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Nos Lecteurs ont la Parole

II.- La reconnaissance mutuelle des normes religieuses, alternative possible à la laïcité ?

Par Rayan HAYKAL
En quoi consiste réellement la reconnaissance mutuelle ? Établi dans le cadre de l’Union européenne, ce principe « assure la libre circulation des marchandises et des services sans qu’il ne soit nécessaire d’harmoniser les législations nationales ». La reconnaissance est devenue une solution alternative aux différentes dispositions législatives ou réglementaires d’harmonisation jugées trop coûteuses, trop compliquées et constituant un frein au libre-échange. Elle fonctionne selon le principe « valable dans une juridiction, valable dans toutes juridictions » (voir L’Orient-Le Jour du mardi 12 février 2013).
Les caractéristiques principales de ce système se résument comme suit :
l Il existe dans ce système autant de producteurs que de produits. Les institutions productrices de contrats de mariage sont en concurrence les unes avec les autres. Chaque produit-contrat porte la marque de l’établissement qui le propose, ce qui confère un pouvoir monopolistique à chacun des producteurs. Le contrat est suffisamment malléable pour que la différenciation soit possible. Sa valeur est déterminée par les préférences des contractants, autrement dit les personnes s’échangeant des droits de propriété sur leur corps et leurs fonctionnalités.
l Ces contrats-produits sont facilement échangeables sur le marché du mariage. Certains contrats sont suffisamment standardisés qu’ils deviennent exportables comme le contrat civil. D’autres sont suffisamment spécifiques qu’ils font l’objet d’un contrat local (un produit du particularisme culturel). La qualité de chaque produit est déterminée par les fluctuations de sa demande, les variations de la demande des produits similaires et le prix du contrat. Ce prix n’est pas une variable indicatrice de la rareté de ce bien (comme pour n’importe quel bien économique), mais plutôt de la place que tient ce type spécifique de contrats dans les préférences des contractants.
l À l’instar de la détermination de la qualité des produits où des standards techniques évaluent le respect de certaines normes de sécurité et de validité des produits, il serait possible d’évaluer la qualité des contrats de mariage sur la base d’un ensemble de normes : les contrats qui n’obéissent pas à ces normes seraient rejetés du marché. Les normes sont mesurables de manière objective : le respect des droits de la femme, la garde et l’éducation des enfants, la répartition des tâches ménagères, le financement des dépenses du ménage, la durée du mariage, la répartition des actifs familiaux en cas de dissolution...
l La reconnaissance mutuelle des normes religieuses permet d’éviter la conversion, car chaque couple aura le droit « d’acheter » le contrat de son choix sans changer de religion. Cela permet aux couples d’améliorer leur utilité et aux communautés religieuses d’augmenter leur part de marché.
Ainsi, la reconnaissance mutuelle permet de pousser la structure concurrentielle du marché de mariage à son extrême et d’éviter une laïcisation des statuts personnels dans les pays multiconfessionnels comme le Liban. Au lieu de remplacer le système juridique éclaté actuel par un droit civil monopolisé entre les mains de l’État, la reconnaissance mutuelle propose une solution alternative en contractualisant le mariage religieux et le rendant à la disposition de tous.
La gestion de la diversité religieuse accorde un rôle primordial au droit face aux manigances politiques et à l’immobilisme religieux. Il faudrait énormément d’inventivité et d’audace pour instaurer une politique de « bon voisinage » entre les religions tant que la culture d’union nationale est encore embryonnaire dans l’esprit des Libanais et que leur vision de l’État reste personnalisée, mutilée, sans une définition claire de cet État libanais qui ne cesse de se chercher une raison d’être et des frontières mal tracées par les appartenances multiples aux mondes arabe et occidental, aux religions monothéistes, aux pratiques de modernisation et de conservatisme.
Avec la révocation de l’édit de Nantes (1598), la devise adoptée était : une foi, une loi, un roi ! En ce qui concerne le Liban, la devise devrait quelque peu être modifiée. Un État central, puissant, souverain, démocratique et prospère serait une nécessité pour la constitution du Liban, la protection des citoyens et la définition de son rôle sur le plan économique et international. Des fois multiples, diverses, mettant en exergue les croyances de chacun, dans le respect des droits de l’homme et l’élimination des formes de discrimination, permettraient aux Libanais de s’épanouir et de se définir par des religions qui ne les condamnent pas à un conservatisme désuet. Reste la loi ! Pourquoi une loi ? Des lois, plusieurs lois, des contrats, des mécanismes marchands feraient l’affaire en instaurant une compétition entre les « producteurs » de lois et une concurrence qui chercherait à tout prix la satisfaction et le bien-être des citoyens.

Rayan HAYKAL
haykal@usj.edu.lb
Maître de conférences
Faculté de sciences économiques
Université Saint-Joseph
Beyrouth
En quoi consiste réellement la reconnaissance mutuelle ? Établi dans le cadre de l’Union européenne, ce principe « assure la libre circulation des marchandises et des services sans qu’il ne soit nécessaire d’harmoniser les législations nationales ». La reconnaissance est devenue une solution alternative aux différentes dispositions législatives ou réglementaires...

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