Cela a commencé bien avant Trump ; bien avant Netanyahu ; bien avant Smotrich et Ben-Gvir ; bien avant la destruction systématique de Gaza ; bien avant la colonisation de la Cisjordanie ; bien avant les derniers projets de nettoyage ethnique et d’annexion. L’histoire israélienne est celle d’un État fondé à la suite de siècles d’oppressions, de décennies de luttes et de conquêtes, et de la pire atrocité que le XXe siècle a pu produire. Elle est celle d’un pays qui se voulait refuge mais qui s’est toujours construit – malgré de profondes mutations au cours des dernières décennies – sur le rapport de force et le déni, plus ou moins assumé, de l’autre.
L’histoire palestinienne est beaucoup plus linéaire : elle est celle d’une dépossession progressive et continue de ses terres et de son identité. Elle est bien sûr faite d’instrumentalisations, de divisions et de surenchères mais tout cela apparaît secondaire au regard de cette cruelle réalité : celle de l’éclatement et de l’effacement du corps palestinien. Sommes-nous à la fin de cette histoire ? À la dernière étape de la disparition de la Palestine ?
Nous sommes en 2026. Ou 27. Ou 30. Peu importe. Gaza est israélienne, tout comme la Cisjordanie. La plupart des Palestiniens ont été chassés. Ils sont en Égypte, en Jordanie, au Liban, au Soudan ou en Somalie. Ceux qui sont restés vivent dans des camps, dont les entrées et sorties sont contrôlées par l’armée israélienne. Ils n’ont pas de droits, pas de représentants, pas d’espoir et plus même de revendications. Israël a normalisé ses relations avec la Syrie, le Liban et l’Arabie saoudite. Il a fini de se transformer en un État illibéral où le pouvoir est disputé entre la droite extrême et l’extrême droite, entre les populo-nationalistes et les ultra-religieux. Mais c’est un État puissant, sûr de sa force, qui se nourrit des critiques de la gauche et des libéraux, convaincu que la marche de l’histoire lui est favorable.
Qui peut aujourd’hui affirmer que ce scénario est totalement irréaliste ? Qui peut aujourd’hui sérieusement croire que la cause palestinienne va triompher ? Que l’injustice ne pourra être indéfiniment tolérée, que le rapport de force va nécessairement évoluer et qu’Israël devra faire amende honorable en raison de ses fissures internes et de la pression internationale ?
Y a-t-il encore quelqu’un pour le croire ? Y a-t-il encore quelqu’un pour penser qu’après avoir perdu pendant 77 ans, après avoir été l’angle mort du monde libéral au moment où ce dernier était triomphant, après ce que vient de subir Gaza et après le basculement dans un ordre international où tout n’est plus que rapport de force, la Palestine verra bientôt le jour ?
Y a-t-il encore quelqu’un pour croire à l’avènement de la solution à deux États ou à celui, encore plus illusoire, d’un seul État binational ? Qui va aider les Palestiniens, eux-mêmes désunis et désorganisés ? Les États-Unis de Trump ? La Russie de Vladimir Poutine ? La Chine de Xi Jinping ? L’Europe, qui peine à se défendre elle-même ? Les pays arabes, qui ne pensent qu’à leur propre survie ?
L’histoire peut fort heureusement nous surprendre et le cynisme montrer ses limites. Peut-être que l’ordre libéral est mort mais pas encore enterré. Peut-être que sa résurrection passera aussi par la Palestine. Peut-être que les dizaines de milliers d’Israéliens qui manifestent pour la sauvegarde de leur démocratie deviendront demain majoritaires et comprendront que leur destin est lié à celui des Palestiniens. Peut-être que le futur leadership américain prendra ses distances avec Israël et que les Européens et d’autres pays dans le monde exerceront une pression sur l’État hébreu. Peut-être que les Arabes utiliseront tous les leviers à leur disposition pour rééquilibrer le rapport de force. Après tout, même le régime Assad a fini par tomber.
Mais tout cela paraît si chimérique aujourd’hui. Si loin de ce que les Palestiniens et leurs soutiens vivent au quotidien. La vérité est que Netanyahu est sur le point de réaliser ses deux rêves : la destruction de l’axe iranien et l’anéantissement de la cause palestinienne. Que la première puissance mondiale est derrière lui. Que l’époque est avec lui. Et que nous avons beau nous indigner, dénoncer, appeler à la mobilisation et à l’éveil des consciences, nos mots perdent chaque jour un peu plus de leur sens.
La guerre de Gaza a marqué les esprits dans le monde arabe et bien au-delà. Elle laissera de profondes traces à l’intérieur de toutes ces sociétés et au sein du système international. Elle n’a pas été digérée et ne le sera pas de sitôt. Mais alors qu’elle n’est même pas encore finie, alors que chaque journée apporte encore son lot d’horreurs, elle est déjà presque oubliée. Reléguée au deuxième voir au troisième plan. Y compris, et peut-être même encore plus qu’ailleurs dans le monde arabe. La normalisation n’est plus un tabou. La Palestine plus une priorité. La cause n’a pas rendu son dernier souffle. Mais jamais celui-ci n’a semblé aussi proche.
"La normalisation n’est plus un tabou. La Palestine plus une priorité. La cause n’a pas rendu son dernier souffle. Mais jamais celui-ci n’a semblé aussi proche." Mais qui se soucie donc encore de la "cause palestinienne"? L'Autorité palestinienne elle-même a normalisé ses relations avec Israël! Les seuls "belligérants" arabes face à l'Etat hébreux sont le Hamas, les Houthis et le Hezbollah, tous les trois soutenus par l'Iran, qui finira par accepter les conditions de Donald Trump. Alors l'alliance "triple H" rendra son dernier souffle!
11 h 41, le 10 avril 2025