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Liban - Portrait

Les deux vies diamétralement opposées d’Ahmad Akkari

Ancien prédicateur extrêmement remonté contre les caricatures du Prophète, le Libano-Danois est aujourd’hui un chantre de l’hypertolérance.

Ahmad Akkari : « J’ai réalisé que le Danemark était un des seuls pays au monde où la liberté d’être différent était assurée. »  Photo Facebook

« Oui, j’étais l’une des trois personnes qui ont lancé une action contre la publication au Danemark, le 30 septembre 2005, des caricatures du prophète Mohammad ».
Il y a huit ans, Ahmad Akkari, citoyen danois d’origine libanaise et prédicateur de la pensée islamique dans des mosquées à travers le Danemark, était à l’avant-garde de la contestation contre les 12 dessins satiriques du Prophète publiés par le quotidien conservateur danois, Jyllands-Posten. « J’ai ensuite été le porte-parole des 27 organisations islamiques qui ont déclenché la vague de protestations à travers le monde », ajoute-t-il, dans un entretien avec lorientlejour.com. Une vague de protestations qui avait pris la forme d’une crise diplomatique, d’une campagne de boycott visant le Danemark mais aussi de manifestations parfois violentes, notamment à Beyrouth.
Mais ça, c’était dans l’autre vie d’Ahmad Akkari. « Depuis, beaucoup de choses ont changé. »
« Mon point de vue sur les caricatures a changé, mon point de vue sur le droit de s’exprimer, de publier et de provoquer sans avoir peur a également changé », explique cet homme de 35 ans. « J’ai réalisé que le Danemark était un des seuls (pays) au monde où la liberté d’être différent était assurée », poursuit-il, se félicitant de la « tolérance » et des « valeurs » qui y règnent.
Ahmad Akkari a sept ans quand, en 1985, il arrive au Danemark avec sa famille qui, comme tant d’autres, a décidé de fuir la guerre qui n’en finit pas de ravager le Liban. En 2003, le jeune Libanais termine ses études en pédagogie et obtient la nationalité danoise. En 2007, il rentre au Liban où il se spécialise en sociologie pédagogique et poursuit ses études islamiques à l’Université libanaise à Tripoli. Ses diplômes en poche, c’est au Groenland qu’Ahmad part enseigner jusqu’en 2010 avant de revenir au Danemark et de voyager au Moyen-Orient.

Des excuses, puis le Groenland
Début août 2013, il a rencontré l’auteur des caricatures, Kurt Westergaard, un homme menacé de mort, notamment pour sa représentation du Prophète doté d’une bombe en guise de turban. M. Akkari lui a présenté ses excuses. Si le dessinateur estime que sa conversion est sincère, évoquant un jeune homme devenu un « humaniste », ses anciens camarades qui étaient proches de lui l’accuseraient, selon le Guardian, d’avoir simplement trouvé une nouvelle astuce pour capter l’attention.
Le chemin pour en arriver à ces excuses a été long et lent. « Tout a commencé en 2007, lors de mes rencontres avec des imams libanais et (d’autres membres de) la société islamique », raconte-t-il ; des rencontres qu’il commence à trouver « frustrantes ».
Le passage au Groenland marque un premier temps de réflexion pour le jeune homme. Puis, en 2010, il revient au Moyen-Orient où jusqu’en 2012, il affirme avoir côtoyé à nouveau des membres de la société islamique et des groupes d’imams. Au fur et à mesure de ces rencontres, « j’ai réalisé que quelque chose n’allait pas dans ces sociétés, non seulement au niveau socio-économique, mais aussi dans leurs fondations, leurs valeurs et leurs principes », indique-t-il.
Le Libano-Danois décide de « creuser plus profondément » dans les fondations de l’islam et de la pensée islamique. « J’ai continué à lire et j’ai commencé mon chemin contre la pensée islamique, mais je n’étais pas sûr d’être prêt à en parler en public », explique-t-il. Il commence toutefois à formuler des critiques lors de discussions en comité restreint. « En juillet 2013, j’ai rencontré un journaliste danois pour un entretien durant le mois de ramadan (...). Et je lui ai parlé de mon point de vue critique envers les sociétés islamiques en Occident. »

