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Nos Lecteurs ont la Parole

I – Quand le bâtiment va, rien ne va plus !*

Par Wassim HENOUD
« Quand le bâtiment va, tout va » est une citation qui a encore de beaux jours devant elle. En effet, le secteur du bâtiment est fondamental pour l'activité économique - dans un pays normal s'entend ; mais au Liban des « miracles  économiques », cet adage, quoi qu'on en puisse dire, n'est que le son de glas d'un pays qu'on enterre sous une chape de béton sans que personne ne s'émeuve outre mesure.
Car dans un pays normal, le secteur immobilier contribue directement aux finances publiques :  il génère des emplois et devient alors source de financement pour le Trésor et les caisses de solidarité sociale à travers leurs prélèvements respectifs sur les salaires. Il élargit l'assiette de l'impôt foncier et contribue aux comptes de la nation avec les taxes sur la valeur ajoutée et sur les transactions immobilières, autant qu'avec l'impôt sur les bénéfices réalisés lors d'une vente. Il finance également par les recettes de la taxe d'habitation, les infrastructures et les activités sociales dans les villes et les communes, dont les rentrées constituent la principale ressource. Enfin, il joue une part essentielle dans l'assainissement de l'argent en contrôlant l'origine et la légitimité des fonds destinés à ces transactions.
Mais au Liban, à part une taxe prélevée lors de la transaction, et en général une insignifiante taxe d'habitation (ou municipale), l'argent qui nourrit le secteur immobilier ne contribue en rien aux finances du pays. Cela à cause d'une fiscalité inadaptée qui n'a aucun levier sur un développement devenu incontrôlable, et qui ouvre la porte à tous les abus : mépris le plus total des principes élémentaires de l'urbanisme et de la vie commune, non-respect des normes, corruption généralisée, sans compter la destruction du patrimoine national, naturel ou culturel ; voici la triste réalité qui caractérise le secteur de la construction au Liban. Une situation qui ne fera qu'empirer dans les prochaines années. Grâce à l'appât du gain rapide.
Dans une cité européenne, on paie en moyenne l'équivalent de 95 000 LL/m2/an en taxe municipale et impôt foncier pour des appartements modestes et de petite surface. Le taux des prélèvements change évidemment avec la superficie, la valeur et le niveau de luxe du bien. En comparaison, le mètre carré dans une importante agglomération au nord de Beyrouth ne rapporte par an qu'un misérable millier de livres libanaises à la municipalité ; le fisc quant à lui ne perçoit rien. Il est difficile d'expliquer ces énormes disparités puisque le pouvoir d'achat d'un Parisien n'est certainement pas 90 fois celui d'un Libanais. Ajoutons que ces prélèvements en Europe obligent à rationaliser la taille des logements et des bureaux, et permettent ainsi un meilleur usage du terrain ; on n'a pas vraiment besoin de prouver, tellement c'est flagrant, que tel est loin d'être le cas chez nous. En outre, je ne sais pas si et comment les biens inachevés sont taxés, mais j'avoue que je n'ai jamais remarqué des squelettes d'immeubles là-bas comme on en voit au Liban.
Bien que mentionnée dans la loi, la plus-value réalisée lors de la vente d'un bien est rarement imposable au Liban. La prodigieuse inflation qui a touché le prix du terrain et du bâtiment devrait pourtant permettre, à ceux qui s'ingénient à trouver un moyen de grappiller deux points ou plus de TVA sur le dos du citoyen sous-payé et mal servi pour garnir les caisses de l'État, de revendiquer plutôt une dîme normale sur les profits faramineux réalisés dans l'immobilier. Notons à ce propos que la plus importante société de développement immobilier au Liban reste exonérée d'impôts.
Quant à la notion de zones protégées, forêt, agriculture ou industrie, si elle a jamais existé, ne représente plus un rempart efficace contre la « bétonisation » rampante d'une spéculation immobilière effrénée. Par exemple, le projet de la protection de ce qui reste de la montagne de Harissa n'a pas fini de susciter le courroux des promoteurs immobiliers et des amateurs de la vue sur mer à tout prix.  
Dans un pays normal (ah ! cette normalité qui nous manque cruellement...), le secteur de la construction emploie des milliers de personnes, des citoyens ou des  résidents légaux pour la plupart, qui s'acquittent de leurs impôts sur le revenu et de leurs cotisations sociales. Mais chez nous, la majorité écrasante de la main-d'œuvre y travaille au noir. Cette situation tout à fait illégale pousse la main-d'œuvre locale à la précarité et donne ainsi l'avantage à des travailleurs étrangers corvéables à souhait. C'est ainsi une dangereuse détérioration des conditions de travail pour les ouvriers ainsi qu'une vraie hémorragie financière pour le pays ; deux calamités auxquelles s'ajoute un manque à gagner important autant pour le fisc que pour les différentes caisses sociales. Vue sous cet angle, l'activité immobilière est stérile, en ce sens que l'emploi qu'elle génère ne rapporte presque rien en pouvoir d'achat ou en stabilité sociale.

Wassim HENOUD
À suivre

* Titre emprunté à un « Saturnale » de feue Mme Mary Yazbeck Azoury (Revue du Liban).
« Quand le bâtiment va, tout va » est une citation qui a encore de beaux jours devant elle. En effet, le secteur du bâtiment est fondamental pour l'activité économique - dans un pays normal s'entend ; mais au Liban des « miracles  économiques », cet adage, quoi qu'on en puisse dire, n'est que le son de glas...

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