Rechercher
Rechercher

Europa Jaratouna: l'action de l'Europe dans 8 pays sud-méditerranéens - Cisjordanie

Seyada, un programme pour renforcer le système judiciaire palestinien

Depuis son lancement, Seyada a contribué à des avancées concrètes avec, entre autres, la création d'un institut de formation et la mise en réseau des tribunaux de Cisjordanie. Le programme, financé par l'UE, est néanmoins aussi critiqué pour ses lourdeurs bureaucratiques et le fait qu'il ne couvre pas la bande de Gaza.
Tous les matins, un attroupement bigarré se forme sur le parvis du tribunal de Ramallah, en Cisjordanie. On croise des « hajja » (vieilles femmes) en robes brodées traditionnelles, des shebab (jeunes) aux cheveux tartinés de gel, des fonctionnaires qui tirent nerveusement sur leur cigarette, des hommes d'affaires l'oreille collée à leur téléphone portable dernier cri... Tous attendent le résultat ou la tenue d'une audience, sous le regard débonnaire d'une demi-dizaine de policiers, le kalachnikov en bandoulière. « Le système judiciaire en Palestine s'est amélioré ces trois dernières années, dit Nizam, un couturier. Mais c'est encore loin d'être parfait. Pour les dossiers épineux, comme le conflit de terre dans lequel je suis impliqué, on doit attendre encore longtemps une décision. Mais grâce aux progrès réalisés dans le domaine de la sécurité, les juges travaillent mieux. »
Bien, mais peut mieux faire. C'est l'appréciation que les habitants des territoires occupés décernent à leur système judiciaire. Selon une récente enquête menée par l'Arab World Center for Research and Developement, les juges recueillent un taux de confiance de 77% et les avocats de 61%. Compte tenu du casse-tête politique actuel, caractérisé par le renforcement de l'occupation israélienne, la fragmentation croissante du territoire et la division entre le Hamas et le Fateh, ces résultats sont encourageants. Ils sont le produit du travail de réforme entrepris par le régime palestinien avec le soutien des pays donateurs, et notamment de l'Union européenne, qui a investi depuis 2005 près de 4 millions d'euros dans le programme Seyada.
Ce projet vise principalement à améliorer l'équipement et le professionnalisme du personnel judiciaire palestinien. À cet effet, l'UE a contribué à la création d'un institut de formation. Depuis 2006, quarante-quatre juges en sont sortis diplômés ainsi que cinquante-deux assistants du procureur. « Il y a deux ans, je n'aurais jamais imaginé troquer mon cabinet d'avocat pour un poste de juge, dit Shadi Jamal, qui suit un stage dans les locaux flambant neufs de l'Institut judiciaire. Aujourd'hui, cette profession est mieux considérée, mieux payée. On commence à avoir les moyens de servir la loi et nos concitoyens. »

Bureau d'inspection au sein du Haut Conseil judiciaire
En matière d'équipement, l'UE a financé la mise en réseau des tribunaux de Cisjordanie, avec la mise au point d'un logiciel de gestion et de suivi des dossiers. Le programme européen a permis la création d'une bibliothèque destinée à aider les juges et les procureurs dans la préparation des procès. Seyada prépare aussi l'ouverture d'un bureau d'inspection au sein du Haut Conseil judiciaire, afin d'évaluer les performances des juges. « Bâtir un système judiciaire efficace est indispensable pour créer un État fondé sur le règne du droit », dit Christian Berger, le représentant de la Commission européenne à Jérusalem.
Le programme Seyada s'est cependant attiré quelques critiques. S'ils saluent l'apport financier de l'UE, beaucoup de Palestiniens déplorent les lourdeurs bureaucratiques du projet, sous-traité par l'UE à trois agences privées européennes et une ONG palestinienne. « Il y a trop d'activités qui nous sont imposées d'en haut et qui ne sont pas utiles, trop d'experts étrangers qui débarquent dans notre pays avec des solutions toutes faites », maugrée Issa Abou Sharar, le chef du Haut Conseil judiciaire. Autre reproche : l'absence de la bande de Gaza dans le programme depuis que le Hamas y a pris le pouvoir en 2007. « Alors que dans les années 90, tous les programmes des donateurs visaient à unifier Gaza et la Cisjordanie, désormais ils accentuent la division de notre pays, dit Ghassan Faramand, directeur de l'Institut de droit à l'Université de Bir Zeït. À quoi sert d'être indépendant du pouvoir si on ne l'est pas des donateurs ? »
Plus généralement, de nombreux observateurs s'interrogent sur l'intérêt de conduire un tel programme de coopération, avant tout technique, alors que les enjeux en Palestine sont essentiellement politiques. « Mener un projet pareil, sans combattre de front l'occupation israélienne, cela revient à subventionner cette même occupation », dit Ghassan Abdallah, un ancien expert de Seyada, qui rappelle que la IVe Convention de Genève, oblige Israël, en tant qu'occupant, à garantir le bien-être de la population palestinienne. Shawan Jabarin, le directeur de l'ONG de défense des droits de l'homme al-Haq, est encore plus circonspect. « Il y a des centaines de prisonniers politiques en Cisjordanie. La Haute Cour a courageusement exigé leur libération. Mais les services de sécurité palestiniens bafouent jour après jour ces décisions... Alors, voilà, c'est très bien d'offrir des ordinateurs et de construire des tribunaux, mais où est l'Europe quand le pouvoir exécutif piétine l'indépendance de notre justice ? » Ce questionnement, dilemme récurrent en zone de conflit, trottera à coup sûr dans la tête des experts de Seyada II, la seconde phase du projet censée durer jusqu'en 2012.

* Europa jaratouna est un projet médiatique initié par le consortium « L'Orient-Le Jour », al-Hayat LBC et élaboré avec l'aide de l'Union européenne. Il traite des actions de l'UE dans 8 pays du sud de la Méditerranée. Pour en savoir plus, visitez le site www.eurojar.org. Le contenu de cette  publication relève de la seule responsabilité de « L'Orient-Le Jour » et ne peut aucunement être considéré comme reflétant le point de vue de l'Union européenne.
Tous les matins, un attroupement bigarré se forme sur le parvis du tribunal de Ramallah, en Cisjordanie. On croise des « hajja » (vieilles femmes) en robes brodées traditionnelles, des shebab (jeunes) aux cheveux tartinés de gel, des fonctionnaires qui tirent nerveusement sur leur cigarette, des hommes d'affaires l'oreille collée à leur...