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Nos Lecteurs ont la Parole

Pourquoi

Joëlle J. RABBAA
On attend de nous que l’on soit fort, que l’on soit victime, que l’on soit paria, bourreau, modèle, sage, sauvage, artiste, possesseur, menteur, labial, maître, esclave. On attend de nous que l’on continue, que l’on arrête, qu’on répète, bref que l’on soit prête... à tout !
Mais nous, qu’attendons-nous de nous-mêmes ? Qu’attendons-nous de la vie.
Je vis ma vie en émerveillement, en découverte. Mais de découverte en découverte, je me suis couverte d’éclats, d’éclaboussures. De moi. Des autres. Des autres que j’ai vus, que j’ai connus, que j’ai laissés, qui m’ont laissée.
Je me suis couverte de découvertes, d’arrêts, de bus et de terminus.
On se demande pourquoi on est là, pourquoi on vit et surtout pourquoi on survit. Mais personne n’a de mots, de couverts, d’artères en trop, pour pouvoir mettre en lettres ce pourquoi amer et éphémère.
On se demande pourquoi, mais on continue, on danse, on se balance sur la falaise du « non » et de l’abandon.
On en rit, on en frissonne, on en vient même à en parler des heures au téléphone. À une copine, qui se dandine d’ennui et d’incompréhension féminine.
Mais le pourquoi est là, bref certes, mais là. Il se faufile dans nos larmes et nos combats. Il se tient, sournois, caché par des certitudes et des attitudes décontractées. Par des gestes grands et des sourires froissés. Ce pourquoi si minuscule, si fragile qui, au moindre coup d’œil, se défile. On le regarde en face, il s’évapore, ce cher pourquoi millénaire qui nous dévore. Il s’en va dès qu’on a un fou rire, dès qu’on est amoureux ou qu’on délire.
Il s’en va trouver un toit, sous une porte cochère, ou même au creux d’une main adultère. Il disparaît si bien que l’on se demande si on l’a bien vu, s’il était vraiment présent ou bien si on a eu l’impression de l’avoir vu.
Sitôt qu’on l’oublie, il réapparaît. Ce cher pourquoi farfelu et coquet. Il réapparaît tel qu’on se le rappelle, libre, fougueux et infidèle. Il réapparaît dès qu’on n’a plus rien à se dire, dès qu’on active un seul souvenir. Il réapparaît et s’installe : « Voilà je suis là », et nous meurtrit jusqu’au dernier soupçon d’idéal.
Pourquoi grandit et se nourrit de nos fuites, de nos oublis. Pourquoi est là, vif et matinal. Il frappe à notre porte, fier d’avoir pu résister à tous les souvenirs chers. Prêt à nous rappeler que l’on est vain, qu’on est humain. Ce pourquoi agile et malin s’attaque à nos vies, à nos chemins. Et on l’attend. On est là. On respire, mais on ne bouge pas. Pourquoi se fortifie, il ne se défile plus. Il a confiance en lui, il sait qu’on l’a vu. Alors pour la première fois il nous confronte, il nous parle, il dit qu’il a honte. De nous. De nos vies. De nos désirs mous et de nos envies. Il parle et il hausse le ton. Ce cher pourquoi idéal, qui nous traite de tous les noms.
Il s’arrête à notre lâcheté, à nos conforts, il tape, il crie de sa voix de ténor. Et on l’écoute, on rapetisse. On baisse les yeux et on glisse dans les rôles qu’on attend de nous.
On attend de nous qu’on soit droit, qu’on soit franc. On attend que l’on force les combats, qu’on soit grand. Alors on grandit, on se fortifie. On ment et on reprend... ce qu’on attend de nous.
Et pourquoi fléchit de nouveau, il vacille et tombe dans nos mémoires à coups de peines et de défauts.

Joëlle J. RABBAA
On attend de nous que l’on soit fort, que l’on soit victime, que l’on soit paria, bourreau, modèle, sage, sauvage, artiste, possesseur, menteur, labial, maître, esclave. On attend de nous que l’on continue, que l’on arrête, qu’on répète, bref que l’on soit prête... à tout ! Mais nous, qu’attendons-nous de nous-mêmes ? Qu’attendons-nous de la vie.Je vis ma vie...

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