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Grandir - LOrientLeSiecle

« Étrangers chez eux » : grandir au Liban sans jamais être libanais

Pour Aya, Ochienga, Diaa, Ahmad et Rawan, nés ici ou venus durant leur enfance, le rapport au pays du Cèdre s’exprime différemment.

« Étrangers chez eux » : grandir au Liban sans jamais être libanais

Aya, 11 ans, dans le quartier de Nabaa. Photo Mohammad Yassine

Dans le salon familial à Nabaa, Aya hausse les épaules. « Tu es quoi ? » lui demande sa mère, Farah, originaire de Aïnata. La fillette sourit timidement. Son regard trahit une certaine confusion. Elle n’arrive pas à trancher. Elle cherche, se lance, avant de se reprendre. De toute évidence, elle est Libanaise. « J’ai grandi ici toute ma vie », souffle-t-elle dans l’appartement de ce quartier populaire de l’est de Beyrouth. Ou peut-être est-elle Egyptienne ? « Papa a un accent », poursuit-elle. Son passeport vert aux couleurs de la République arabe d’Égypte, Aya le tient de son père, originaire d’Alexandrie. Sa mère, comme toutes les mères libanaises, ne peut pas transmettre la nationalité. Dans les registres de son pays natal, Aya est donc une étrangère. Pour rester au Liban, elle doit renouveler son titre de séjour tous les trois ans. Mais les affaires de papiers sont des histoires de grands. Il y a bien quelques petites blagues qui circulent en famille. Son oncle, qui rappelle au détour d’une plaisanterie qu’« elle n’est pas d’ici ». Mais à tout juste onze ans, Aya n’a pas encore vécu la violence d’une société allergique à la différence. Elle ignore tout des épreuves, administratives et sociales, qu’elle traversera plus tard. Pour l’heure, c’est sa mère qui vit les petites humiliations du quotidien. Chaque début d’année scolaire, Farah attend avec angoisse la décision du ministère de l’Éducation. Ses enfants auront-ils une place à l’école publique ? Demain, elle le sait, c’est pour un travail qu’ils devront se battre.

« Papa a un accent »

Au pays du Cèdre, certaines vies valent moins que d’autres. De la naissance à la mort, des franges entières de la population sont confinées aux marges de la société. L’enfance est une victime comme une autre. Elle préfigure de ce que sera la suite. Ils sont des dizaines de milliers de jeunes à être relégués en bas des priorités nationales. Provisoirement toléré, un « titre » de séjour leur est accordé tous les ans ou plus, selon les situations. Dans un monde arabe où la naturalisation n’est pas une norme, le Liban ne fait pas exception. Les étrangers – lorsqu’ils ne sont pas Occidentaux – sont soumis au droit le plus restrictif. Certains, comme Aya, sont pourtant nés sur le territoire national. D’autres sont arrivés plus tard, à 2, 5 ou 10 ans. Ils sont de pères étrangers, fils de travailleurs domestiques ou enfants de réfugiés palestiniens. Chacun a son histoire. Ses anecdotes, ses traumatismes. Tous témoignent d’un sentiment diffus de malaise, un décalage avec cette terre qui ne semble pas vouloir d’eux. À travers ces parcours, le récit d’une société fermée, souvent raciste, toujours plus inquiète face à l’altérité.

« J’avais l’impression d’être une maladie »

Dès la naissance d’Ochienga, sa mère « a combattu » pour qu’il « existe » et grandisse à ses côtés. Travailleuse domestique ivoirienne au Liban depuis 32 ans, la « madame » qui l’emploie refuse que son fils vive avec elle. Alors, de ses 6 à 17 ans, il grandit dans un pensionnat et passe uniquement les week-ends avec sa mère, qui loue un appartement exclusivement pour ces deux jours. « Le système de la kafala, c’est de l’esclavage. Ma mère n’avait pas de droits, alors imaginez un enfant. » Elle remue ciel et terre pour que son fils reste légalement au pays : son permis de séjour est conditionné à son éducation, sa mère devant présenter un certificat de scolarité à chaque renouvellement. « J’avais l’impression d’être une maladie », confie le jeune homme de 24 ans.

En grandissant, Ochienga subit harcèlement sur harcèlement dans les écoles qu’il fréquente, sans que l’établissement n’intervienne, malgré ses plaintes. « Une fois, une fille m’a frappé avec un bic, j’ai saigné… » se rappelle-t-il. Jusqu’à maintenant, alors qu’il est parti vivre au Texas il y a six ans, le Liban ne veut toujours pas de lui. En 2022, l’accès lui est refusé pour une visite de dix jours. « Je voulais simplement voir ma mère et ma sœur », raconte-t-il.

