L’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (FINMA) a annoncé dans un communiqué ce lundi les conclusions sans appel d’une procédure de « contrôle sur place » lancée en 2021 sur la filiale suisse du groupe bancaire libanais Bank Audi.
Le gendarme financier helvète considère que « Banque Audi (Suisse) SA a manqué à ses obligations en matière de prévention du blanchiment d’argent et a ainsi gravement violé les règles du droit des marchés financiers. »
Contactée, Bank Audi a indiqué ne pas avoir à faire plus de commentaires et qu'elle se réfère au contenu du communiqué de la FINMA.
A la tête d'Accountability Now, une fondation suisse qui s’est fixée pour mission de lutter contre l’impunité de l’élite politique libanaise, l’avocate Zena Wakim, a salué l’annonce de la FINMA. « C’est une décision qui dénote de la gravité des faits reprochés et de l’ampleur du réseau mis en place à l’extérieur du Liban pour blanchir des avoirs issus de la corruption », a-t-elle commenté.
Qu'est-il reproché à la filiale suisse de Bank Audi ?
La FINMA reproche plus précisément à la banque de ne pas lui avoir « remis » un rapport interne dans lequel ses employés signalaient eux-mêmes « des lacunes dans la prévention du blanchiment d’argent en lien avec certaines relations d'affaires et exigé des mesures correctrices ».
L’Autorité affirme aussi avoir « constaté que la banque n’avait pas suffisamment clarifié l’origine des valeurs patrimoniales de certaines relations clients à haut risque », citant « un paiement d’une personne politiquement exposée qui est arrivé sur le compte d'un haut fonctionnaire libanais ».
Précisant que les montants suspects avaient « ensuite été transférés », la FINMA ajoute que la banque a « renoncé à procéder à une communication au Bureau de communication en matière de blanchiment d’argent (Money Laundering Reporting Office-Switzerland ou MROS) » bien qu’elle « n’ait pas pu corroborer le but de ces transactions ».
L’Autorité argumente en faisant valoir que « dans d’autres cas de relations clients avec des personnes politiquement exposées dans d’autres pays, il existait des articles de presse sur des avoirs potentiellement obtenus de manière illicite par ces personnes », ce qui aurait dû conduire la banque à « enquêter sur ces soupçons. Elle considère qu’à travers ce manquement, la filiale suisse de Bank Audi a gravement enfreint les dispositions légales en matière de blanchiment d’argent. »
Quelles mesures ont été prises ?
La FINMA souligne cependant que la filiale a pleinement coopéré avec ses services « durant la procédure d’enforcement (enquête, NDLR) » et qu’elle a déjà pris des « mesures correctrices » pour redresser la barre. « (Bank Audi) a notamment procédé à des changements de personnel à plusieurs postes clés et a nettement augmenté les ressources dans le domaine de la compliance (conformité, NDLR) » poursuit l’Autorité.
Elle a ajouté que la banque avait également « clarifié de manière approfondie certaines relations clients et a fait plusieurs communications MROS », le Bureau de communication en matière de blanchiment d'argent. « La banque s’est aussi séparée de plusieurs clients, mais a toutefois décidé de maintenir certaines relations clients présentant des risques accrus », note encore la FINMA. Le communiqué ne relaie aucune des identités des clients et des membres du personnel à l’origine des déboires de la banque.
La FINMA ne s’est pas contentée de ces mesures correctrices et a ordonné « la confiscation des gains indûment acquis à hauteur de 3,9 millions de francs suisses » soit 4,34 millions de dollars au taux de change actuel. « En raison des relations clients restantes présentant un profil de risque élevé, la FINMA exige également un renforcement des fonds propres minimaux de 19 millions de francs suisses (21,15 millions de dollars) pour faire face à ces risques. A titre de comparaison, cela représente environ 10 % du capital éligible de la filiale tel qu’inscrit sur son bilan financier de 2022 (celui de 2023 n’a pas encore été publié). « Le fait que l’Autorité confisque une somme d’argent à la banque ciblée est du jamais vu », a souligné Zena Wakim.
En outre, « la FINMA ordonne des corrections supplémentaires du dispositif de lutte contre le blanchiment d’argent ». Elle interdit aussi à Bank Audi Suisse d’accueillir de nouveaux clients qui soient des « personnes politiquement exposées » ou des profils « présentant des risques accrus » le temps que ces mesures soient mises en place ou « pendant deux ans ». Elle assure également » qu’elle fera contrôler la mise en œuvre de ces mesures par un chargé d’audit. »
Comme « les personnes présumées principalement responsables des violations du droit de la surveillance ont quitté la banque et la place financière suisse », la FINMA indique qu’elle renonce à les poursuivre.
Aucune accusation directe
Ni le communiqué de la FINMA, ni la réponse de Bank Audi ne dévoilent aucune des identités des clients et des membres du personnel à l’origine des déboires de la banque.
Bank Audi fait partie – avec BankMed, HSBC et Julius Baer - des enseignes bancaires ciblées par l'une des plaintes déposées en 2022 auprès de la FINMA dans le cadre de l’affaire des infractions financières présumées imputées à l’ancien gouverneur de la Banque du Liban, Riad Salamé. «Nous avions spécifiquement ciblé Bank Audi suisse, dans la plainte que nous avions déposé en 2022. L’étape suivante consistera à tenir les dirigeants des banques concernées personnellement responsables », a indiqué Zena Wakim. La filiale suisse du groupe bancaire libanais fait également partie des 12 banques sur lesquelles la FINMA a annoncé, début 2023, avoir lancé des enquêtes dans le sillage de la même affaire.
Ce qui semble certain, c’est que le « paiement d’une personne politiquement exposée » effectué sur « le compte d'un haut fonctionnaire libanais » ne semble pas lié à l’affaire Salamé, dans laquelle les soupçons portent sur 330 millions de dollars virés sur des comptes suisses via la société offshore Forry Associates Ltd, enregistrée dans les îles Vierges britanniques.
Le fait que la FINMA ait annoncé qu’elle renonçait à poursuivre les personnes présumées principalement responsables des violations du droit de la surveillance » pourrait être interprété comme une tentative de contrôler les dommages collatéraux d’une telle affaire, dans laquelle l’efficacité des procédures de contrôle en Suisse pourrait être sérieusement remise en question.
Merci d’avoir fait part de cette information, vos concurrents libanais ne l’ont pas fait!
07 h 00, le 26 mars 2024