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Liban - Interview

Walid Pharès à « L’OLJ » : Les révolutions au M-O, les maillons d’une même chaîne

Photo tirée de Spero News

Trois ans après le déclenchement de ce qu'il est convenu d'appeler le « printemps arabe », nombre de pays de la région continuent d'être ébranlés par des actes de violence et de graves mouvements de contestation, signe que ces pays sont loin d'avoir trouvé encore leur équilibre politique. L'analyse et la genèse de ce printemps arabe, les conditions sociopolitiques objectives qui en ont constitué le fondement, l'évolution récente des États concernés par ces bouleversements ont fait l'objet d'un nouvel ouvrage, Du Printemps arabe à l'Automne islamiste, que Walid Pharès vient de publier en français et qui se trouve depuis peu en librairie aussi bien en France qu'au Liban.

Walid Pharès est connu du public libanais, arabe et international du fait de ses nombreuses interventions sur les principales chaînes satellitaires moyen-orientales et américaines. Il a notamment été « analyste principal » à la NBC entre 2003 et 2006 puis à la Fox News depuis 2006.

Né à Beyrouth, avocat, professeur de sciences politiques à Miami puis à Washington, il est depuis le 11 septembre 2001 conseiller auprès du Congrès américain. Spécialiste du monde arabo-musulman, il est conférencier pour les affaires du Moyen-Orient et du terrorisme pour le gouvernement américain et les agences US de la Défense, de la Sécurité et de la Diplomatie. En 2011, il a été désigné conseiller du candidat républicain à la présidentielle américaine Mitt Romney, pour les Affaires étrangères et la Sécurité nationale. Il est auteur de plusieurs ouvrages, dont notamment celui paru en 2010, The Coming Revolution, qui prédit pratiquement le printemps arabe.

Dans son nouvel ouvrage, Walid Pharès explique que les bouleversements qui ont affecté la région ces dernières années couvaient sous la cendre depuis un certain temps. L'auteur nous fait découvrir pas à pas l'historique de chacun des pays-clés de la région, l'évolution politique, la réalité sociale sur le terrain, l'intervention et l'influence étrangères ainsi que les conséquences auxquelles on a abouti aujourd'hui. Il passe au crible les pays victimes du bouleversement, de l'Afghanistan à l'Irak, du Liban à la Syrie, de l'Iran au Soudan, du Maghreb à l'Égypte et à la péninsule Arabique, en analysant les faits qui ont abouti au contexte actuel.

Dans une interview accordée à L'Orient-Le Jour, au cours d'une entrevue à Washington dans des locaux de la Fox News, Walid Pharès souligne que les soulèvements dans les pays arabes constituent « une chaîne à dimension historique ». « Le printemps arabe n'est pas le fruit d'événements récents, mais bien l'aboutissement de longues décennies de lutte entre les sociétés civiles et les régimes oppressifs, relève notamment l'auteur. L'histoire des mouvements démocratiques de la région nous éclaire sur la réalité de ces soulèvements. Ces révoltes arabes, qui ont été enclenchées en Tunisie, se sont inspirées des bouleversements politiques survenus quelques années plus tôt en Afghanistan, en Irak, au Liban et en Iran. Les révolutions du Moyen-Orient, à quelques différences près, constituent les maillons d'une même chaîne. Les premières vagues de soulèvements, à la base, étaient l'œuvre de jeunes révolutionnaires appuyés par les forces des sociétés civiles. Les manœuvres subtiles des islamistes, force bien organisée, ont permis à ces derniers de s'emparer des rênes du pouvoir en Tunisie, en Libye, en Égypte, partiellement au Yémen, tandis que le sort de la Syrie se joue encore. L'Égypte, comme nous le voyons, se libère des islamistes. »

