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Liban - Social

Le Liban, escale sur la route de l’exil des chrétiens irakiens

Depuis l'attentat contre la cathédrale de Bagdad en octobre dernier, 50 familles chrétiennes irakiennes trouveraient chaque mois refuge au Liban, escale provisoire dans l'attente d'une nouvelle vie aux États-Unis, au Canada ou ailleurs. Mais au Liban, leur situation est précaire. Sans aucune existence légale, ils doivent surmonter des difficultés d'ordre financier et sécuritaire. Enquête.

Azad Iliyah et sa famille ont fui les persécutions à Bagdad pour trouver refuge au Liban avant de partir pour les États-Unis.

Ses deux petits enfants de deux ans sur les genoux, Azad Iliyah est assis sur une chaise en plastique dans la pièce unique du logement qu'il occupe avec sa famille à Sed el-Bauchrieh, dans la banlieue est de Beyrouth. Sa valise encore pleine à ses pieds, un crucifix accroché au mur d'en face, il vient de quitter Bagdad il y a à peine deux semaines pour rejoindre sa fille installée depuis quatre mois au Liban. Ce n'est pas sans regret qu'il s'est résigné à quitter son pays : « Je ne pouvais plus rester. J'ai reçu des menaces de mort après avoir témoigné dans un reportage télévisé sur l'Église la plus ancienne de Bagdad, dans laquelle je travaillais comme intendant. C'est pour éviter qu'on s'en prenne à ma plus jeune fille, pas encore mariée, que je me suis résolu à partir. » Il embarque alors avec lui sa femme, ses 2 enfants et sa mère, et laisse derrière lui une de ses filles, mariée il y a tout juste deux mois. Direction Beyrouth, où il est accueilli par sa fille, son mari, leurs deux jeunes enfants, et la belle-mère de sa fille. Ils sont maintenant dix personnes à vivre dans une pièce d'une dizaine de mètres carrés. Les matelas de mousse sont posés contre le mur.
Les chrétiens irakiens ont commencé à fuir l'Irak après la chute de Saddam Hussein, victimes des violences intercommunautaires. Ils étaient près d'un million avant l'invasion américaine de 2003. Aujourd'hui, leur nombre est estimé à 450 000, soit moins de 2 % de la population. Pour le père maronite Nader Abi Nader, qui s'occupe des réfugiés irakiens avec l'association Lo Tedhal, « la guerre des Américains en Irak est perçue comme une nouvelle croisade par des groupes salafistes qui amalgament les chrétiens d'Irak avec les nouveaux occupants ».
L'exode des chrétiens d'Irak s'est accentué depuis l'attentat contre la cathédrale du Perpétuel Secours à Bagdad le 31 octobre dernier, dans lequel 43 fidèles ont péri. « Dans mon quartier, Dora, situé en périphérie de la capitale irakienne, il y avait 60 % de chrétiens ; aujourd'hui, il en reste moins de 5 % », se souvient Azad Iliyah. Quant au professeur d'anthropologie, Raphaël Koupaly, qui a fait des études de théologie à Bagdad, il explique qu'« il y avait sept églises à Dora : deux ont été réquisitionnées par les Américains à leur arrivée. Une autre a été détruite dans un attentat dès le début de la guerre. Deux ont été mises hors d'usage. Une a subi par trois fois des attentats à l'explosif. Elle a finalement été brûlée. Il n'en reste plus aujourd'hui qu'une en activité ».

