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Grandir - Lorient-Le Siecle

Quand Georges Naccache dézinguait la très jeune République Libanaise...

Quelle mouche a donc piqué Georges Naccache ? Dans cet éditorial publié dans le cadre de sa chronique quotidienne, « Les Faits du Jour », le cofondateur de « L’Orient » part en croisade contre cette « jeune République » qui, à seulement un an, a « terriblement vieilli »... Nous sommes le 24 mai 1927. Un an plus tôt, le 23 mai 1926, le haut-commissaire français Henry de Jouvenel promulguait la Constitution. L’État du Grand Liban devient officiellement une république, tandis que les postes de président et de chef du gouvernement sont créés. Une victoire historique pour les « constitutionnalistes », enclins à défendre le développement d’institutions nationales libérées de la tutelle française. Mais pour Georges Naccache, cette émancipation précipitée vient beaucoup trop tôt. « Il y a d’ailleurs de grandes chances pour que ce premier anniversaire soit aussi le dernier », prévient-il. Pour lui, il faut en rester à la « seule fête nationale » qui existe, celle du 1er septembre, jour de la proclamation du Grand Liban par le général Gouraud en 1920.

Quand Georges Naccache dézinguait la très jeune République Libanaise...

Illustration Jaimee Haddad.

On a célébré hier le premier anniversaire d’une calamité nationale. Nous le disons pour ceux qui ne s’en seraient pas aperçus. Les fonctionnaires mis de côté, personne ne se serait rendu compte que c’était la fête de la République. Il n’y avait dans l’air aucun frémissement particulier...

Ainsi notre République a un an... C’est déjà un miracle, à vrai dire, qu’elle ait pu accomplir ses douze mois. Ira-t-elle loin encore ? Nous en doutons. Elle a l’air de s’être terriblement vieillie – « notre jeune République »...

On s’en est du reste assez bien aperçu dans les milieux officiels, où l’on a tenu à ne la célébrer qu’avec la plus grande discrétion. Il semblait que l’on en eût honte, que l’on voulût éviter toute cérémonie, tout geste ou propos trop bruyant qui aurait pu éveiller l’attention : on a tout fait en somme pour que le peuple ignorât complètement cette « fête du peuple ».

Pour tout Libanais normalement constitué, il n’existe en effet, et il ne peut exister qu’une seule fête nationale : celle du 1er septembre, anniversaire de l’indépendance.

Le 23 mai n’est rien, la proclamation de la République n’est qu’un accident dans notre histoire : que ceux qui en ont profité célèbrent le Régime comme il leur plaît. Ils n’ont pas le droit d’en faire la fête de la patrie.

Il y a d’ailleurs, qu’ils le veuillent ou non, de grandes chances pour que ce premier anniversaire soit aussi le dernier. Le 23 mai 1928, si l’on ne fête pas la République, c’est que la République aura vécu…

Le désastre possible et magnifique

La question de l’estivage est à l’ordre du jour – on peut même dire à l’ordre de la saison. Il paraît que le Conseil des ministres n’a plus d’autre occupation. Estivage, estivage encore – et toujours estivage : si le tourisme n’existait pas, c’est le dernier communiqué du gouvernement qui l’aurait inventé.

Malheureusement il ne suffit pas d’inventer. L’art pour l’art en pareille matière ne vaut rien. Il faut que l’invention soit encore profitable.

On s’est trop vite réjoui. Vingt, trente, quarante mille villégiateurs – cinquante mille peut-être ? –, ce sont de jolis chiffres : mais aussi, des chiffres inquiétants. Sommes-nous préparés pour recevoir tout ce monde ? C’est la question.

Cette saison 1927 n’est plus une simple saison d’essai. Elle engage tout l’avenir et peut le compromettre irrémédiablement. Jusqu’ici, nous pouvions, vis-à-vis de l’étranger, invoquer différentes excuses à notre désordre ou à notre insuffisance. D’abord, on sortait de la guerre. Puis on était en période d’organisation. L’insurrection vint ensuite – et on lui imputa ce que l’on voulut (« L’insurrection a bon dos », nous disait un hôtelier). Mais aujourd’hui ? Tout est rentré dans l’ordre, tout est censé fonctionner de façon régulière. Nous avons eu même, depuis, une République et une Constitution. Que répondrions-nous à nos vieux clients d’Égypte, et à tous les nouveaux arrivants d’Irak et de Palestine ?

