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Nos Lecteurs ont la Parole

Le confessionnalisme – performance de l’histoire et infirmité des politiques

Par Hyam MALLAT
« Il faut tout promettre au peuple car quand on ne lui promet qu'un peu il se défie », notaient les frères Goncourt dans leur Journal. Et c'est pourquoi les périodes électorales constituent une excellente opportunité - au Liban comme ailleurs - pour le lancement par les candidats de programmes dans tous les domaines des activités nationales, promettant finalement à des électeurs toujours malheureusement crédules que leur élection ne serait que la restauration du paradis perdu.
Je veux bien tout croire mais pourquoi faut-il en plus que nos chers candidats se permettent de promettre l'abolition du confessionnalisme quand bien même ils n'en sont que l'émanation, les représentants et les profiteurs ?
Loin de moi de défendre naïvement le confessionnalisme mais il est quand même d'importance d'en baliser l'identification pour une approche compréhensive d'un phénomène bien original et particulier.
Car finalement qu'est-ce donc que le confessionnalisme au Liban ? Et ce confessionnalisme est-il vraiment une tare et une honte de notre société ? Il faut bien commencer par dire que ce ne sont pas nos politiciens qui ont inventé le confessionnalisme. Ils se contentent de le pratiquer au gré de leurs intérêts et de leurs humeurs. Car le confessionnalisme n'est pas une création administrative et bureaucratique. Il est en fait la résultante et, en somme, le matériau d'édification du Liban. C'est à force de le pratiquer mal qu'il apparaît comme une maladie de notre société, tant ceux qui y recourent sont à même d'en présenter les perversités plutôt que de mettre en valeur ses qualités.
Qu'est-ce donc en somme que le confessionnalisme ?
C'est tout simplement le fait que, durant des centaines d'années, des hommes et des femmes de religions et de communautés différentes - et nous insistons bien sur ce caractère communautaire, car en Orient il ne suffit pas d'être chrétien ou musulman, mais bien d'appartenir à l'un des sous-groupes de ces religions - se sont retrouvés sur ce sol libanais pour tenter de vivre - et souvent de survivre - au milieu de conflits, de luttes et de zizanies - souvent sanglantes - dont témoigne bien l'histoire du Liban.
Ces populations se sont regroupées en sociétés originales avec leur us et coutumes, leurs traditions de vivre, de prier, d'étudier et de travailler. Mais surtout de vivre côte à côte au point de devenir véritablement les familles spirituelles de ce Liban qui s'est constitué en 1926 en une République libanaise.
Le confessionnalisme s'est donc présenté au cours de l'histoire comme la consécration de la détermination de sociétés visant à préserver leur patrimoine et à coopérer et cohabiter avec d'autres sociétés dans cet esprit. Aucune décision ou firman d'un sultan ou d'un émir n'est venu instaurer arbitrairement et bureaucratiquement le confessionnalisme. Seule l'histoire s'est chargée de doter le Liban de cet antidote aux aventures à condition que les politiques des grandes puissances ou des États voisins ne viennent en perturber l'exercice et la qualité.
C'est ainsi que l'histoire de ce Proche-Orient témoigne bien, au cours des derniers siècles et particulièrement au XXe, que toutes les fois où la sagesse politique a remplacé l'aventurisme des uns et des autres, ce pays a pu humainement et politiquement durer et résister, particulièrement quand les coups d'État ont bouleversé les pays et les régimes tout alentour.
Mais pour résister, pareil système confessionnel exige avant tout que les citoyens de toutes les communautés au Liban sachent en préserver la qualité et éviter les défauts - car le système communautaire représente d'une part une bonne connaissance de ses valeurs constitutives et, d'autre part, une capacité d'aller vers l'autre doté également d'un système représentatif de valeurs. Ces deux éléments n'ayant pu se vérifier, et avec les conséquences de la défaite militaire et politique des pays arabes en 1967, l'aventurisme confessionnel des politiciens chrétiens et musulmans - les uns manipulés, les autres rendus crédules - a emporté le pays au gré de toutes les violences et des dérapages entre 1975 et 1990. C'est ainsi que les citoyens ont eu à supporter le lancement des programmes politiques et des idées les plus saugrenues par des politiciens et des miliciens principalement intéressés par leurs intérêts du moment et du petit lieu d'exercice de leur arrogance - sans que ne s'effondre pour autant un système politique fondé justement sur une tentative d'équilibre des pouvoirs des principales communautés du pays. Et ce pays exsangue n'a pas trouvé mieux en 1990 que de consacrer à nouveau cette formule d'équilibre communautaire qui, venant du fond des âges de l'histoire, ne pouvait être dissoute ou éradiquée par des ukases politiques et administratifs.
Pourquoi ?
Parce que la société politique libanaise a précédé l'établissement de l'État libanais et que celui-ci est, bon gré mal gré, le dépositaire d'un passé qu'il ne peut occulter mais qu'il doit relever. Et ce passé est particulièrement fait de tentatives plus ou moins réussies d'équilibres entre les pouvoirs publics et les fonctions publiques sur la base du respect des communautés pour qu'elles puissent se considérer comme parties prenantes dans le système politique libanais. Le système confessionnel a permis aux communautés libanaises d'avoir leur place et leur rôle - même si parfois la participation au pouvoir n'a pas nécessairement impliqué la participation à toutes ses décisions. Car qu'est-ce donc qu'un pays qui néglige et oublie ses familles spirituelles ? La France du président Sarkozy n'a-t-elle pas témoigné d'une forme de « libanisation » avec l'accès au ministériat de citoyens français représentant des communautés musulmanes autrefois oubliées ou négligées, alors qu'elles font partie du tissu humain de la société politique française ? Qu'est-ce donc au Liban une société politique qui ne prendrait pas en compte ce dosage humain et verrait-on comme une garantie une administration composée de fonctionnaires d'un seul tenant ? Allons ! Disons que le mauvais exercice du confessionnalisme par des politiciens peu scrupuleux a fini par faire imputer auprès des citoyens les échecs politiques et autres au confessionnalisme, alors que seuls les mauvais choix guidés par une excitation exagérée ont conduit à des dérapages désastreux masqués par le confessionnalisme.
Ainsi donc il nous paraît bien approprié de rappeler à la veille des élections parlementaires de juin que le confessionnalisme est la fierté du système politique libanais, car il émane du fond de l'histoire mouvementée du Liban sans en constituer l'infirmité ou la honte. Le système nous a bien épargné les coups d'État et les révolutions de l'aventurisme politique. Évitons que des comportements politiques infantiles ne viennent perturber un modèle difficile d'exercice du pouvoir en faisant miroiter la vaine possibilité de faire disparaître le confessionnalisme avant que l'État du développement politique, socio-économique et culturel ne vienne arrimer ces petites sociétés politiques orientales à la sécurité de l'existence et à la bonne performance des institutions.

Hyam MALLAT
Avocat et professeur. ancien président du conseil
 d'administration de la Caisse nationale
 de Sécurité sociale puis des Archives nationales
« Il faut tout promettre au peuple car quand on ne lui promet qu'un peu il se défie », notaient les frères Goncourt dans leur Journal. Et c'est pourquoi les périodes électorales constituent une excellente opportunité - au Liban comme ailleurs - pour le lancement par les candidats de programmes dans tous les domaines des activités...
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