Utilisé
Aujourd’hui, Ahmad Akkari estime et affirme que « le monde musulman est dirigé par une élite religieuse en étroite collaboration avec une élite politique et que la parole de Dieu est un puissant instrument pour contrôler les masses ». Selon lui, c’est cette collaboration du religieux et du politique qui a permis de désorienter les manifestants et de les mobiliser pour des causes personnelles ou idéologiques.
« En comparant les valeurs dans les différentes sociétés et les droits fondamentaux de la personne avec les droits fondamentaux religieux (selon les islamistes), j’ai trouvé une grande différence. Par exemple, en dépit du fait que j’ai été perçu comme l’un des principaux agitateurs contre le Danemark et ses intérêts, je n’ai pas perdu ma nationalité. On ne m’a pas privé de mes droits fondamentaux. Si j’avais agi de la même façon dans un pays islamique, mon comportement n’aurait pas été toléré, surtout par les forces islamistes », indique-t-il.
« Après avoir été utilisé par certains leaders, j’ai réalisé combien j’avais tort en adoptant une pensée islamiste. Mon cœur est avec le Danemark et je respecte les valeurs sur lesquelles ce pays a été bâti », estime-t-il.
Aujourd’hui, M. Akkari dit se sentir bien chez lui, au Danemark, où il est rentré il y a trois ans. Il travaille actuellement en tant que coordinateur dans une société privée. « J’ai décidé d’essayer de jouer un rôle dans la protection de ce pays qui a été tellement généreux et qui préserve la liberté, la sécurité et la dignité de ses citoyens », dit-il.

« Un monde corrompu »
S’il a pris ses distances avec le monde musulman, le jeune Libano-Danois reconnaît que la situation au Proche-Orient et le fondamentalisme en Europe l’inquiètent. « Malheureusement, le fondamentalisme attire beaucoup (de gens) depuis les années 1990. Moi-même j’ai été séduit durant cette période, car on me parlait des grandes vérités de la vie, de bonheur et d’égalité. Ces idéaux existent en islam et dans d’autres religions... Mais au delà des discours, je me suis retrouvé dans un monde dirigé par des groupes islamiques qui ne luttent que pour le pouvoir », affirme M. Akkari. « Un monde corrompu et contrôlé selon les intérêts personnels des uns et des autres. »
Selon l’ancien prédicateur, les jeunes musulmans deviennent fondamentalistes car « ils sont amenés à croire qu’ils doivent combattre l’impérialisme (l’Occident et les chrétiens) ; ils subissent un lavage de cerveau » de la part des prédicateurs qui ouvrent la voie à la création de groupes extrémistes et fanatiques. « C’est un problème car ces mouvements n’acceptent pas l’idée d’une société démocratique qui assure la liberté de pensée, de religion et d’expression. » M. Akkari note également que la façon dont ces prédicateurs enseignent l’islam contredit l’enseignement délivré par les systèmes éducatifs en Europe de l’Ouest « où l’on privilégie une approche critique et ouverte ». « Il y a un manque d’interactions avec les valeurs et la culture sur lesquelles les sociétés occidentales ont été édifiées », estime-t-il.
Et l’ancien prédicateur de mettre en garde contre les jeunes musulmans prêts à succomber aux sirènes du fondamentalisme. « Les jeunes doivent comprendre qu’ils sont utilisés par des forces qu’ils ne voient pas et qu’ils ne comprennent pas. »
Il affirme enfin que si un quotidien danois publiait aujourd’hui des caricatures du Prophète, il ne réagirait pas comme en 2005. « Au sein de la société danoise, publier en toute liberté dans les limites de la loi et sans avoir peur d’être persécuté est un droit », conclut-il.
« Oui, j’étais l’une des trois personnes qui ont lancé une action contre la publication au Danemark, le 30 septembre 2005, des caricatures du prophète Mohammad ».Il y a huit ans, Ahmad Akkari, citoyen danois d’origine libanaise et prédicateur de la pensée islamique dans des mosquées à travers le Danemark, était à l’avant-garde de la contestation contre les 12 dessins...
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