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Derrière le printemps


C’est la saison où le Liban vous a un petit air de Japon. Les amandiers ont achevé de fleurir. Dans la Békaa, des pétales comme s’il en neigeait. Devant les sommets blancs dont la dernière tempête a joliment saupoudré les flancs, des nuées de cigognes ont enchanté le ciel. C’était sakura, c’était le Fuji, c’était chez nous. Ce spectacle éphémère est une splendeur qui vaut tous les voyages. Il se prolonge dans les garrigues où pointent déjà les fleurs sauvages et d’autres qui n’appartiennent qu’à ce paysage béni éclairé de ruisseaux saisonniers. Les troupeaux de moutons, enfin sortis, ajoutent de la douceur à cette symphonie pastorale. On peut les croiser aussi bien sur l’autoroute que le long des plages, broutant la salicorne méditerranéenne qu’ici on appelle « l’herbe de la mer ». Il pleuvra encore, peut-être, une poignée de pluies rituelles, pour faire plaisir aux principales communautés chrétiennes déterminées à se disputer la météo du vendredi saint jusqu’à la fin des temps. C’est à qui prouvera par l’orage avoir fixé le « vrai » moment biblique où Jésus remet son esprit entre les mains du Père, soleil obscur, rideau fendu. Depuis la querelle sur le sexe des anges, on sait que ces désaccords factices permettent d’exister en s’opposant. Le plus émouvant de cette période pascale que nous vivons donc en double (quelle chance !) est le son des cloches qui s’emballent inopinément à toute volée, joyeuses, rassembleuses, elles aussi annonciatrices du temps des fleurs.

Vu sous cet angle, le Liban tient la promesse que nous en faisaient nos manuels scolaires. Quatre saisons, chacune avec ses charmes, diversité des paysages et beauté reçue sans effort, de l’eau en abondance aux portes des déserts. Mais l’arrière du décor est autrement désolant. Amandiers ou pas, Israël bombarde la Békaa et le Sud. Que vaut la générosité de la nature quand elle est rongée par le mal de la guerre ? Des chasseurs imbéciles tirent sur tout ce qui vole, et chaque printemps voit son hécatombe de cigognes abattues pour rien, ou peut-être seulement pour prouver à l’oiseau la force de nuisance de l’homme. La délicatesse des amandiers en fleurs se détache d’un paysage jonché de déchets. Le nombre croissant de réfugiés installés avec les moyens du bord inflige à la plaine, dont les infrastructures ont cédé, un saccage désolant. Les cours d’eau, argentins de loin, charrient chacun son méchant lot de sacs et de bouteilles en plastique. Les moutons et leurs troupeaux sereins, menés par un berger rêveur et un chien bienveillant, iront bientôt aux abattoirs, les uns pour Pâques, les autres pour le Fitr. Nos repas de fête ressembleront à des sacrifices, ici une cuisse entourée de patates et de brocolis, là une forme animale entière, une créature qui n’a pas eu le temps de vivre, du persil dans la bouche comme s’il était brouté, un ruban autour du cou pour la joliesse du geste.

À force d’être quadrillé en régions monochromes, le Liban accuse un manque de sentiment d’appartenance des Libanais. La négligence qu’il subit n’est pas seulement due à l’absence d’entretien depuis la guerre dont on commémore bientôt le 49e anniversaire, ni au manque de fonds. Il est dû à un manque de volonté nationale, trop d’instabilité, trop de conflits le privant de vision d’avenir. Le Japon a pourtant ses séismes. Il n’en préserve pas moins sa beauté. Cette différence demeure un mystère, sachant à quel point chacun de nous est attaché à ce petit bout de terre. Le Liban souffre plus que jamais de la « détresse des choses ingouvernées » dont Georges Naccache faisait déjà le constat en 1949.

C’est la saison où le Liban vous a un petit air de Japon. Les amandiers ont achevé de fleurir. Dans la Békaa, des pétales comme s’il en neigeait. Devant les sommets blancs dont la dernière tempête a joliment saupoudré les flancs, des nuées de cigognes ont enchanté le ciel. C’était sakura, c’était le Fuji, c’était chez nous. Ce spectacle éphémère est une splendeur qui vaut...

commentaires (2)

Je me suis régalée à lire l'article Tout est dit

Hind Faddoul FAUCON

12 h 25, le 28 mars 2024

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Commentaires (2)

  • Je me suis régalée à lire l'article Tout est dit

    Hind Faddoul FAUCON

    12 h 25, le 28 mars 2024

  • ''..Il est dû à un manque de volonté nationale ... '' « détresse des choses ingouvernées ».. Tout est dit ... Et pourtant il est encore si beau notre printemps ...

    Danielle Sara

    00 h 13, le 28 mars 2024

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