Ochienga, 24 ans, parti du Liban pour le Texas il y a six ans. Photo fournie par Ochienga

Malgré tout, Ochienga refuse que tout se résume à ses souffrances. « Le monde était dur mais il n’y avait pas que du mauvais. Certains ne me voyaient pas seulement comme le fils d’une migrante domestique. Je faisais partie de leur famille », poursuit-il. Pour le jeune homme, le Liban, « c’est chez lui ». Il n’est allé en Côte d’Ivoire qu’à quatre reprises, parle le français mais ne connaît pas la langue de sa famille. Le libanais, il le parle parfaitement. Il a baigné dans la culture, les traditions du pays. Alors aux États-Unis, lorsqu’on lui demande son origine, sa réponse est toujours la même : Ivoirien, Congolais comme son père et... Libanais. « Dire que je ne le suis pas serait trahir qui je suis. C’est la plus grande partie de mon identité. »

« Dire que je ne le suis pas serait trahir qui je suis »

Diaa tient un autre discours. Son identité s’est construite autour de sa passion : le skate, qu’il découvre au Liban. C’est sur sa planche qu’il est vraiment lui-même, qu’il défie un pays qui cherche à limiter ses mouvements. Diaa a 19 ans, et il est réfugié syrien. De son pays natal, il dit ne se souvenir de presque rien. Il avait à peine 8 ans lorsque sa famille a fui Hassaké en 2013. Depuis, il vit dans « une sorte de ghetto » à Bir Hassan, dans la banlieue sud de Beyrouth, où il ne rentre jamais après minuit pour ne pas être arrêté aux checkpoints. Dans la compagnie libanaise où il travaille en tant qu’électricien, Diaa est moins bien payé qu’un Libanais. Il arrive même que des employeurs refusent de lui verser son dû.

Diaa, 19 ans, dans le skate park de Horch Beyrouth. Photo Mohammad Yassine

Se faire petit, s’effacer dans certaines situations, telle est la personnalité qu’il adopte au travail. En fonction des personnes qui l’entourent, Diaa s’est habitué à porter différents masques. Peu importe le personnage qu’il joue, le jeune homme a compris au fil des ans qu’il ne pourra jamais évoluer. « Aux yeux des gens, je ne peux pas grandir ici », lâche-t-il. « Pourtant, si tous les Syriens partent, qui va reconstruire ce pays ? interroge-t-il. Les Libanais le peuvent, mais ils ne veulent pas le faire. » D’ici à quelques mois, Diaa espère ne plus être ici. C’est seulement lorsqu’il a pris la décision de partir que sa relation au Liban s’est enfin apaisée : « Une fois que tu t’es habitué à la douleur, tu te dois de passer à autre chose. Et avancer. »

Une relation « toxique » avec le Liban

Ahmad aussi a pour seul horizon l’émigration. Dans une cafétéria de l’Université américaine de Beyrouth, il attend son café. Le jeune homme a suivi les pas de son père et de ses oncles, eux aussi passés par les bancs du campus de la rue Bliss. Un chemin tracé pour l’étudiant en économie qui a quitté Saïda une fois le bac en poche. Il se présente ainsi : « Je suis Palestinien, et je suis originaire du camp de Aïn el-Héloué. »

Pendant 17 ans, Ahmad a vécu dans le plus grand des douze camps palestiniens que compte le pays, clôturés de toutes parts, avant de s’installer à Saïda avec sa mère et son petit frère, lui-aussi inscrit à l’AUB. Toutes les deux à trois semaines, Ahmad rend visite à son père, resté au camp. Il doit à chaque fois attendre une trentaine de minutes avant de pouvoir passer le barrage de l’armée libanaise, comme durant son enfance lorsqu’il devait aller à l’école. « La dernière fois que je me suis rendu à Aïn el-Héloué, en février, j’ai décidé de ne plus y retourner. C’est devenu insupportable de voir la misère la-bas », relate ce réfugié palestinien de la ville d’Acre (Akka).

Comparé à d’autres, Ahmad se dit « chanceux ». Son destin n’est pas celui qui lui était réservé à la naissance : ses parents l’éloignent de la jeunesse du camp, ils le scolarisent dans une école privée libanaise. Lui s’investit dans l’éducation pour pouvoir un jour aider sa communauté en retour. La plupart des gens de son âge « commencent à travailler dès l’adolescence, certains n’ont parfois pas d’autres choix que de rejoindre les factions armées, qui payent mieux que les jobs informels », explique-t-il. Pour les diplômés, dans les rares secteurs ouverts aux Palestiniens, les opportunités de travail se font rares. « Nous n’avons pas le droit à l’échec », résume-t-il.

