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Détenus libanais en Syrie : un calvaire qui n’a que trop duré - Droits de l’homme

Détenus libanais en Syrie : un calvaire qui n’a que trop duré

Les familles des Libanais détenus en Syrie sont confrontées une fois de plus aux démentis de la Syrie et au silence des responsables libanais concernant leur juste cause.

La tente du « sit-in », dressée il y a huit ans dans le jardin Gebran Khalil Gebran, est un témoin poignant de l’attente prolongée des familles des détenus libanais en Syrie.

Dans le jardin Gebran Khalil Gebran, place Riad el-Solh, l’attente des familles des détenus libanais en Syrie s’éternise. Les photos suspendues sur les pans de la tente « du sit-in », jaunies par le temps et par la longue attente, sont un vif témoin du calvaire qui dure – pour la majorité de ces familles – depuis plusieurs décennies.


En 2005, avec la programmation du retrait total des forces et des services de renseignements syriens, ces familles ont senti que leur attente se poursuivra et que la rapidité avec laquelle le calendrier du retrait a été établi ne sera pas en leur faveur. Le 11 avril 2005, soutenues par Solide (Soutien aux Libanais en détention et en exil) et par Solida (aujourd’hui le CLDH – Centre libanais des droits de l’homme), elles ont alors entamé un sit-in permanent pour que leur cause ne soit pas reléguée une fois de plus aux oubliettes.


Les craintes de ces familles étaient justifiées. En effet, le dossier, qui a été exploité au cours de ces huit dernières années par les forces politiques en conflit, n’est pas encore réglé. Les familles se sentent toujours abandonnées par ceux qui avaient pourtant promis à maintes occasions d’établir la vérité sur le sort de leurs proches, à savoir le président de la République, Michel Sleiman, dans son discours d’investiture en 2008, les gouvernements Fouad Siniora, Saad Hariri et Nagib Mikati dans leur déclaration ministérielle, ainsi que plusieurs partis politiques qui ont adopté la cause à la veille des législatives de 2005 et 2009.

 

(Pour mémoire : Détenus libanais en Syrie : huit ans de sit-in et toujours rien !)


Récemment, c’est un nouveau coup dur que la Syrie a porté à ces familles, ce qui n’a pas ému outre mesure les responsables politiques qui se sont enfoncés encore plus dans leur léthargie. Le 17 avril, le président syrien Bachar el-Assad, à l’occasion de la commémoration du retrait du dernier soldat français de Syrie en 1946, a décidé de gracier les auteurs de crimes commis avant cette date. Interrogé par les médias libanais sur le fait de savoir si l’amnistie présidentielle englobera les détenus libanais, l’ambassadeur de Syrie, Ali Abdel Karim Ali, a affirmé que son pays a « fait montre d’une transparence et d’une précision absolues dans le cadre de cette affaire ». Il a assuré que la Syrie ne détenait plus de Libanais dans ses prisons, indiquant que « des parties déterminées, et non pas la Syrie, sont responsables de l’enlèvement, de la disparition ou de l’assassinat de certaines personnes ».



Déterminée à poursuivre le combat
« J’ignore la raison pour laquelle les autorités syriennes persistent à nier l’existence de Libanais dans leurs prisons », s’insurge Sonia Eid, présidente du Comité des parents des détenus libanais en Syrie, assurant qu’ « une liste confirmée de plus de 600 noms avait été remise aux autorités syriennes ». « Je ne sais plus quoi dire. L’État libanais néglige ce dossier », poursuit cette mère dont le fils, Jihad, figure au nombre des militaires disparus le 13 octobre 1990. Il avait alors 20 ans.


« Si je n’avais pas la certitude que mon fils est en Syrie, je me serais tue, ajoute Sonia Eid. En 1991, je l’ai vu à la branche d’investigation à Damas, mais lui n’a pas pu me voir. Il avait les yeux bandés et était enchaîné avec d’autres détenus à une corde. On les traînait comme du bétail. C’était la dernière fois que je le voyais. »


À l’instar de nombreuses autres familles, Sonia Eid a eu des nouvelles de son fils par le biais d’anciens détenus à Damas. « Certains ont partagé sa cellule, note-t-elle. D’ailleurs, les services de renseignements libanais m’ont assuré à trois reprises qu’il était en Syrie avec dix-sept autres militaires. »

 

(Pour mémoire : Le dossier des Libanais détenus en Syrie : retour à la case départ)


Lasse de ce combat qu’elle mène depuis vingt-trois ans, Sonia Eid n’est pas pour autant prête à baisser les bras. « Je veux savoir si mon fils est vivant ou mort », affirme-t-elle, soulignant que les dissensions créées autour du projet de décret proposé par le ministre démissionnaire de la Justice, Chakib Cortbaoui, pour former une commission nationale indépendante pour les victimes de disparition forcée « nous ont fait perdre une chance en or ». « Maintenant, notre cause est divisée, constate-t-elle. Si seulement on prenait en considération le fait qu’il y a plus de 600 Libanais en Syrie ! Qu’attend l’État libanais pour réclamer leur libération ? Le jour où nous aurons un vrai État, nous pourrons espérer un dénouement à notre cause. Malheureusement, nous n’avons que des responsables qui ne pensent qu’à conserver leurs postes. »


Observant un moment de silence, Sonia Eid reprend : « Je suis prête à tout accepter, mais il me faut des résultats tangibles. Si Jihad est mort, je veux les preuves qu’il l’est. S’il est encore en vie, je veux le revoir. L’idée qu’il soit mort ne m’a jamais effleurée, mais le cauchemar a trop duré. Vingt-trois ans d’attente et d’incertitude. Quel gouvernement au monde accepte qu’un sit-in dure plus de huit ans sans qu’il ne cherche à trouver une solution ? Beaucoup de parents sont morts sans pouvoir revoir leurs proches. C’est injuste. »


Sonia Eid souligne qu’elle a effectué à plusieurs reprises le trajet Beyrouth-Syrie à la recherche d’une information concernant son fils. « Jusqu’en 2002, j’ai toujours eu des certitudes qu’il était toujours en vie, confie-t-elle. Si les familles acceptent de former une délégation pour se rendre à Damas, je me joindrai à elles. Mais cela est malheureusement difficile, vu la situation en Syrie. Je veux qu’on m’emprisonne avec Jihad dans la même cellule. Je veux être à ses côtés. »



Les données de Solide sont véridiques
« L’amnistie présidentielle syrienne n’a jamais englobé les détenus libanais en Syrie, pour la simple raison que les autorités syriennes n’ont jamais reconnu leur existence dans leurs geôles », commente pour sa part Ghazi Aad, porte-parole de Solide. La position de l’ambassadeur de Syrie ne nous a donc pas surpris. Néanmoins, elle ne change en rien la vérité selon laquelle les services de renseignements syriens, à l’instar de nombreuses milices alors présentes, ont effectué des arrestations arbitraires et commis le crime de disparition forcée sur le territoire libanais. D’ailleurs, les détenus qui ont été libérés des prisons syriennes en 1998 et en 2000, et ceux qui ont pu sortir d’une manière clandestine confirment que les données que détient Solide sont véridiques. Nous avons une liste de plus de 600 noms. Nous n’aurons pas de répit avant de connaître leur sort. »

 

 

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