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À La Une - Conflut

Syrie : la machine diplomatique s’emballe, s’enraye puis s’affole

Paris et Moscou en duel frontal à l’ONU ; Washington garde la pression ; Damas ne veut plus posséder d’armes chimiques.

Un père et un fils de l’ASL face à face et face à leur destin à Alep. Hamid Khatib/Reuters

Entre lapin extrait du chapeau (russe) juste au moment où les vacances des élus américains se terminent et réunion impromptue du Conseil de sécurité, qui s’impose ex abrupto puis qui se retrouve annulée sine die sur fond de ping-pong diplomatique rageur entre Paris et Moscou, tous deux aux avant-postes au Palais de Verre, les coups de théâtre se sont multipliés ces deux derniers jours. Avec un constat : l’initiative russe et tout ce qui en découle (pour l’instant) arrange presque tout le monde... sauf les rebelles et les civils syriens, puisqu’elle permet à nombre d’acteurs de sauver la face.
La proposition russe de placer l’arsenal chimique de la Syrie sous contrôle international a ainsi été accueillie certes avec prudence, mais aussi avec soulagement dans la plupart des capitales, empêtrées dans la chronique à rebondissements des frappes annoncées contre le régime de Damas. « Le compromis russe est une échelle qui va permettre à toutes les parties de redescendre des arbres où elles s’étaient perchées », ironise l’expert en relations internationales David Shain dans le quotidien israélien Maariv. « D’un côté, Assad va pouvoir continuer à gouverner, la Russie et l’Iran vont sauver leurs intérêts (...). De l’autre, Israël ne sera plus menacé par les armes chimiques syriennes, les affiliés d’el-Qaëda ne pourront pas pour le moment prendre le contrôle de la Syrie et le Congrès américain n’aura pas à avaliser une autre aventure au Moyen-Orient », résume-t-il. « Poutine nous donne l’opportunité de ne pas faire ce que nous devions faire et que nous n’avions pas très envie de faire », renchérit Dominique Moisi de l’Institut français des relations internationales.

 

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L’aubaine
Premier vainqueur : Moscou, allié inoxydable de Damas et acteur clé du dossier, qui tire – pour le moment – magistralement son épingle du jeu. « C’est une aubaine pour la Russie. Internationalement, elle apparaît comme le conciliateur », analyse Alisa Lockwood, chercheuse au centre de réflexion IHS Jane’s à Londres. Moscou gagne aussi en prestige auprès de l’opinion russe, apparaissant comme « un acteur fort sur la scène internationale », ajoute-t-elle. En outre, la proposition russe offre aussi une porte de sortie bienvenue au président américain Barack Obama, dont les velléités d’intervention en Syrie se heurtent à une forte opposition de l’opinion publique et à un possible rejet par le Congrès américain, très divisé. M. Obama a d’ailleurs réagi rapidement en y voyant une « possible percée ».
Le cas est plus complexe pour la France, qui a clamé haut et fort sa détermination à « punir » le régime syrien, s’est placée dans la position de l’allié numéro un des États-Unis après la défection britannique et se retrouve quelque peu isolée, concède une source proche du dossier. « Les Russes sont roublards, Obama est faible et nous on a une position juste mais on n’a pas les moyens de se faire respecter seuls », regrette cette source. Paris est d’ailleurs une des capitales qui a accueilli avec le plus de réserves l’initiative russe, posant des « conditions » et annonçant qu’elle allait déposer un projet de résolution contraignant au Conseil de sécurité de l’ONU pour crédibiliser la proposition de démanteler l’arsenal chimique syrien.

La déclaration de Moallem
Restent les Syriens... « Le peuple syrien attend depuis deux ans et demi une lueur d’espoir, mais la communauté internationale l’a laissé tomber. Je crois qu’il faut s’attendre au pire, car ce compromis sauve Assad, permet à son régime de se maintenir plus longtemps et lui donne un feu orange international pour continuer à tuer son peuple », lâche l’analyste émirati Abdel Khaleq Abdallah. « Il est clair pour tout le monde que (la proposition russe) signifie la poursuite d’une brutale guerre civile » en Syrie, selon David Shain, tandis que le quotidien britannique The Guardian écrit que la communauté internationale ouvre « un boulevard à Assad ».
En attendant, le régime de Damas a accepté de placer son arsenal chimique sous contrôle international, conformément à une proposition russe que la France, la Grande-Bretagne et les États-Unis veulent faire adopter à l’ONU sous la forme d’une résolution contraignante du Conseil de sécurité, malgré l’hostilité de Moscou. Cette mesure permettra « d’éviter un bain de sang », a déclaré le Premier ministre syrien, Wael el-Halki. Plus encore : la Syrie est « prête à se joindre à la Convention sur l’interdiction des armes chimiques ». C’est ce qu’a assuré hier le ministre syrien des Affaires étrangères, Walid Moallem, de Moscou. « Nous respecterons nos engagements dans le cadre de cette convention, y compris en donnant des informations sur ces armes : annoncer où elles se trouvent, cesser leur production et montrer ces installations aux représentants de la Russie, d’autres pays et de l’ONU », a-t-il déclaré.

