
Un panneau publicitaire à Zouk dans le gouvernorat de Jbeil, le 28 février 2024. Photo P.H.B.
L’ONG La Maison mondiale du Liban et diverses institutions officielles ont lancé une campagne médiatique utilisant des panneaux d'affichage à travers le pays ainsi qu'une publicité sur la chaîne MTV Liban, appelant les gens à « réparer les dommages causés par les déplacés syriens ». Sur son site web, l’ONG affirme « promouvoir l'esprit de coopération et d'union » parmi les Libanais résidant dans le pays et à l’étranger. Sa fondatrice et présidente, Betty Hindi, a parlé de la campagne dans l'émission It's Time de la chaîne locale MTV il y a un mois, affirmant que les panneaux d'affichage et les publicités télévisées étaient conçus pour « exiger l'application des lois », dans le cadre d'une mission plus large visant à « enregistrer tous les Syriens ».
Avec 1,5 million de réfugiés syriens au Liban, selon les chiffres du gouvernement, dont environ 950 000 enregistrés auprès du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) – qui a cessé de le faire à la demande du Liban en 2015 –, les politiques libanais de tous bords appellent régulièrement à leur rapatriement immédiat. Ils affirment que les conditions actuelles en Syrie permettent un tel retour, tandis que l'ONU et d'autres groupes de défense des droits soutiennent le contraire. Le ministre sortant des Affaires sociales, Hector Hajjar, a demandé à plusieurs reprises au HCR de soumettre ses données sur les réfugiés au gouvernement. Si l'agence onusienne a accepté de le faire, elle n'a pas encore soumis son rapport.
« Nous sommes passés de campagnes publicitaires à un travail sérieux », a également déclaré Betty Hindi sur la MTV, précisant que cette campagne a été réalisée en partenariat avec la Chambre de commerce, d'industrie et d'agriculture, les organismes économiques (représentant le patronat) et la chaîne MTV. Les objectifs et les raisons de cette campagne ne sont pas clairement identifiés cependant. Ni l'ONG ni sa présidente n'ont pu être joints par L'Orient Today pour commenter.
À quoi ressemble la campagne ?
« La population du Liban est divisée en deux : une première moitié composée de réfugiés syriens, une deuxième constituée de Libanais voulant émigrer », proclame la publicité diffusée sur MTV. Ce spot montre également un jeune enfant s'exprimant avec un accent syrien et expliquant être originaire de Syrie mais être né et avoir grandi au Liban de parents syriens. Et d’ajouter qu'on lui a dit qu'il « deviendra libanais dans quelques années ». Ensuite, un second garçon répond : « Non, mon frère, nous sommes de Syrie et nous devrons y retourner pour la reconstruire. »
En 2020, une proposition de loi a été élaborée qui, si elle était adoptée, empêcherait toutes les personnes apatrides nées après 2011 au Liban (année marquant le début de la crise syrienne) de demander la citoyenneté libanaise, comme le permet normalement la loi. Ce texte a été proposé par le député Ghassan Atallah (Courant patriotique libre/Koura) qui nous a affirmé que le but de ce texte est de combler une lacune par laquelle les enfants de parents syriens pourraient obtenir la citoyenneté libanaise. Le préambule de la Constitution libanaise stipule qu'il ne devrait y avoir aucune « installation de non-Libanais au Liban ».
La campagne publicitaire insiste sur le fait que les Libanais devraient, étant donné que les réfugiés syriens constituent plus de 40 % de la population du Liban, « s'unir et agir de manière responsable pour rectifier la situation de manière urgente avant qu'il ne soit trop tard », sous-entendant que la présence de réfugiés syriens dans le pays constitue une menace existentielle. La publicité explique qu'après « une guerre sanglante » en Syrie, la situation n'est pas « différente », et appelle les Syriens de la diaspora à rentrer et à « reconstruire leur pays », avant de terminer par ces mots : « Undo the damage », c'est-à-dire « réparez les dommages ».
Risques de retours et de déportations
Dans un rapport de septembre 2021, Amnesty International a documenté un « catalogue de violations horribles commises par les agents du renseignement syrien contre 66 rapatriés syriens, dont 13 enfants. La majorité des enfants étaient revenus du Liban, dont deux qui avaient été expulsés ». Les agents du renseignement syrien « ont soumis les femmes, les enfants et les hommes revenant en Syrie à une détention illégale et arbitraire, à la torture et à d'autres mauvais traitements, y compris le viol et la violence sexuelle, et à la disparition forcée. Ces violations étaient la conséquence directe de leur affiliation présumée à l'opposition politique en Syrie, simplement en raison de leur statut de réfugié ».
