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Nos Lecteurs ont la Parole

Municipalités : les chemins tortueux de l’archaïsme

Par Marie-Claude HÉLOU SAADÉ
Comment expliquer que la proposition de loi relative au jugement des présidents et des ministres accordant à ces derniers une immunité leur permettant d'échapper à la condamnation pénale pour des crimes comme les détournements de fonds, la corruption, le trafic d'influence et la fraude ait été approuvée par la commission parlementaire de l'Administration et de la Justice, et qu'une proposition de loi accordant aux femmes mariées le droit de se porter candidates aux élections municipales dans leurs localités d'origine ait tant peiné à se frayer un chemin auprès de certains de nos élus ?
En dépit de certaines réserves exprimées au sein de la commission de la Défense et des Municipalités, la proposition de loi du député Abdallah Farhat a été dans l'ensemble favorablement accueillie. Malheureusement, la commission législative du ministère de la Justice, invitée à se prononcer sur la question en Conseil des ministres, a invoqué le prétexte que « la fusion de la femme dans l'environnement de son mari figure parmi les buts du mariage ; en conséquence, elle est tenue de se présenter au conseil municipal de la localité de son mari dans le registre duquel elle a été transférée ». Une affirmation ubuesque, réductrice du rôle de la femme, sans grand fondement légal, dépourvue d'argumentation juridique, aisément contestable au regard du principe d'égalité consacré par la Constitution. Somme toute, un fâcheux amalgame entre le « profane » des bulletins et le « sacré » du mariage que même le plus sévère des tribunaux ecclésiastiques aurait hésité à homologuer.
Une conclusion d'autant plus déconcertante dans un pays où le statut du mariage relève des instances religieuses des différentes communautés et non des autorités civiles, et où la polygamie est une pratique officiellement admise mettant à rude épreuve la relation « fusionnelle » prônée par la commission. On pourrait aussi se demander pourquoi cette relation « fusionnelle » n'est pas exigée dans le cas des femmes candidates aux élections parlementaires, autorisées à se présenter dans la circonscription de leur choix ? Les candidates au Parlement seraient-elle moins tenues au devoir de « fusion » dans le mariage et plus tolérées à s'émanciper que les candidates au conseil municipal ? Pareil raisonnement devrait conduire logiquement à exiger des candidates aux élections parlementaires de ne pouvoir se présenter que dans la circonscription de leurs maris ! « Fusion » oblige !
Il est triste de constater que nous avons affaire à une classe politique en décalage avec son époque, figée dans ses archaïsmes, amarrée à un système obsolète, déconnectée du terrain, plus dirigée que dirigeante et pour laquelle la réflexion sur les problèmes de société est loin d'être une préoccupation dominante. Tout processus de réforme au Liban se heurte de plein fouet aux intérêts particuliers au détriment, bien évidemment, de l'intérêt général. Dès lors qu'une réforme pointe à l'horizon, il y a plus de murs qui s'élèvent pour la contrecarrer que de bras pour la porter. Il aura suffi d'un nombre infime de présidents de municipalité, en mal de popularité, s'inquiétant de l'impact d'une pareille réforme sur leurs visées électorales, pour que les mécanismes de protection des privilèges, bien connus dans les abysses parlementaires, se mettent rapidement en place.
Mais le plus surprenant dans cette affaire reste que le ministre de l'Intérieur, M. Ziyad Baroud, pourtant principal concerné dans la question des municipalités, ne se soit pas donné la peine, contrairement à ses collègues du gouvernement, de recevoir l'association pourtant porteuse d'une proposition de loi présentée par un député, et ce malgré les demandes écrites et verbales qui lui ont été adressées dès le 28 janvier 2009. N'est-il pas étonnant qu'une personne pourtant issue de la société civile puisse ignorer des revendications aussi fondamentales que l'implication des femmes dans le développement de leurs localités ?
Il reste que la consultation juridique du ministre de l'Intérieur, datée du 11 février 2009, signée de la main de M. Baroud et remise à la présidence du Conseil et au Parlement, élude soigneusement la question posée et répond à la proposition d'amendement de la loi des municipalités présentée par le député Farhat en invoquant les dispositions de... la loi en vigueur ! « Il résulte de ce qui précède (les articles 24 de la loi du 8.10.2009 et 25 de la loi du 29.12.1997), écrit M. Baroud dans sa consultation, que seules les inscriptions portées sur les listes électorales dans une localité donnée donnent lieu à un droit de vote ou de candidature aux postes de moukhtar ou de membre du conseil municipal, que la femme mariée soit encore inscrite sur le registre de ses parents ou qu'elle ait été transférée sur le registre de son mari. »
Pour quelle raison M. Baroud, sollicité pour un avis du ministère sur une proposition de loi, a-t-il utilisé cet artifice et éludé la question posée ? Il n'a pourtant pas été consulté pour donner un avis sur la légalité d'un bulletin de vote ou celle d'une candidature afin que la loi en vigueur soit invoquée, mais bien pour donner un avis sur une proposition d'amendement de la loi en vigueur. Étant entendu que la proposition de loi du député Farhat portait uniquement sur le droit de candidature de la femme mariée et nullement sur son droit de vote ou un transfert d'inscriptions sur les registres.
En conséquence, et étant donné que subsistent également d'autres zones d'ombre au niveau du ministère de l'Intérieur qu'il serait trop long de soulever dans le cadre de cet article, l'ALDL sollicite du président de la République, Michel Sleiman, l'ouverture d'une enquête afin que soient élucidées les raisons qui sous-tendent le traitement sibyllin de ce dossier et que les responsabilités soient clairement établies.
Toujours est-il qu'en cette matière, la décision du Conseil des ministres n'a qu'une valeur consultative, non contraignante pour le Parlement. Elle n'entame donc en rien notre détermination. Notre bataille pour le droit ne fait que commencer. Retarder une réforme légitime ne fait que la renforcer dans la mémoire collective des peuples en la rendant, tout comme la rose du Petit prince, encore plus précieuse.

Marie-Claude HÉLOU SAADÉ
Docteur d'État en droit
de l'Université de Paris I
Présidente de l'Association libanaise
pour le développement local (ALDL)
Comment expliquer que la proposition de loi relative au jugement des présidents et des ministres accordant à ces derniers une immunité leur permettant d'échapper à la condamnation pénale pour des crimes comme les détournements de fonds, la corruption, le trafic d'influence et la fraude ait été approuvée par la commission...
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