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Détenus libanais en Syrie : un calvaire qui n’a que trop duré

Zoom sur la Convention internationale pour la protection contre les disparitions forcées

Gabriella Citroni : « Le nombre de personnes portées disparues ne compte pas. Nous parlons de vies humaines. Une personne disparue est déjà de trop. »

Le Liban figure au nombre des 91 États membres des Nations unies qui ont signé à ce jour la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, adoptée le 20 décembre 2006, ouverte à la signature le 6 février 2007 et entrée en vigueur le 23 décembre 2010.
Le Liban n’a toutefois pas encore ratifié cette convention, bien que les gouvernements qui se sont succédé depuis (les gouvernements de, Saad Hariri, Fouad Siniora et Nagib Mikati) se soient engagés à le faire dans la déclaration ministérielle. Pourtant, il s’agit d’un premier jalon d’une série de démarches légales susceptibles de faire la vérité sur le sort de milliers de personnes victimes de disparition forcée, au nombre desquels figurent les détenus libanais en Syrie.
« À cette date, seuls trente-sept pays ont ratifié la convention », souligne à L’Orient-Le Jour Gabriella Citroni, chercheuse en droit international et professeure en droit international des droits de l’homme à l’Université de Milan-Bicocca, en Italie, ayant longtemps travaillé sur le dossier des victimes de disparition forcée dans le monde, notamment en Amérique latine et en Bosnie. « C’est un chiffre très modique, fait-elle remarquer. La disparition forcée est un sujet très délicat puisque, dans de nombreux pays, ce crime continue d’être commis de nos jours. Ces États ne sont donc pas prêts à ratifier la convention. De plus, dans certains pays, les disparitions forcées ont été commises dans le passé, mais le problème n’est pas encore résolu, comme le cas du Liban. Pour d’autres pays enfin, les disparitions forcées constituent un outil utile. C’est un crime presque parfait si un jour on a besoin de faire éliminer un opposant politique. Même en Europe, peu de pays ont ratifié la convention. Au Moyen-Orient, seul l’Irak l’a fait. »
Gabriella Citroni explique que d’un point de vue légal, lorsqu’un pays signe une convention, « cela sous-entend qu’il exprime sa volonté de devenir un parti de la convention, mais la signature ne l’engage pas à respecter ses dispositions ». « Néanmoins, tous les pays signataires se doivent de n’entreprendre aucune action qui pourrait entraver l’objectif de la convention, qui est celui d’empêcher les disparitions forcées et d’aider les familles des victimes de ce crime », poursuit l’experte. Ce qui n’est malheureusement pas le cas du gouvernement libanais qui, jusqu’à ce jour, n’a pas adopté une mesure sérieuse susceptible d’aider les familles.