La confrontation s'intensifie
Assiste-t-on actuellement dans la région à une lutte entre les forces laïques et les factions islamistes, et dans ce cadre l'Occident a-t-il une vision suffisamment claire de la situation présente ? « Dans chacun des pays concernés par ces soulèvements, la confrontation s'intensifie entre des forces fondamentalistes brandissant le spectre de la régression et des forces démocratiques aspirant à un futur laïc. C'est là qu'intervient le rôle de l'Occident, dans le sens où il peut aider les démocrates à faire basculer la région dans le camp des laïcs et des libéraux, ou alors consentir à abandonner cette zone cruciale à des islamistes prêts à établir une force régionale radicale. »

En sa qualité de fin observateur de l'environnement politique aussi bien arabe qu'américain (il s'est établi aux États-Unis en 1991), Walid Pharès souligne que « depuis l'avènement de l'administration Obama, les États-Unis ont favorisé les islamistes, à commencer par les Frères musulmans, sans pour autant le clamer clairement ». « Le président américain, indique-t-il à cet égard, a entraîné dans son sillage le reste du monde libre, qui a calqué son attitude sur celle du leader de la première puissance mondiale dans son approche des révolutions au Moyen-Orient, en Iran et dans le reste du monde arabe. Mais les sociétés civiles n'ont pas abdiqué. De la Tunisie à l'Égypte, ainsi qu'au Liban et en Iran, les jeunes, les libéraux et les intellectuels font face aux régimes islamistes, signalant un nouveau printemps qui guette les nouveaux pouvoirs autoritaires. L'Égypte et la Tunisie annoncent le nouveau printemps, la vraie saison, celle qui s'est manifestée à Beyrouth en 2005 puis en Iran en 2009. C'est une course implacable mais incontournable entres les deux forces idéologiques de la région. »

Le problème des minorités
Où se situent, dans un tel contexte, les minorités religieuses et ethniques ? « Les minorités ethniques et religieuses de la région sont extrêmement affectées par les révolutions, affirme Walid Pharès. Objets d'une persécution depuis des siècles déjà, les communautés chrétiennes, mais aussi les minorités musulmanes, sont la cible des islamistes salafistes, comme c'est le cas en Égypte, en Irak et en Syrie. Les minorités ethniques, comme les Kurdes et les Balouches en Iran, les Africains au Soudan, les Berbères dans le grand Maghreb, surtout en Kabylie, sont aussi malmenées et traversent donc une crise existentielle. Pour la plupart des minorités, leur printemps est encore un hiver. La communauté internationale n'est malheureusement pas à l'écoute de leurs revendications. »

Qu'en est-il en outre de la révolution syrienne ? « Dans mon livre qui avait prédit les révoltes un an avant qu'elle n'éclatent (The Coming Revolution, en 2010), j'avais mis en garde contre une guerre civile dévastatrice si la communauté internationale n'intervenait pas au début de la crise en Syrie, souligne M. Pharès. L'année 2011 a été perdue car l'Occident, surtout l'Amérique, s'est abstenu de régler le contexte régional avant la fin de 2011. Les États-Unis étaient encore en Irak, isolant Assad de l'Iran. Les protestations en Syrie étaient encore non violentes et el-Qaëda n'avait pas encore noyauté l'opposition civile. Mais, malheureusement, l'administration Obama n'as pas agi rapidement en 2011, et elle n'as pas agi du tout en 2012 a cause des présidentielle. En 2013, le champ de bataille a changé radicalement. Le prix d'une action US est trop élevé, et la Maison-Blanche n'est pas prête à payer. Donc la Syrie est entrée dans la zone des guerres longues. Assad ne pourra plus reconquérir la Syrie comme son père l'avait fait, et l'opposition va avoir beaucoup de peine a faire basculer la dictature. Qui plus est, si Assad tombe, ou quitte son palais, la question reste de savoir qui sera en charge du pays. À mon avis, sans appui international pour un plan sérieux et stratégique, il y aura des enclaves, des poches et des milices partout. »