Pas d'afflux massif de réfugiés irakiens
Toutes confessions confondues, on estime à deux millions le nombre d'Irakiens ayant cherché refuge dans les pays voisins de la région. Les ONG estiment qu'ils sont 50 000 au Liban. Le Haut-Commissariat pour les réfugiés des Nations unies (HCR) à Beyrouth en a enregistré 8 200 comme réfugiés et considère que ce chiffre est un bon reflet de la réalité.
Sur les 250 individus enregistrés au HCR en décembre 2010, 72 % sont des chrétiens. Sur l'année 2010 dans son ensemble, 69 % des 3 300 Irakiens qui se sont présentés au HCR sont de confession chrétienne. Ce qui fait dire à Ziad Ayad, responsable des relations externes au HCR, qu'« on ne peut pas parler d'afflux massif de chrétiens depuis l'attentat, mais d'augmentation. Il est encore trop tôt pour avoir une idée claire de la situation ». Les ONG dressent le même constat. L'association Amel gère trois centres d'accueil pour les réfugiés irakiens dans la banlieue sud de Beyrouth. Elle constate que la plupart des arrivants de 2010 sont chrétiens.
Lorsqu'ils quittent leur pays, les Irakiens ne laissent rien derrière eux. Ils vendent tout, le plus discrètement possible. « Quand les groupes salafistes apprennent qu'un chrétien projette de partir et cherche à vendre ses biens, il n'est pas rare qu'ils détruisent la maison pour la rendre invendable. J'ai eu connaissance de nombreux cas de ce genre », explique Raphaël Koupaly. Azad Iliyah a, lui, vendu sa maison à son voisin chiite sans que son autre voisin sunnite ne le sache. Il a pu avec l'argent payer le voyage en avion de sa famille jusqu'à Beyrouth et subvenir à leurs besoins à leur arrivée.
Les raisons qui poussent les Irakiens à poser - provisoirement - leurs valises au Liban sont diverses. Beaucoup suivent la route tracée par des frères, des sœurs, des cousins, des parents qui ont fait escale dans le pays avant de partir vers d'autres horizons. D'autres mettent en avant le fait qu'on y parle arabe. Azad Iliyah affirme se sentir en sécurité dans un environnement chrétien, après les menaces qu'il a reçues en Irak. « Les réfugiés sont marqués psychologiquement par les situations de violence qu'ils ont vécues en Irak. On perçoit au quotidien des signes d'anxiété, un peu de dépression », témoigne Cynthia Aoun, dont l'association Amel mène des activités de soutien psychologique.

Concierge, ouvrier du bâtiment, femme de ménage
La majorité des Irakiens espère trouver un travail au Liban. Très vite, ils se rendent compte que ce n'est pas chose aisée. « La situation est déjà difficile pour les Libanais. Alors pour les Irakiens... » constate le père Abi Nader. Dans les faits, les Irakiens, anciens professeurs, ingénieurs, techniciens se retrouvent dans des emplois sous-qualifiés de gardiennage, dans les secteurs du bâtiment ou du nettoyage.
Alice, la fille de Azad Iliyah, vient de déposer sa candidature de professeur d'anglais dans une école du quartier. Chez elle, personne ne travaille, et les ressources de la famille s'amenuisent vite. Anouar Mikhael, jeune père de famille chrétien irakien arrivé au Liban en juillet 2009, a trouvé du travail comme ouvrier journalier dans une multinationale agroalimentaire. Mais il perçoit un salaire largement inférieur à celui de ses collègues libanais. « Les patrons libanais n'ont aucune difficulté à employer des travailleurs égyptiens, syriens ou irakiens au noir », explique Cynthia Aoun, de l'association Amel. « Très peu d'employeurs régularisent la situation de leurs employés en leur assurant un permis de travail (autour de 2 000$). »
Les réfugiés irakiens se retrouvent rapidement confrontés à des difficultés financières. Un décret du ministère de l'Éducation rend l'inscription des enfants irakiens dans les écoles publiques gratuite, ce qui soulage un peu la famille. « Ce sont des réfugiés urbains. Ils ne sont pas installés dans des camps. Ils ont donc beaucoup de dépenses, payer la location de leur logement, l'eau, l'électricité... » explique Cynthia Aoun, qui relate le cas d'enfants qui quittent l'école pour aider à subvenir aux besoins de leur famille. D'autant plus que les quartiers populaires dans lesquels vivent les réfugiés chrétiens irakiens connaissent aujourd'hui un boom immobilier. « À Sed el-Bauchrieh, les prix ont doublé », témoigne Raphaël Bidawid. Différentes associations, religieuses ou laïques, se sont mobilisées pour venir en aide aux réfugiés irakiens, en leur apportant soutien, aide alimentaire, médicale ou juridique.

Anne ILCINKAS

Retrouvez l'action de père Abi Nader et le témoignage d'Anouar Mikhael, réfugié chrétien irakien installé au Liban depuis juillet 2009, dans une vidéo sur le site de L'Orient-Le Jour : www.lorientlejour.com
Ses deux petits enfants de deux ans sur les genoux, Azad Iliyah est assis sur une chaise en plastique dans la pièce unique du logement qu'il occupe avec sa famille à Sed el-Bauchrieh, dans la banlieue est de Beyrouth. Sa valise encore pleine à ses pieds, un crucifix accroché au mur d'en face, il vient de quitter Bagdad il y a à peine deux semaines pour rejoindre sa fille installée depuis...
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