Le 6 mars dernier, le ministre sortant de l’Intérieur Bassam Maoulaoui a annoncé devant la commission parlementaire de la Défense que les élections des conseils municipaux et des moukhtars auront lieu les 12,19 et 26 mai prochain au Liban. Une décision unilatérale qui tranche avec l’humeur générale de la classe politique qui, dans son ensemble, semble rechigner à organiser ce scrutin. À quoi sert donc d’annoncer les dates d’une échéance dont tout le monde est convaincu qu’elle n’aura pas lieu ? Le ministre sortant cherche-t-il à se dédouaner aux yeux de l’opinion publique ?
« J’ai pris la décision de tenir les élections municipales (…) qui commenceront au Akkar et se termineront au Liban-Sud lors du dernier tour de vote », avait annoncé le ministre sortant de l’Intérieur. « Si, à deux jours de la date du vote dans le Sud, la conjoncture reste inchangée, alors le scrutin dans les municipalités de cette région sera simplement reporté jusqu’à ce que la situation se stabilise », avait-il précisé. Trois semaines auparavant, M. Maoulaoui avait cependant précisé que les combats transfrontaliers entre Israël et le Hezbollah au Liban-Sud pourraient provoquer le report des municipales prévues en mai dans l’ensemble du pays. « Si le Parlement ne les a pas reportées, nous devrons les organiser de toute façon », avait indiqué.
« M. Maoulaoui a bien fait. Il a exercé ses fonctions comme il se doit et s’est ainsi protégé pour ne pas engager sa responsabilité », commente pour L’Orient-Le Jour Ziyad Baroud, ancien ministre de l’Intérieur. C’est donc en application de la loi et pour respecter les délais que le ministre sortant a fixé les dates du scrutin, un procédé qui doit avoir lieu deux mois avant la convocation du collège électoral. « C’est une mesure technique et une routine administrative qui incombe au ministre. Il ne faut l’expliquer autrement que sous cet angle », commente Rabih Haber, directeur de l’entreprise Statistics Lebanon. Avant d’ajouter : « À ce jour, il n’y a que le ministère de l’Intérieur qui fait preuve de sérieux et de détermination à aller jusqu’au bout de la procédure. »
La détermination apparente de M. Maoulaoui à respecter cette échéance n’émane pas nécessairement d’une volonté politique générale de tenir ce scrutin, qui est une autre paire de manche. Quand bien même Bassam Maoulaoui serait convaincu de l’importance de cette consultation populaire, se disant prêt à la tenir en toutes circonstances, le dernier mot revient au Parlement. « La décision politique revient aux députés. Il reste à voir si ces derniers sont disposés à le faire. À moins que le quorum requis pour voter une loi prévoyant une prorogation n’est pas atteint. À ce moment-là, ils seront mis devant le fait accompli », indique Rabih Haber.
Éviter le test
Or tout indique que l’establishment politique, à l’exception de quelques partis, chrétiens notamment, cherchent à éviter les élections locales comme la peste. « La classe politique est tout simplement allergique aux élections locales qui, à leurs yeux, contribuent à changer le statu quo. Personne n’en veut », décrypte M. Baroud. Les municipales ont déjà été reportées deux fois par le Parlement, la première fois pour permettre au gouvernement de se concentrer sur l’organisation des élections législatives de 2022, et la seconde en raison d’un manque de fonds. Un argument qui n’existe plus aujourd’hui, les fonds requis pour l’organisation du scrutin ayant été prévus dans le budget de cette année.
Les observateurs en conviennent : on se dirige inéluctablement vers l’adoption d’une troisième loi par l’Assemblée pour reconduire les membres des conseils municipaux – ou ceux qui restent – à leur poste. Mais aucun responsable ne veut se prononcer à ce stade, encore moins assumer la responsabilité d’une décision aussi impopulaire. « Vous pouvez être certains que M. Maoulaoui – qui ne cesse de répéter qu’il est fin prêt pour organiser le scrutin – ne prononcera jamais le mot report », confie une source proche du ministre sortant.
L’exemple israélien
Rabih Haber estime de son côté que le ministre sortant est « sincère et convaincu », mais que la balle n’est pas dans son camp. Il est en tout cas disposé à aller jusqu’au bout, comme l’assure une source proche du ministère à L’OLJ. Son insistance serait motivée par ce qui s’est passé en Israël, qui a tout de même tenu le même scrutin en dépit de la guerre de Gaza et son prolongement au nord du pays. Le 27 février dernier, sept millions d’Israéliens se sont rendus dans les bureaux de vote pour désigner les maires ou les chefs de Conseils locaux. Exception faite pour les localités frontalières de Gaza et du Liban, où le scrutin a été fixé au 19 novembre prochain, soit dans 9 mois, selon le quotidien israélien Yediot Aharonot. « Même les soldats qui se trouvent sur le front à Gaza ont pu voter », souligne M. Haber.
Au Liban, par contre, l’excuse de la guerre pour reporter le scrutin a été renforcée ces derniers jours par l’élargissement du front à d’autres régions, y compris dans la Békaa et le Chouf. L’annonce de Maoulaoui risque de ne pas pouvoir y changer grand-chose.
Pour ce type tout va bien pour le meilleur du monde. Il parle d’élections alors que le pays est au bord de l’extinction.
13 h 52, le 13 mars 2024