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Nos Lecteurs ont la Parole

L’électron libre

« Toute société qui prétend assurer aux hommes la liberté doit commencer par leur garantir l’existence. »

Léon Blum

Étrange époque que la nôtre où plus que jamais les frontières entre les pays s’amenuisent et souvent disparaissent. L’homme du XXIe siècle est devenu citoyen du monde, sa patrie est la planète terre, dit-on. Cela est valable juste dans l’absolu. En effet, malgré le nombre exorbitant d’immigrants qui se déplacent en Europe, souvent au risque de leur vie, en dépit de l’exode des réfugiés fuyant la guerre dans leur contrée, il n’y a aucun doute que ceux-là demeurent toujours otages de leur souche ancestrale. Tout en sachant que cette aventure est l’espoir de la dernière chance, chacun conserve au fond de soi la nostalgie de sa propre culture.
J’essaye de comprendre le pourquoi de cette fuite en avant vers l’inconnu. Pourquoi mon propre Liban est atteint par ce virus de l’émigration et de l’immigration : ce déplacement en va et vient des êtres, comme le mouvement du pendule. D’une part, certains jeunes surqualifiés ne trouvent pas de débouchés équivalents à leurs diplômes, ceux au salaire moyen n’arrivent pas à joindre les deux bouts ; Ils s’en vont alors vers des cieux plus cléments. D’autre part, des réfugiés victimes d’abus de pouvoir, de privations, d’injustices, viennent jouir d’une liberté proche de l’anarchie. Les causes économiques et sociales dues à la négligence des États ont toujours abouti à des révoltes et à des
guerres. Ma pensée se glisse dans l’esprit de ce Libanais déçu, déchiré entre son besoin de survivance et l’amour de sa patrie. Je l’écoute exprimer son désespoir :
– Je m’interroge, que faire? Rester parmi les miens? Tous sont partis, dispersés de par le monde. Demeurer en ce magnifique pays qui d’année en année perd de sa superbe ? Voir sa beauté se ternir par les fossés de l’incompréhension, par les sillons de la rupture ? À mesure que passent les années, la division s’accentue dans les régions, créant des clivages parmi les habitants. Les combats de rues hantent les quartiers d’une façon périodique comme sous l’impulsion d’une volonté étrangère. Dans plusieurs montagnes, là où se trouvait une forêt verdoyante, s’étend une terre brûlée et aride. Là où se trouvait un terrain vague, espace de jeu pour les enfants il y a des caniveaux et des sacs de sable pour se protéger de son voisin, devenu l’ennemi. Ici, les jeunes portent des fusils et jouent à la guerre pour de vrai. Quelle que soit la région que l’on visite, l’atmosphère reflète un sentiment de peur, un désir d’autodéfense et d’autoprotection.
Comme l’électron libre détaché de l’atome, je traverse la vie sans aide ni appui, dans un pays où les lois ne sont pas appliquées et où les criminels côtoient les citoyens. Je ne reconnais plus mes semblables. Ils hantent cette tour de Babel sous un camouflage hirsute : qui est l’ami ? Qui est l’ennemi ? Je l’ignore, mais je voudrai retrouver les visages du passé, cueillir les regards limpides, les sourires rassurants, plonger dans la transparence des actes, des paroles, des mots. Oui, le passé était simple, sans ambiguïté aucune. Le Liban de demain porte en lui non seulement l’inconnu de notre devenir mais surtout l’ignorance de nos stratégies. Que faire ? Comment réagir face aux événements qui se préparent ? Chacun de nous est la voix qui crie dans un désert d’indifférence et d’égocentrisme. Chacun de nous est l’électron perdu dans l’espace perturbé d’une société qui se démantèle en multiples fragments, en petits lobbies. Cette défragmentation anéantit notre autonomie et nos symboles. Des idées archaïques s’infiltrent, sournoises et trompeuses, opposées au progrès et à toute civilisation.
Cher pays qui est le mien! Ce n’est pas parce que tu te débats dans des identités multiples que je vais te quitter. Je resterai là avec mes désillusions, et poursuivrai ma vie à me débattre avec mon quotidien, à errer dans un environnement sociétal semé d’imprévus et d’embûches. Un monde en trois dimensions qui veut anéantir, détruire, se justifier, avoir raison... Je persisterai jusqu’au bout, malgré la folie des hommes qui veulent ramener Dieu à leur propre limite, l’expliquer et en Son nom commettre des crimes odieux, des enlèvements, des sabotages. Il est facile de guérir le corps, mais lorsque l’âme est atteinte, que faire ? Comment ramener la candeur à l’enfance confrontée aux crimes de la guerre ? Comment libérer le pays des voleurs, des menteurs, des manipulateurs qui le vident de sa substance de sa justice?
J’ai beau sonder l’horizon, je ne vois pas de solution venir. Rien que l’espérance qui s’éloigne à mesure que je me rapproche de cette mince ligne au loin. Quelqu’un a-t-il jamais atteint l’horizon ? Mais je resterai quand même parce que là sont mes racines et qu’ailleurs, je ne suis pas moi. Ailleurs ! Je serai un autre, un étranger, robotisé par les démarches administratives, assujetti à la paperasserie identitaire et je serai à la recherche de mon authenticité, tout en vivant dans une bulle décalée de son environnement.
Je reste et je joue ma dernière carte, celle de mes convictions et de mes exigences. C’est la carte gagnante, celle du droit des peuples, de choisir et de vouloir. Vouloir un État, un gouvernement efficace, une justice, une liberté, la vraie liberté de décision que nous n’avons jamais eu, car annexée depuis des lustres. Cette phrase de Montesquieu exprime au mieux mon désir et mon choix : « La liberté est le droit de faire ce que les lois permettent. »

« Toute société qui prétend assurer aux hommes la liberté doit commencer par leur garantir l’existence. »
Léon BlumÉtrange époque que la nôtre où plus que jamais les frontières entre les pays s’amenuisent et souvent disparaissent. L’homme du XXIe siècle est devenu citoyen du monde, sa patrie est la planète terre, dit-on. Cela est valable juste dans l’absolu. En effet,...
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