Ahmad, 23 ans, devant l’Université américaine de Beyrouth où il étudie. Photo Mohammad Yassine

Sa relation avec le Liban, il la décrit comme « toxique ». « Une partie t’aime, une autre te renvoie à un passé qui t’est étranger », explique Ahmad. Ce qu’il a de libanais en lui : le dialecte qui fait partie de son identité. En classe, il préfère parler avec l’accent local – c’est même devenu inconscient – pour éviter les regards de travers. « Comme si nous n’avions pas notre place ici », lâche-t-il. Ahmad et son frère savent qu’ils doivent quitter le pays pour construire une vie, comme ont fini par le faire leurs oncles. « Ça me fait de la peine, mais il le faut. »

Rawan, 23 ans, est peut-être celle qui a le rapport le plus apaisé au pays. Parce qu’elle y est née, après que son père a construit sa vie au Liban en travaillant dans l’architecture d’intérieur. Parce qu’elle baigne dans le « style de vie libanais », celui de la classe moyenne supérieure et fréquente une grande université. Surtout aussi, parce qu’elle est arrivée au bon moment. « C’est sûr que si j’étais arrivée durant la guerre, je n’aurais pas été intégrée », lâche-t-elle. La guerre en Syrie, à partir de 2011, change la donne. Depuis lors, Rawan commence à revendiquer son origine, comme un pied de nez aux Libanais qui affichent leur hostilité à l’encontre des réfugiés. « Avant, je parlais avec un accent libanais mais après ça, j’ai intentionnellement commencé à parler syrien, se rappelle-t-elle. Je voulais montrer que je n’avais pas honte d’être syrienne ». Depuis, elle ne peut plus retourner au pays. Et puis, « je ne m’y sens pas chez moi », glisse-t-elle au téléphone. Après la double explosion au port de Beyrouth, sa famille choisit de s’exiler en Turquie pour fuir les conditions de vie. Rawan les suit, puis décide de rentrer au bercail. Seule. « C’est ici que je veux construire ma vie », dit-elle. Tous n’ont pas cette option. Aux États-Unis, Ochienga croit avoir trouvé un refuge durable. Un jour, peut-être, il sera citoyen américain. Un symbole, alors que son pays natal lui refusera à jamais cette reconnaissance. « Au Liban, tu seras toujours un étranger. » 

Dans le salon familial à Nabaa, Aya hausse les épaules. « Tu es quoi ? » lui demande sa mère, Farah, originaire de Aïnata. La fillette sourit timidement. Son regard trahit une certaine confusion. Elle n’arrive pas à trancher. Elle cherche, se lance, avant de se reprendre. De toute évidence, elle est Libanaise. « J’ai grandi ici toute ma vie », souffle-t-elle dans l’appartement de...
commentaires (5)

Français cadre dirigeant, marié à une libanaise, professeur à l'université,, nos enfants sont nés à Beyrouth. A l'école ce sont les petits français, alors qu'ils ont du sang libanais, il sont libanais à part entière mais quand on a fait notre dossier pour devenir tous libanais; Aoun n'a pas accepté alors qu'il connait bien la famille de mon épouse qui est très connue au Liban. Comment mes enfants vont ils pouvoir aimer le Liban et vouloir rester ici comme nous en avons fait le choix alors qu'on aurait pu ne pas venir.

Free Mind

00 h 26, le 15 avril 2024

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Commentaires (5)

  • Français cadre dirigeant, marié à une libanaise, professeur à l'université,, nos enfants sont nés à Beyrouth. A l'école ce sont les petits français, alors qu'ils ont du sang libanais, il sont libanais à part entière mais quand on a fait notre dossier pour devenir tous libanais; Aoun n'a pas accepté alors qu'il connait bien la famille de mon épouse qui est très connue au Liban. Comment mes enfants vont ils pouvoir aimer le Liban et vouloir rester ici comme nous en avons fait le choix alors qu'on aurait pu ne pas venir.

    Free Mind

    00 h 26, le 15 avril 2024

  • REFUSER A LA MERE LIBANAISE LA NATIONALITE POUR SES ENFANTS EST UN CRIME ODIEUX. MAIS SOMMES-NOUS UN PAYS AUJOURD,HUI OU UNE ETABLE DE QUADRUPEDES OU LES BENEFICIAIRES DES COUPS DE PIEDS DE QUELQUES GRANDS MULETS Y PASSENT ?

    LA LIBRE EXPRESSION

    14 h 28, le 08 avril 2024

  • Une mere qui ne peut pas transmettre la nationalité !, mais quelle discrimination !, pourquoi une différence de traitement entre homme et femme ?. Nous sommes un pays de goujats et de racistes, pauvre liban, pauvre libanais, pardonnez nous mon Dieu, nous méritons vraiment ce qui nous arrive.

    Aboumatta

    21 h 30, le 06 avril 2024

  • Bientôt le Liban sera peuplé en majorité d'étrngers pareils et les libanais deviendront une minorité sans trop de pouvoirs de contrôle sur le propre territoire libanais .

    Chucri Abboud

    19 h 05, le 06 avril 2024

  • On reconnait la politique wokiste de l'Orient aux témoignages choisis. Aucun ne concerne un européen.

    Moi

    13 h 01, le 06 avril 2024

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