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Nos Lecteurs ont la Parole

La vocation du guide

Par Pr Mounir CHAMOUN
Pour grands que soient les rois, ils sont ce que nous sommes
Et peuvent se tromper comme les autres hommes

Pierre Corneille

Il aura fallu dix-neuf siècles pour que l’Église catholique proclame le dogme de l’infaillibilité pontificale en 1870, au cours du premier Concile du Vatican, consommant ainsi la rupture avec l’Église orthodoxe qui contestait déjà la primauté universelle de Pierre et mettait en question le filioque. Cette infaillibilité est toutefois limitée, faut-il le souligner, à l’enseignement dogmatique du pape parlant ex cathedra et dont il est fait usage d’une manière relativement parcimonieuse. Le gouvernement central de l’Église, comme d’ailleurs par contagion, de la majorité des institutions religieuses, est loin d’être démocratique et s’inspire très souvent de la pratique des monarchies de droit divin. Il n’est pas étonnant de rencontrer des responsables de congrégations ou même d’établissements religieux se comportant parfois comme s’ils avaient la science infuse ou que leur grâce d’état les mettait à l’abri de toute erreur de discernement ou de décision.
Au cours de sa visite pastorale au Liban-Sud, notre patriarche a souhaité que l’on se réfère désormais uniquement à ce qu’il dit et non à ce qui paraît dans la presse qui déforme propos et déclarations, en les tronquant ou en les situant hors contexte. Il a également affirmé qu’il se situait hors de toute politique. Aux États-Unis et en particulier à New York, l’éminent prélat est revenu sur ce thème et proclamé urbi et orbi un ensemble de convictions qui ne peuvent être que hautement politiques. Sinon, il faut bien se demander ce qu’est la politique !
La politique politicienne est dans l’événementiel, collée au circonstanciel, le hic et nunc du quotidien. La hauteur politique se situerait dans les principes et dans le souffle de l’Esprit. Quoi de plus étroitement politique que les propos relatifs à la situation en Syrie et en particulier à celle de Bachar el-Assad ou ce qui fut dit des armes du Hezbollah et de la justification de la soi-disant Résistance ? Pourquoi dès lors ce silence, dans le périple du Sud, sur les dérives du Hezb et de sa confiscation, partout, du pouvoir de l’État ? Pourquoi affirmer aux États-Unis que si le Hezb remettait ses armes « ce serait un beau cadeau » pour tout le monde ?
Il y a certes beaucoup de sujets, dans ce Liban agité et meurtri, sur lesquels un chef spirituel, à qui est impartie une très lourde responsabilité nationale, pourrait se prononcer. Oui, mais au niveau des principes. Ne glissons pas dans la confusion courante, inaugurée par le Hezbollah, qui mêle aisément le politique, le militaire et le spirituel dans un syncrétisme des plus inquiétants et des plus pervers. Notre patriarche, pour qui nous devons respect et obédience spirituelle, est d’abord et surtout un guide qui définit les orientations dans lesquelles, chacun, quelles que soient ses convictions, devrait pouvoir se reconnaître, parce qu’elles seraient uniquement assises sur les valeurs humaines et spirituelles fondamentales, sur la dignité de l’être humain et de tout ce qui fonde la paix entre les citoyens pour une vie commune saine. Les valeurs essentielles, dont le patriarche devrait être le thuriféraire, sont tout simplement celles qui fondent et qui perpétuent la nation, la terre, le pays, l’État.
1. Tout d’abord la nation libanaise. Cette nation toujours à créer, faite de diversité, de tensions contradictoires, de blessures archaïques, mais au sein de laquelle, à chaque instant, peut resurgir une personne humaine aux dimensions de l’univers et gage d’une créativité qui honore le passé, le présent et l’avenir.
2. Puis cette terre que nos pères ont défendue, à travers les siècles, pour y instaurer une civilisation singulière et un rapport de l’homme au sol et à la nature, scellé par le sang autant que par la fidélité pérenne.
3. Et cette démocratie fragile, tremblante, qui permet malgré tout au citoyen de participer à la vie publique en y exprimant une opinion personnelle, bien qu’encore fortement hypothéquée.
4. Et ce territoire exigu où la pensée, malgré toutes les vicissitudes, peut encore rester libre et s’exprimer diversement, ostentatoirement.
5. Et cette liberté de croire, d’adhérer, d’adorer, de prier, d’espérer quand l’attente est nourrie par des valeurs transcendantales incontestées.
Cela fait bien longtemps que l’on évoque la résurrection souhaitée de l’État de droit et des institutions. L’État du Grand Liban, œuvre d’un patriarche illustre, dans les premières décennies du siècle dernier, c’est bien cet État qui est le patrimoine imprescriptible du patriarcat maronite, lieu d’élection d’une chrétienté paradigmatique et socle de la lignée du Christ en Orient.
Charisme et communication ont donné à l’Église catholique et à la chrétienté dans son ensemble, sous Jean-Paul II, l’éclat qui lui a valu l’adhésion des jeunes, dans un nouveau souffle créateur. La communication est plus qualitative que quantitative. Parce que le quantitatif noie le qualitatif et matraque l’esprit pour le pervertir comme sait le faire la publicité commerciale en induisant chez le sujet des comportements réflexes. Et la politique événementielle, celle des tribuns et des meneurs de foule, est davantage faite pour persuader que pour convaincre, par le verbe haut et les effets de manche. C’est Carl Gustav Jung, le grand psychanalyste zurichois, qui affirmait que le « fanatisme est la compensation du doute ». Certes, nous avons besoin que le message essentiel soit souvent répété pour être entendu et orienter les conduites. Mais de la manière la plus discrète, s’il doit aller droit, autant au cœur qu’à l’esprit. Proclamer valeurs et principes, c’est la vocation du guide, sa fonction pérenne. Et parce que le langage, pour Paul Valéry comme pour chacun de nous (« Honneur des hommes saint langage ! », disait-il), est le plus noble attribut de notre humanité, il faut certainement parler moins, pour mieux parler.
Pour grands que soient les rois, ils sont ce que nous sommesEt peuvent se tromper comme les autres hommesPierre CorneilleIl aura fallu dix-neuf siècles pour que l’Église catholique proclame le dogme de l’infaillibilité pontificale en 1870, au cours du premier Concile du Vatican, consommant ainsi la rupture avec l’Église orthodoxe qui contestait déjà la primauté universelle de Pierre...

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