
Le siège de la Direction générale des Finances, à Beyrouth. Photo P.H.B.
Les risques encourus par l'État libanais et la Banque du Liban (BDL) liés aux eurobonds sur lesquels le gouvernement a fait défaut depuis mars 2020 ont récemment fait l’objet d’une série d'articles et de commentaires. Ces risques se rapportent, entre autres, à une éventuelle contribution de l’État à la couverture partielle des pertes sur les dépôts bancaires et à la saisie des actifs de la BDL, dont les réserves d’or, situés aux États-Unis.
En tant qu’avocat spécialisé dans les domaines des marchés de capitaux et de la restructuration (ayant représenté trois banques centrales dans des actions de saisie et plus de huit pays dans leurs émissions d'eurobonds), je partage ici mon analyse générale sur ces questions. La loi est complexe et évolutive, et il ne peut y avoir de garanties quant aux actions que les créanciers pourraient entreprendre contre le Liban et la BDL.
Risques
Le risque d’action judiciaire de la part des créanciers est toutefois de plus en plus concret. Depuis que le Liban est en défaut de paiement, les détenteurs des eurobonds ont un droit de créance contre l'État libanais pour non-paiement. Comme il est d’usage dans ce domaine, ce dernier est soumis à la juridiction des tribunaux de New York et des tribunaux fédéraux y siégeant.
Les termes des eurobonds prévoyant un délai de prescription de dix ans pour le paiement du principal et de cinq ans pour celui des intérêts, il est fort probable que des actions en justice soient intentées contre l'État avant le 9 mars 2025, car les détenteurs des eurobonds commenceront à perdre leurs droits aux intérêts à cette date, à moins qu'une restructuration ne prenne place d'ici là.
Or, dans le cas où des jugements seraient rendus en faveur des détenteurs, ceux-ci ne seront plus soumis aux « clauses d’action collective » des eurobonds qui permettent au Liban d’obliger les détenteurs minoritaires récalcitrants à accepter une restructuration agréée par les détenteurs de 75 % des eurobonds dans chaque série (le vote ayant lieu série par série). Le Liban devra donc négocier séparément avec les détenteurs de jugement.
Ces derniers pourraient alors demander la saisie exécutoire contre les actifs de l'État à l'étranger non protégés par convention (si de tels actifs existent). À noter qu’à moins qu’un État n’ait explicitement renoncé à l’immunité concernant les saisies conservatoires (ce qui n’est pas le cas du Liban), il n’est pas possible d’effectuer une saisie avant jugement sur ces actifs.
Dans ce contexte et à la lumière de la récente décision du Conseil d’État sur le plan de redressement financier du gouvernement, de nombreux commentateurs se demandent si une éventuelle contribution de l’État pour couvrir les pertes des déposants pouvait générer des risques supplémentaires dans le cadre des eurobonds. Or, l’État n'a pas d’obligation contractuelle de rembourser les déposants : ceux-ci ont une relation contractuelle avec leurs banques qui, à leur tour, ont une relation contractuelle et réglementaire avec la BDL.
L’État ne devrait certainement pas couvrir directement les dettes des banques envers les déposants. En revanche, en tant qu'unique actionnaire de la BDL, il devrait contribuer à terme à sa recapitalisation – à hauteur de 2,5 milliards de dollars selon les termes des différents plans gouvernementaux et de l'accord préliminaire avec le Fonds monétaire international (FMI). En cas d’accord avec toutes les parties, l'État pourrait augmenter – légèrement – cette contribution, ce qui permettrait à la BDL à son tour d'augmenter sa participation au remboursement des dépôts bancaires. Dans ces conditions, cela ne portera pas atteinte aux clauses des eurobonds.
Quant au risque que les actifs de la BDL soient saisis et employés pour couvrir les dettes de l'État, il ne doit pas être exagéré. Le « US Foreign Sovereign Immunities Act » de 1976 prévoit que les avoirs d'une banque centrale ou d'une autorité monétaire étrangère détenus pour son propre compte ne peuvent pas faire l’objet de saisie-exécution. Il est difficile (mais pas impossible) de contourner ce principe de droit, notamment pour les actifs situés aux États-Unis. Dans le cas de la BDL, il existe certaines vulnérabilités, basées sur des actions de la BDL après la crise. Cependant, ce risque peut être atténué en finalisant une restructuration des eurobonds avant que les créanciers n'obtiennent un jugement contre l'État.
Opportunités
Compte tenu de tout ceci, je suggère que les mesures suivantes soient prises dès que possible.
Tout d’abord, l'État devrait profiter du prix actuel des eurobonds pour en racheter sur le marché secondaire, en respectant les lois applicables. Toute restructuration d'eurobonds se fera probablement à un prix plus élevé que le prix actuel du marché (7 cents, hier) étant donné que le consentement de 75 % des détenteurs de chaque série est requis. En outre, il y aura probablement un montant à payer pour les intérêts courus (déjà inclus dans le prix du marché secondaire) en cas de restructuration. Enfin, si les eurobonds sont achetés auprès de détenteurs étrangers, cela diminuera leur proportion, ce qui devrait faciliter une restructuration.
Ensuite, le Liban ne peut plus continuer à reporter la mise en œuvre des actions préalables requises dans le cadre du programme du FMI. Assez de tergiversations et de populisme : même s'il n'est peut-être ni possible ni conseillé d'adopter les lois requises par le fonds avant l'élection d'un président, s’accorder au préalable avec lui sur le contenu de ces lois contribuerait à restaurer un peu de la crédibilité du Liban – voire d'améliorer certaines des conditions de l'accord. Cela ne remplace pas l’obligation de recouvrement des fonds détournés ainsi que les fonds transférés à l’étranger après octobre 2019.
Il faut aussi entamer des négociations immédiates avec les détenteurs des eurobonds, qui exigeront un accord avec le FMI pour avoir confiance en la capacité du Liban à assurer le service de sa dette restructurée. Les limites d’endettement fixées dans ce cadre pourront par ailleurs aider à négocier un meilleur accord avec les détenteurs.
En parallèle, il est capital de renforcer l’indépendance de la BDL vis-à-vis du gouvernement, dans la continuité des actions déjà entreprises par l’actuel gouverneur par intérim.
La gestion de la crise financière par le Liban depuis 2019 a probablement été la pire jamais enregistrée. Plus de quatre ans et des dizaines de milliards de dollars de fonds des déposants ont été gaspillés sans progrès significatif, alors que la Grèce (2010), par exemple, s’en est sortie en moins de trois ans.
L’approche actuelle doit changer. Le temps ne joue pas en faveur du Liban.
Par Camille ABOUSLEIMAN
Avocat aux barreaux de New York et de Beyrouth.
P.-S. : cette opinion personnelle ne constitue pas un avis juridique et n’engage pas le cabinet Dechert. Si l’auteur a participé à l’émission des eurobonds, il ne représente aucune des parties en cause à l’heure actuelle et n’a jamais détenu des eurobonds ou leurs dérivés.
LA HONTE ..7 Mars 2020 le gouvernement libanais annonçait sur les petits écrans, en grande pompe et en toute fierté son premier défaut de paiement des EUROBONDS à échéance d un montant s élevant à $ 1,2 Milliards et comble du culot sans avoir restructurer sa dette vis à vis de ses créanciers conformément à l intérêt National. La réorganisation de ses engagements est toujours en suspend à ce jour.. Il serait impératif à priori Excellence, que le 7 Mars soit déclaré journée de DEUIL NATIONAL au Liban pour devoir de mémoire des générations à venir…
08 h 39, le 20 mars 2024