRE EXPRESSION
19 h 39, le 04 mars 2014