Pour combler toutes les lacunes et réparer tout ce qui a besoin d’être réparé, il est évidemment un peu tard. Saura-t-on du moins employer les deux ou trois semaines qui nous restent, et procéder au plus urgent ?

Souhaitons-le. Mais notre République est fille tellement imprévoyante que l’événement que nous redoutons pourrait fort bien se produire : cette saison, qui s’annonce magnifique, ne serait qu’un magnifique désastre.

Des tribunaux sans juges

Si l’on a créé trois chambres à la Cour de cassation, c’est vraisemblablement pour que ces trois chambres fonctionnent.

Tel ne semble pas être l’avis de M. le ministre de la Justice. À l’heure qu’il est, il y a toujours trois chambres à la Cour de cassation, mais, faute de magistrats, il y en a une seule qui fonctionne.

Plusieurs vacances se sont produites. En acceptant le portefeuille de la Justice, M. Cardahi a laissé sans titulaire le siège du président de la chambre civile. MM. Deiss et Farès Nassar, affectés à la Cour mixte de justice, n’ont pas été remplacés. Enfin, l’on attend toujours la nomination du conseiller nouveau qui avait été jugé nécessaire.

On conçoit qu’une telle situation ne puisse pas se prolonger sans que les intérêts du justiciable en pâtissent gravement. L’abstention du garde des Sceaux est inexplicable : pourquoi se refuse-t-il à faire les nominations qui s’imposent ?

On a essayé d’objecter qu’un vaste projet de réformes était en préparation. Que ce projet soit réalisé ou non, cela ne change rien à la situation : il faut respecter les cadres actuels, l’organisation actuelle, les conditions actuelles de la justice.

En s’obstinant dans son attitude, M. le ministre de la Justice instillerait les plus graves soupçons de ses adversaires. Son prédécesseur, qu’il s’en souvienne, n’a péché que par omission !

L’affaire des T. P.

En dénonçant les scandales de l’administration des Travaux publics, nous n’espérions pas que l’enquête, ordonnée à la suite de notre intervention, pourrait aboutir aussi vite à un résultat aussi précis. Il faut féliciter les deux inspecteurs des Finances, MM. Mouchawar et Bahout, qui ont mené leur instruction avec une science et une perspicacité auxquelles nous sommes heureux de rendre hommage. Ce n’était pas une mince entreprise que de mettre de la clarté dans une affaire aussi touffue, aussi enchevêtrée.

Treize fonctionnaires suspendus, dont neuf déférés à la justice – et nous ne sommes encore qu’au commencement... L’enquête n’a porté en effet que sur les travaux effectués en régie, et pour l’année 1926 seulement. Il y a bien d’autres dossiers qui attendent d’être exhumés, tous les dossiers d’adjudication, et qui révéleront des abus encore plus graves.

Deux questions se posent, en attendant :

Pendant que tous ces abus avaient lieu, pendant que toutes ces fraudes et ces corruptions se produisaient, comment se fait-il que le personnel supérieur des Travaux publics ne se soit jamais aperçu de rien ? Le directeur des Travaux publics, en particulier, que faisait-il, lui qui signait toutes les pièces ?

Est-il possible, d’autre part, est-il admissible que la direction des Finances ait régulièrement, pendant des années, ordonnancé et payé des factures frauduleuses sans que ses soupçons aient été une seule fois éveillés ?

Ou ces gens sont de mauvaise foi – et il faut s’en défaire –, ou ils sont d’une incompétence prodigieuse – et dans ce cas, ils sont encore plus dangereux...


On a célébré hier le premier anniversaire d’une calamité nationale. Nous le disons pour ceux qui ne s’en seraient pas aperçus. Les fonctionnaires mis de côté, personne ne se serait rendu compte que c’était la fête de la République. Il n’y avait dans l’air aucun frémissement particulier...Ainsi notre République a un an... C’est déjà un miracle, à vrai dire, qu’elle ait...
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