De nouveaux concepts des droits de l’homme
En visite récemment au Liban dans le cadre d’une conférence organisée par la Fédération euro-méditerranéenne contre les disparitions forcées (Femed) et le Centre libanais des droits humains (CLDH) sur ladite convention, Gabriella Citroni affirme que cette convention « instaure de nouveaux concepts des droits de l’homme ».
Le premier droit instauré est celui de chaque personne à ne pas être victime de disparition forcée. « Ce droit est indérogeable, affirme l’avocate. Par conséquent, la sécurité nationale, la guerre, l’état d’urgence... ne peuvent être des prétextes pour commettre des disparitions forcées. Cela semble être évident, mais la communauté internationale a mis trente ans avant de reconnaître ce droit. Il ne faut pas oublier que la disparition forcée constitue une violation à de multiples droits de l’homme, comme le droit à la vie, à la liberté, à la sécurité... La disparition forcée est un crime qui peut être commis de manière à constituer un crime parfait. »
Gabriella Citroni rappelle que le besoin de reconnaître ce crime remonte à la fin des années 1970 en Amérique latine. « À cette époque, le concept de disparition forcée n’existait pas encore, explique-t-elle. On parlait de détenus disparus. Le nombre de familles rapportant ce genre de disparition à la police augmentait. On ne savait toutefois pas sous quel chapitre il fallait caser ce genre de plaintes, d’autant qu’il ne s’agissait pas de rapt, aucune rançon n’ayant été demandée, ni de torture, aucune preuve n’ayant été trouvée, ni de meurtre, puisqu’il n’y avait pas de corps. Les familles des victimes ont alors commencé à revendiquer la mise en place d’une convention qui reconnaîtrait la disparition forcée et qui la définit. Il est vrai que la disparition forcée englobe la torture, le rapt et le meurtre, mais ces pratiques constituent en fait des segments d’un crime qui doit être reconnu dans son intégrité. »
La convention définit la disparition forcée comme étant « l’arrestation, la détention, l’enlèvement ou tout autre forme de privation de liberté par des agents de l’État, ou par des personnes ou des groupes de personnes qui agissent avec l’autorisation, l’appui ou l’acquiescement de l’État, suivi du déni de la reconnaissance de la privation de liberté ou de la dissimulation du sort réservé à la personne disparue ou du lieu où elle se trouve, la soustrayant à la protection de la loi ». Est également considérée victime de ce « crime » toute personne qui « souffre d’un préjudice direct du fait d’une disparition forcée, à savoir les familles des disparus ».

Le droit à la vérité et à la réparation
La convention instaure également le droit à la vérité, « ce qui est une première dans le cadre d’un traité international de droits de l’homme », ainsi que le droit à la réparation « non seulement financière, mais aussi humaine, dans le sens de la réhabilitation de la dignité et de l’honneur de la personne victime de disparition forcée », insiste Gabriella Citroni.
L’avocate note en outre que ladite convention prévoit des dispositions pour prévenir la disparition forcée, comme le fait de tenir « à jour un ou plusieurs registres officiels et/ou dossiers officiels des personnes privées de liberté, qui sont, sur demande, rapidement mis à la disposition de toute autorité judiciaire » nationale ou internationale. « Cela est crucial puisque souvent la disparition forcée commence par une arrestation légale, constate Gabriella Citroni. Si l’on intervient à temps, c’est-à-dire si on réussit à faire comparaître la personne arrêtée devant le tribunal dans les quarante-huit heures qui suivent l’arrestation, on pourrait sauver des vies. »
Dans le cadre de la convention, enfin, un comité des disparitions forcées, composé de dix experts, est institué au sein des Nations unies. Au nombre de ses fonctions, « le pouvoir d’être saisi, en urgence, par les proches d’une personne disparue ».
Fervente défenseuse des droits de l’homme, Gabriella Citroni fait remarquer que le nombre de personnes portées disparues ne compte pas. « Nous parlons de vies humaines, martèle-t-elle. Une personne disparue est déjà de trop. La sensibilisation au problème constitue donc un premier pas vers une solution, et la société civile a un important rôle à jouer à ce niveau. Les arguments selon lesquels ces crimes ne sont pratiqués que dans des régions périphériques ne sont pas valables. Les disparitions forcées ont été commises en Europe, en Amérique latine, au Moyen-Orient. Elles se poursuivent actuellement en Colombie et au Mexique, et sont pratiquées en masse en Asie. Donc, la convention peut aider à freiner ces crimes et à résoudre les dossiers en suspens dans différents pays. Il faut toutefois être réaliste, les choses ne peuvent pas changer du jour au lendemain. Le travail qui doit être entrepris est de longue haleine. Il nécessite plusieurs années. Mais le fait de ratifier la convention constitue déjà un premier pas pour changer la situation. »
Le Liban figure au nombre des 91 États membres des Nations unies qui ont signé à ce jour la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, adoptée le 20 décembre 2006, ouverte à la signature le 6 février 2007 et entrée en vigueur le 23 décembre 2010.Le Liban n’a toutefois pas encore ratifié cette convention, bien que les...