Plusieurs initiatives ont été mises en place par le Liban pour inciter les Syriens à partir, notamment les « campagnes de retour volontaire » de la Sûreté générale, où les Syriens installés au Liban pouvaient demander leur rapatriement. Les noms des demandeurs étaient ensuite envoyés à Damas où les listes étaient approuvées ou rejetées, et des voyages en bus étaient organisés depuis toutes les régions libanaises pour traverser la frontière. Ces campagnes de « retour volontaire » ont été organisées entre 2018 et 2019, mais ont été interrompues en raison de la pandémie de Covid-19 et des fermetures de frontières qui ont suivi. En octobre 2022, les autorités libanaises ont tenté de relancer ce projet. Environ 500 personnes sont retournées en Syrie, à une époque où le gouvernement libanais espérait voir le retour de 15 000 Syriens par mois.
Une nouvelle campagne a été annoncée en janvier, mais aucune action concrète n'a été entreprise pour la faciliter. En réponse à cette annonce, le HCR, contacté par L'Orient-Le Jour, a affirmé qu'il « respecte le droit fondamental des réfugiés de retourner librement et volontairement dans leur pays d'origine au moment de leur choix, conformément aux principes internationaux de retour volontaire en toute sécurité et dignité ». Dans le même temps, Sahar Mandour, chercheuse sur le Liban à Amnesty International, interviewée par L’OLJ, expliquait « qu'il est bien établi que les réfugiés syriens au Liban ne sont pas en mesure de prendre une décision libre et éclairée sur leur retour, en raison des politiques restrictives du gouvernement syrien en matière de mouvement et de résidence, de la discrimination généralisée, du manque d'accès aux services essentiels, ainsi que de l'absence d'informations objectives et à jour sur la situation des droits de l'homme en Syrie ».
Pourquoi la Chambre de commerce de Beyrouth est-elle partenaire ?
Mohammad Choucair, président de la Chambre de commerce et d'industrie de Beyrouth, nous a expliqué que la Chambre avait décidé de participer à la campagne dans l'intérêt de l'économie. « Notre système économique est un marché libre, ce qui signifie que le Liban est ouvert à tous ceux qui veulent venir investir dans le pays », dit-il, puis d’affirmer que « la plupart des Syriens au Liban ont des établissements illégaux où ils ne paient pas d'impôts ou ne paient pas les taxes municipales obligatoires. Ce sont ceux-là que nous visons avec notre campagne, nous ne voulons pas cibler ceux qui vivent légalement ».
Mohammad Choucair a également déclaré que la Chambre de commerce espère que la campagne entraînera soit la légalisation des entreprises non enregistrées, soit leur fermeture. La Chambre espère aussi voir ceux qui cherchent du travail au Liban utiliser les « bons documents légaux pour ce faire ». « Du point de vue économique, nous considérons que les menaces sont trop grandes pour continuer à être ignorées. Nous sommes menacés par la présence de Syriens sur plus d'un front, mais dans cette campagne avec La Maison mondiale du Liban, nous voulions nous concentrer sur les abus auxquels l'économie est confrontée aux mains des Syriens », poursuit le président de la Chambre. Toujours selon lui, ce sont les Syriens qui sont responsables de l'engorgement des infrastructures du pays – pourtant en déliquescence depuis la guerre civile – et qui menacent les institutions publiques, qui ont souffert de décennies de corruption systémique. « Le Liban ne peut plus supporter cette pression supplémentaire », conclut-il.
Images trompeuses
En plus des intentions controversées de la campagne, les images utilisées dans les spots télévisés et sur les panneaux d'affichage ont également été considérées comme trompeuses, selon une vérification des faits menée par L'Orient Today. La campagne montre des enfants dans des tentes, souriant à la caméra, et affirme qu’ils se trouvent dans des camps à travers le Liban. Après avoir effectué une recherche d'images inversée sur plusieurs des photos utilisées, il s'est avéré que la plupart illustraient des réfugiés déplacés à l'intérieur de la Syrie au cours des dernières années.
L'agence de publicité Phenomena, qui a conçu la campagne, a répondu la semaine dernière aux accusations du média Megaphone d'avoir utilisé des photos « trompeuses et fausses ». « Pour atténuer les risques potentiels, nous avons créé une publicité symbolique qui reflète le cauchemar quotidien auquel nous sommes confrontés. Cette campagne sert de message direct aux parties responsables concernées, exhortant une action immédiate pour faire face à la crise du déplacement syrien au Liban avant qu'il ne soit trop tard », a alors expliqué l'agence dans un post sur le réseau social Instagram.
Puisqu'on est au Liban : cette publicité s'écrit COMMENT en français et en arabe ?
12 h 35, le 20 mars 2024