Rechercher
Rechercher

Le Liban en 2013 - Rétro 2013

Kissinger et la théorie du terrain de foot

Lorsqu'il était encore un officier supérieur dans les années 80 du siècle dernier, Emile Lahoud qui est devenu par la suite commandant en chef de l'armée puis président de la République a suivi une session de « stratégie militaire et politique » aux Etats-Unis. Au programme, une revue des développements de l'histoire de l'humanité pour trouver les failles qui ont mené à la chute des empires et en tirer les leçons qui s'imposent. Pour la période de Metternich, c'est Henry Kissinger, l'ancien secrétaire d'Etat américain, considéré comme un spécialiste de cette ère, qui a été invité à donner une conférence sur le sujet. Kissinger a donc expliqué à ses auditeurs que le grand génie du prince de Metternich a été de chercher à unifier l'Europe déchirée par de multiples guerres autour d'un concept élémentaire. Pour permettre aux différents pays d'Europe de s'entendre, il fallait leur laisser un lieu où ils pourraient s'affronter sans se marcher sur les pieds et provoquer ainsi de nouveaux embrasements meurtriers, une sorte de terrain de foot où tous les protagonistes peuvent jouer sans que leurs pieds se touchent ou s'emboîtent. Conscient de l'importance d'une entente entre les puissances de l'époque pour la suprématie de l'Europe, Metternich avait donc trouvé que la Prusse, alors affaiblie et déchirée, pouvait leur servir de terrain de foot. C'est donc ce qui s'est passé, et pendant plusieurs décennies, l'entente a tenu et l'Europe a connu un boom exceptionnel aux dépens de la Prusse.

 

Alors que Lahoud se trouvait aux Etats-Unis pour y suivre cette session, la guerre au Liban faisait rage depuis près de 5 ans. Pris d'une inspiration, l'officier libanais a demandé au secrétaire d'Etat américain si le Liban pouvait en quelque sorte être comparé à la Prusse de cette époque. Kissinger a été un peu embarrassé par la question et de sa voix bougonne, il l'a éludée. Mais le fait est là. Pendant des années, le Liban a servi d'abcès de fixation de tous les conflits arabes et même arabo-israéliens. On disait même à cette époque que si un pays arabe s'enrhume, c'est le Liban qui éternue.

 

On avait toutefois cru qu'après l'amère expérience de la guerre civile, avec son pendant d'affaiblissement notoire de l'Etat, sous le slogan : « la force du Liban vient de sa faiblesse », les Libanais avaient tiré les leçons et compris que leur entente est leur plus grande force et que pour avoir une patrie digne de ce nom, il faut commencer par édifier un Etat. Or, avec bientôt trois ans de guerre en Syrie, toutes les failles internes ont de nouveau apparu. Comme la crise palestinienne qui, dans les années 70 avait divisé les Libanais et les avait plongés dans une guerre civile, la crise syrienne exacerbe aujourd'hui  la division interne et entraîne de nouveau les Libanais dans un repli confessionnel et communautaire, au détriment des institutions de l'Etat et en particulier de l'armée libanaise, pourtant garante de la souveraineté et de l'indépendance du pays. Le plus grave c'est qu'alors que la crise syrienne est peut-être en voie de règlement avec le processus de Genève 2, le Liban se dirige, lui, vers plus de chaos avec la multiplication des incidents sécuritaires qui montrent une implantation réelle des groupes jihadistes sur son territoire. Ces groupes visiblement exclus de tout dialogue en Syrie ne pourront que se rabattre vers le Liban, la Turquie et la Jordanie leur ayant fermé leurs frontières. Dans la situation de paralysie presque totale des institutions et dans l'état de division aigue entre le bloc chiite et le bloc sunnite, le Liban pourrait donc être une fois de plus appelé à devenir « le terrain de foot » privilégié des pays de la région. Même si les grandes puissances continuent à vouloir la stabilité du Liban, chacune pour des raisons propres, le laxisme des autorités aux frontières et l'absence de règlement des dossiers en suspens, avec le spectre du vide au niveau institutionnel, font que le Liban pourrait une fois de plus servir d'abcès de fixation pour la région. Au fil des ans, les Libanais n'ont malheureusement jamais appris à jouer en tant qu'équipe...Un tableau noir ? Peut-être pas car après tout, on ne naît pas footballeur, on le devient.

Lorsqu'il était encore un officier supérieur dans les années 80 du siècle dernier, Emile Lahoud qui est devenu par la suite commandant en chef de l'armée puis président de la République a suivi une session de « stratégie militaire et politique » aux Etats-Unis. Au programme, une revue des développements de l'histoire de l'humanité pour trouver les failles qui ont mené à la chute...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut