Au même moment, il commence à cultiver – au sens premier du terme – son jardin à Fanar. Il y plantera au fil des ans des centaines de variétés de plantes et d’arbres qui constitueront son petit sanctuaire botanique. Un espace préservé de la vie urbaine trépidante où cet artiste à la fibre écologique évidente trouve refuge.
Dans sa « forêt », comme il dit, l’homme au look christique – grand, émacié, barbe et cheveux longs – vit en totale symbiose avec son environnement, avec les éléments de la nature, avec la matière et l’énergie qu’elle dégage… Au point d’en faire l’axe central, on pourrait presque dire le cœur battant, de son art.
Car, Charbel Samuel Aoun croit à la matière vivante. Au fait que « le minéral a aussi une forme de vie. Que la pierre, le bois, la terre, la boue, la cendre, etc. sont dans une interconnexion avec l’humain – « qui est lui-même matière », rappelle-t-il – et qu’à ce titre, ils s’imprègnent l’un de l’autre, connectent leurs énergies, leurs vibrations, leurs mouvements, les sons qu’ils dégagent…
Entre cinétique et Arte Povera
À partir de là, toute sa démarche artistique consistera à rendre sensible au public l’interaction permanente entre les éléments de l’environnement naturel et les émotions humaines. Une démarche qui donnera naissance ces dernières années à une œuvre multiforme, mais toujours issue d’une inspiration libre et d’une conception spontanée où la nature vivante joue les cocréateurs. À l’instar des abeilles issues de ses ruches à Fanar « avec qui » l’artiste a réalisé une installation de sculptures en roches et cire. Et dont il a recueilli, en sus des différentes formes sculpturales alvéolées qu’elles ont érigées, leurs bourdonnements, le son vibratoire de leur circulation, dans des microphones placés dans un système sensoriel qui s’active à l’approche des spectateurs de manière à rendre la pièce interactive.
Une installation multisensorielle présentée dans l’exposition que lui consacre le musée Sursock sous l’intitulé « Tissus sympoïétiques ». « Un terme utilisé par la biologiste, philosophe et théoricienne de la postmodernité et des technosciences américaine, Donna Haraway, pour désigner le processus de création collective et souligner la nature relationnelle et interdépendante de l’existence », peut-on lire dans la note d’intention qui accompagne les œuvres de Charbel Samuel Aoun, réparties dans les galeries jumelles du rez-de-chaussée (les Twin Galleries dédiées aux artistes contemporains) du musée beyrouthin.
Une exposition qui déroule jusqu’au 15 août une sélection de pièces diverses évoquant d’une certaine manière un Art Povera à la veine écologique. Et dont l’autre pièce phare est également une installation développée par Charbel Samuel Aoun à partir des « ingrédients » de la terre, voire exclusivement des matières organiques issues de son jardin. Et qui, à partir d’un bac en bois rudimentaire rempli de pierres, gravats, terre, sable et actionné par un mécanisme mouvant, plonge dans l’exploration de la matière et d’un art cinétique brut.
« Poétique de l’écoute »
Mais qu’il s’agisse d’installations, de performances réalisées in situ à Beyrouth, Bordeaux ou ailleurs et documentées dans des vidéos, de fresque sur toile ou de dessins, l’exposition met en relief l’engagement unique de cet artiste dans la mise en lumière, à travers son processus de cocréation, d’une écoute approfondie de la vie qui se déroule « en » et « autour » de nous. Une philosophie qui transparait aussi bien dans les toiles qu’il a réalisées à partir de la terre à mains nues, que dans une vidéo intitulée Cri-nexion mettant l'accent sur la connexion par le cri… Et qui fait dire à Marie-Nour Hechaïmé, la curatrice de l’exposition, que « Charbel Samuel Aoun est dans une sorte de poétique de l’écoute de ce que la matière a à dire ». Une manière de revenir aux origines de l’art dans une époque saturée d’images, de technologie et de virtualité ?
Carte de visite
Parallèlement à son travail artistique, Charbel Samuel Aoun est professeur d’arts visuels à l’Académie libanaise des beaux-arts (ALBA). Ses œuvres ont déjà été exposées à la Quadriennale de Prague, à l’Institut du monde arabe (IMA) à Paris, au Tate Modern et au Das Weiss Haus à Vienne, entre autres.