Le Liban, pays otage
Quels seraient les risques encourus par le Liban au cas où la guerre syrienne se prolongerait de la sorte ? « Malheureusement, les Libanais ont eu plusieurs occasions de se libérer, du moins partiellement, depuis 2005, mais leurs politiciens ont misé surtout sur une force extérieure qui résoudrait leurs problèmes, ce qui ne saurait être le cas, souligne Walid Pharès. Le Liban, par le biais du Hezbollah et de l'influence syrienne toujours présente dans le pays, est l'otage des événements en Syrie, surtout depuis l'intervention du Hezbollah aux côtés du régime. Parallèlement, les milices islamistes appuient les fondamentalistes depuis le Liban. L'État libanais a joué, certes, la carte de la neutralité, mais en fait il est sous l'influence décisive du camp iranien. »

Il reste que l'auteur estime que « le Hezbollah a intérêt à maintenir une paix économique au Liban et a laissé un peu d'espace à ses opposants ». « Mais son intention finale est tout à fait différente, surtout si son allié gagne la manche à Damas, indique-t-il. Les Libanais se rappellent de mai 2008. Le Hezbollah répétera ce scénario encore, quand les circonstances le lui permettront. »

Entre islamistes et libéraux
Peut-on dire, pour conclure, que le printemps arabe risque de se diriger vers un automne islamiste, comme le suggère le titre de l'ouvrage ? « En fait, les révoltes du Moyen-Orient se dirigent dans les deux directions en même temps, estime Walid Pharès. Les forces islamistes, ayant gagné une manche depuis 2011, essayent de se maintenir au pouvoir en Tunisie, au Soudan et au Maroc, elles tentent de gagner du terrain en Libye, au Yémen, et en Jordanie, et de surmonter leur revers en Égypte. »

« Quant aux forces laïques et libérales, ajoute-t-il, elles luttent dans tous ces pays contre la dominance islamiste. Donc l'automne est là, mais il sera encore suivi d'un autre printemps. Le grand défi stratégique se trouve du côté des régimes du bloc iranien. Tant au Liban qu'en Iran, la prépondérance est aux khomeinistes, le régime à Téhéran et le Hezbollah au Liban. Mais dans ces deux pays, il existe une opposition libérale à ces régimes. En 2005, la révolution du Cèdre a exprimé les aspirations de la société civile en rejetant l'occupation syrienne ainsi que les milices pro-iraniennes. En 2009, on a bien vu la révolution verte se répandre dans les rues de la capitale iranienne pour s'opposer aux ayatollahs. Les deux révolutions n'ont pas pu aboutir totalement, mais la lame de fond existe toujours. »

Et de conclure : « Le vrai problème au Levant est l'explosion d'une lutte sectaire non pas entre sunnites et chiites, mais entre les extrémistes des deux bords. Tandis que le régime iranien et le Hezbollah représentent l'idéologie extrémiste khomeiniste dans les milieux chiites, les salafistes jihadistes, aussi appelés takfiristes, représentent l'extrémisme opposé dans les milieux sunnites. La guerre civile de Syrie, qui avait commencé comme une révolution de la société civile contre le régime d'Assad, s'est transformée en lutte sectaire et idéologique entre l'axe iranien et les salafistes. Cependant, je crois toujours dans la capacité des forces de la société civile en Syrie. Mais c'est à l'Occident de tendre la main à ces forces. »


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commentaires (5)

JE N'AFFIRMERAI POINT CHOSE PAREILLE. PLUTÔT DES ANNEAUX DE CHAÎNONS DIVERS ÉPARS çA ET LÀ ET QU'AUCUNE DIMENSION NE RASSEMBLE !

LA LIBRE EXPRESSION

14 h 09, le 20 décembre 2013

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Commentaires (5)

  • JE N'AFFIRMERAI POINT CHOSE PAREILLE. PLUTÔT DES ANNEAUX DE CHAÎNONS DIVERS ÉPARS çA ET LÀ ET QU'AUCUNE DIMENSION NE RASSEMBLE !

