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Nos Lecteurs ont la Parole

I.- Le printemps arabe : un point de vue

Par Georges SAAD
Il y a deux ans, le président américain Barack Obama avait dit sa volonté d’encourager la démocratie au Moyen-Orient. Beaucoup dans le monde arabe l’ont considéré comme un doux rêveur vu la dictature qui sévissait dans presque tous les pays arabes, à des degrés différents, excepté le Liban. Il y a deux ans à peine, personne dans le monde arabe ne pensait que Hosni Moubarak et Ben Ali pourraient avoir le destin qu’ils ont eu. Car le monde arabe ne connaissait pas encore le concept « dégage ». Il connaissait un autre concept : je suis là et je reste jusqu’à ma mort.
La même chose peut être dite sur Mouammar Kadhafi et Ali Abdallah Saleh. Quant à Bachar el-Assad, les jours à venir détermineront son avenir. Le Yémen a déjà basculé.
On ne peut que constater au stade actuel que le discours occidental a changé. Dans la période précédant le printemps arabe, les pays occidentaux ne disaient mot en général sur la nature dictatoriale des régimes arabes. Ils en étaient en quelque sorte objectivement complices. L’ampleur de la révolte a obligé ces régimes occidentaux à changer leur stratégie. Mais il est fort simpliste de dire que l’Occident encourageait l’absence de démocratie. Il en profitait passivement, ce qui est très différent.
Devant ces changements radicaux les Israéliens considèrent que l’environnement politico-stratégique change dans un sens qui ne leur est pas favorable. Ils ont tort à mon avis. Ils devraient en être ravis. L’ébranlement des autocraties alentour sera bénéfique pour Israël.
Pour les Israéliens les futurs régimes arabes seront plus hostiles. « Ils seront moins perméables aux injonctions occidentales, plus sévères à l’égard des États-Unis et de l’Europe sur la question palestinienne » (Le Monde). Il est vrai aussi que depuis les révoltes arabes certains hauts fonctionnaires ne désignent plus Israël que comme « l’ennemi » et que des attaques armées contre Israël ont commencé (le sabotage du gazoduc égyptien alimentant Israël et la Jordanie). Il y a aussi la peur légitime des Frères musulmans, parrains idéologiques des islamistes palestiniens du Hamas. Du côté du nord, le parti de Dieu libanais n’est pas une formation politique ordinaire. C’est une armée qui disposerait de 24 000 à 36 000 missiles. Il ne manquait plus que l’annonce d’un accord de réconciliation entre le Fateh et le Hamas pour renforcer la peur israélienne. Je répète qu’Israël devrait se réjouir puisque, sur le long terme, il ne peut vivre en paix que dans un entourage qui respecte la liberté, les droits de l’homme, la notion d’État de droit, à la condition bien entendu qu’il reconnaisse lui aussi les droits légitimes du peuple palestinien. Je pense que ces révoltes uniques qui se déclenchent dans le monde arabe, avec effet boule de neige, se font dans cet état d’esprit, toutes proportions gardées.
Je pense que les raisons de ce bouleversement dans le monde arabe sont multiples. Mais j’aimerais mettre en relief les plus importantes.
1.- Les Arabes ont beaucoup souffert de leurs régimes et des pratiques autoritaires. Or le peuple arabe est de par son histoire un peuple révolutionnaire. Tous les Arabes se sont révoltés à un moment de leur histoire contre les occupants et leurs propres régimes. Leur passé est ponctué de révoltes et de moments de gloire. Toutefois la violence exercée par les pouvoirs en place a retardé cette révolte.
2.- L’ouverture sur l’extérieur suite à la révolution technologique qui a fait du monde un grand village. Les nouvelles du monde évolué pénètrent dans les foyers via la télévision et l’Internet. Une bonne partie des Arabes a ouvert les yeux sur un autre mode de vie, sur la possibilité de dire au chef qu’il s’est trompé, sur la nécessité de l’alternance politique.
Les nouvelles technologies ont donc beaucoup aidé : télévision par satellite, téléphone mobile, réseaux sociaux d’Internet. C’est la « révolution Facebook » ou « révolution Twitter ». Le développement des technologies de l’information et de la communication permet une circulation rapide et dense de l’information entre de très nombreux utilisateurs. Les dictateurs arabes, en général peu informés à ce niveau, n’ont pas réussi à contrôler ce flux. Ils se sont toujours servis des technologies pour réprimer leurs peuples. Les chars et les avions de combat n’ont rien pu faire devant le cellulaire qui prend des photos et des vidéos envoyées en quelques minutes dans le monde entier. Les versions officielles relayées par les médias locaux sur les bandes de terroristes barbus ont été rapidement démenties. C’est finalement tout un peuple qui se soulève, toute une jeunesse qui n’a plus peur de rien. Il y a un seuil à partir duquel on ne peut cacher la vérité. L’Occident, tout impérialiste et profiteur qu’il soit, a rompu il y a longtemps avec ces pratiques moyenâgeuses. Vive l’Occident, Vive France 24 ! ont scandé les foules. Secondaires deviennent les ventes d’arme à la Libye par Sarkozy, par l’Allemagne et l’Italie. On a vendu des chars pour gagner du fric, non pour les voir écraser les corps d’étudiants.
3.- Je pense que les révoltes qui se sont produites dans le monde arabe ont un rapport avec le concept anarchiste de spontanéisme révolutionnaire dans le sens que Kropotkine l’entendait. Dans ce sens le spontanéisme est très organisé, contrairement à des idées-préjugés.
L’action des masses arabes dans ce printemps s’inscrit dans une démarche subversive. Et la subversion contamine. Elle vise à déstabiliser un pouvoir pour faire basculer une population et tuer sa peur. Le peuple arabe a fait son deuil de la peur.
4.- Bien sûr les difficultés économiques ont joué un rôle primordial. La crise économique de 2008 est venue aggraver une situation déjà catastrophique. La médiocrité des gouvernements arabes, insensibles à la pauvreté, a hâté les révoltes.
5.- Une lutte laïque
Les Arabes sont devenus moins aliénés et superstitieux. Et le choix du vendredi pour manifester était motivé par la nécessité de rassembler le plus de monde possible en un jour consacré à prier. Cette fois, le printemps arabe a instrumentalisé Dieu en utilisant la même arme que le pouvoir. Certes, la présence des islamistes étaient importante, mais au niveau des luttes créatives, les laïques étaient plus nombreux encore.

Georges SAAD
Professeur à la faculté de droit, Université libanaise
Il y a deux ans, le président américain Barack Obama avait dit sa volonté d’encourager la démocratie au Moyen-Orient. Beaucoup dans le monde arabe l’ont considéré comme un doux rêveur vu la dictature qui sévissait dans presque tous les pays arabes, à des degrés différents, excepté le Liban. Il y a deux ans à peine, personne dans le monde arabe ne pensait que Hosni Moubarak et Ben...
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