 

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Fabius vs Lavrov
Mais le problème reste entier. François Hollande et Barack Obama ont souligné la nécessité de « maintenir ouvertes toutes les options » sur la Syrie tout en rappelant « leur préférence pour une solution diplomatique », hier lors d’un entretien téléphonique, et, avec le Premier ministre britannique David Cameron, ils sont tombés d’accord pour examiner la proposition russe sur les armes chimiques syriennes, les négociations entamées à l’ONU étant extrêmement difficiles. Une réunion d’urgence du Conseil de sécurité était prévue à 16h00 (20h00 GMT). Paris, Londres et Washington devaient présenter une résolution commune dès aujourd’hui, a annoncé M. Cameron. Sauf qu’elle a été reportée sine die à la demande de la Russie, qui avait convoqué cette séance de consultations à huis clos. Les diplomates n’étaient pas en mesure de donner une raison à ce report. À part que Moscou s’oppose farouchement à un projet de résolution de Paris qui réclame le démantèlement de l’arsenal syrien d’armes chimiques et prévoit en dernier recours l’usage de la force pour contraindre Damas à respecter les obligations mentionnées dans le texte sur la base du chapitre VII.
Le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov a ainsi jugé « inacceptable » le projet français, lors d’un entretien téléphonique avec son homologue français Laurent Fabius. Il n’en reste pas moins que la France est prête à modifier, dans certaines limites, son projet. « Nous sommes prêts à amender ce texte dès lors que sont préservés ses grands principes et objectifs. Il est étonnant que les Russes réfutent un texte qu’ils n’ont pas encore vu. Notre intention est naturellement d’en discuter avec eux », a déclaré hier en soirée à l’AFP le porte-parole du Quai d’Orsay, Philippe Lalliot.
Signalons que le projet français prévoit le « contrôle et le démantèlement » des armes chimiques syriennes. Il implique la mise en place d’un « dispositif complet d’inspection et de contrôle », selon M. Fabius. Il serait adopté sous ce chapitre VII qui autorise en dernier recours l’usage de la force pour contraindre Damas à respecter les obligations mentionnées dans le texte. Parmi ces obligations figurent l’adhésion de la Syrie à la Convention de 1993 sur l’interdiction des armes chimiques et le défèrement des responsables du massacre du 21 août devant la Cour pénale internationale (CPI).
M. Hollande a par ailleurs convoqué un Conseil restreint de défense qui devrait se réunir ce matin.

Pause au Sénat
Quant au chef de la diplomatie américaine John Kerry, il a affirmé toujours hier que la Syrie disposait d’environ « 1 000 tonnes » de différents agents chimiques. Une partie de ces approvisionnements est stockée en vrac sous « forme binaire » et les agents doivent être mélangés avant emploi, mais le régime dispose également de munitions déjà remplies de sarin notamment, a expliqué le ministre devant des élus. C’est dans ce cadre-là que le chef de la diplomatie s’est empressé de souligner que le transfert des armes chimiques sous contrôle international devait être « rapide », « réel » et « vérifiable ». M. Kerry s’entretiendra demain à Genève du dossier des armes chimiques syriennes avec Sergueï Lavrov, ont annoncé hier des responsables américains.

 

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Alors que des sénateurs américains préparaient hier une version modifiée du texte qui doit être soumis au vote du Congrès, Barack Obama s’est rendu au déjeuner hebdomadaire des démocrates, à huis clos dans une salle du Capitole, puis à celui du groupe républicain, où il a rodé les arguments qu’il devrait développer lors d’une allocution solennelle depuis la Maison-Blanche le soir même. À la sortie, les élus convenaient que la meilleure stratégie était de ne pas voter dans l’immédiat et d’attendre que Washington et Moscou s’accordent sur la meilleure façon de faire céder à Damas le contrôle de ses armes chimiques. Tout vote du Sénat a ainsi été reporté au moins à la semaine prochaine.
Parallèlement, huit nouveaux pays, dont le Koweït, ont signé la déclaration qui condamne le gouvernement syrien pour le bombardement à l’arme chimique du 21 août et demande une « réponse forte » de la communauté internationale, a annoncé la Maison-Blanche. Cela porte à 33 le nombre de pays qui ont signé ce document, après ceux qui s’y étaient associés lors du sommet du G20 la semaine dernière à Saint-Pétersbourg.

Maaloula « à l’écart »
Dans cette effervescence diplomatique, l’aviation syrienne a pilonné à nouveau les faubourgs de Damas, pendant que certains des plus violents combats se déroulaient à Barzeh, au nord de la capitale où, selon les habitants et les militants d’opposition, les frappes aériennes et les tirs des blindés appuyaient des groupes de miliciens pro-Assad. L’agence de presse officielle syrienne a déclaré que les troupes gouvernementales avaient « infligé des pertes aux terroristes » à Barzeh et dans la commune voisine de Kaboun. Au sud-ouest, à 15 km du centre de la capitale, l’aviation a visé Mouadhamiya, l’un des sites du bombardement chimique du 21 août imputé par les Occidentaux au régime de Damas. À l’est, le faubourg de Deir Salman a également été la cible de frappes aériennes et de tirs d’artillerie, causant la mort d’au moins deux combattants rebelles, a déclaré un militant de l’opposition, Maamoun al- Ghoutani. Damas exprime ainsi la conviction que les Occidentaux n’auront pas le courage d’agir, dit-on dans l’opposition.
Des rebelles syriens ont par ailleurs annoncé hier leur retrait de la ville chrétienne de Maaloula, près de Damas, deux jours après en avoir pris le contrôle. « Pour s’assurer que du sang n’est pas versé, que les biens des habitants de Maaloula sont préservés, l’Armée syrienne libre (ASL) annonce que la ville de Maaloula sera tenue à l’écart des combats entre l’ASL et l’armée du régime », a indiqué un porte-parole rebelle sur une vidéo mise en ligne sur Internet. Le porte-parole du Front de libération de Qalamoun a cependant indiqué que le retrait des rebelles était « conditionnel ». « L’armée et ses chabiha (milices) ne doivent pas entrer dans la ville », a indiqué le porte-parole, dont le nom n’est pas mentionné.


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