    LA LIBRE EXPRESSION

    14 h 09, le 20 décembre 2013

  • C'est toujours pareil dans ce genre de conneries, walid phares reprend ce que les faits dementent , il n'y a pas d'analogie entre les salafowahabites et l'islam iranien chiite , les pratiques ( egorgement , canibalisme, destruction de lieu de culte ) et les orientations ( combattre le sionsime ds sa version la plus abjecte ) ne se recoupent pas entre ces 2 islams . CONNERIES ! ET RECONNERIES !! A JETER A LA POUBELLE cette analyse qui ne dit rien de nouveau en fait dans sa globalite .

    FRIK-A-FRAK

    13 h 05, le 20 décembre 2013

  • Il faut, bien sûr, ajouter ceci : Et le Liban dans ce contexte ? M Pharès le dit clairement : "par le biais du Hezbollah et de l'influence syrienne toujours présente dans le pays, le Liban est l'otage des événements en Syrie, surtout après l'intervention du Hezbollah aux côtés du régime. Le Liban a joué, certes, la carte de la neutralité, mais en fait il est sous l'influence décisive du camp iranien". Puis : "Le Hezbollah a laissé un peu d'espace à ses opposants, mais son intention finale est tout à fait différente... Il répètera le scénario de mai 2008, quand les circonstances le lui permettront". Autrement dit, le Hezb calamité est prêt à n'importe quel moment à donner le coup de grâce au Liban. Il pense en tirer une "victoire divine" finale, mais ce sera son suicide final.

    Halim Abou Chacra

    06 h 48, le 20 décembre 2013

  • Le jugement de M Walid Pharès sur les révolutions au Moyen-Orient est lucide et clairement rapporté par M Touma. On le perçoit en particulier dans ces lignes : "Dans chacun des pays concernés par ces soulèvements la confrontation s'intensifie entre les forces fondamentalistes brandissant le spectre de la régression et des forces démocratiques aspirant à un futur laic. C'est là qu'intervient le rôle de l'Occident, dans le sens où il peut aider les démocrates à faire basculer la région dans le camp des laics et des libéraux ou alors consentir à abandonner cette zone cruciale à des islamistes prêts à établir une force régionale radicale". En fait, selon lui, cette force régionale radicale se répartit en deux branches (mutuellement "takfiristes"), khomeinistes d'Iran, d'Irak, de Syrie et du Liban ("notre" Hezbollah) et islamistes extrémistes (sunnites) qui se choquent en une lutte sectaire très violente (une nouvelle guerre de cent ans au moins), comme on le voit bien en Syrie. Il termine disant : "Cependant je crois toujours dans la capacité des forces de la société civile en Syrie. Mais c'est à l'Occident de tendre la main à ces forces". M Pharès sait bien que c'est le pied et non la main que l'Occident tend à ces forces. Malheureusement.

    Halim Abou Chacra

    06 h 15, le 20 décembre 2013

  • De même que les anciens peuples Arriérés de par le monde ont vécu leur histoire dans la Préhistoire, ces peuples actuels de ces régions ont vécu leur Post-histoire dans l'Imagination, dans le Mirage, dans le Mythe. Ils ne sont en réalité que les contemporains mythologiques du temps présent, sans en être les contemporains Historiques. La vielle Mythologie de ces peuples est le prolongement idéal de leur histoire. Lorsque, au lieu des œuvres incomplètes de leur histoire réelle, ils critiquent donc les œuvres posthumes de leur histoire idéale, le mythe, leur critique est en plein milieu des questions dont le présent dit : Telle est La Question ! Ce qui, chez les peuples Avancés constitue en général un désaccord Pratique avec l'ordre social Moderne, cela constitue tout d'abord ici, chez tous ces "Jeunes" entités-pays ou kottors-contrées, où cet ordre social n'existe pas encore, un désaccord Théorique avec le mirage mythique de leur ordre social.

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    04 h 41, le 20 décembre 2013

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