Depuis plus de vingt ans, la « guerre » contre le terrorisme proclamée par les États-Unis et leurs alliés à la suite des attentats du 11 septembre semble avoir posé une nouvelle équation en matière de victimes collatérales d’un conflit, en légitimant notamment une réaction qui tue bien plus de civils – en Afghanistan et en Irak – que l’acte terroriste lui-même. À Gaza, Israël franchit encore une étape en tentant de normaliser ce qui apparaît de plus en plus comme un massacre délibéré de civils, en dépit des dénégations de ses officiels les présentant comme des « victimes collatérales » de la guerre contre le Hamas. Et de nombreux responsables politiques, notamment occidentaux, relaient cet argument, niant ainsi l'évidence des crimes commis à Gaza. Des crimes qui ont notamment conduit l’Afrique du Sud à saisir la Cour internationale de justice pour « génocide » et cette dernière à prendre des mesures conservatoires en attendant de se prononcer sur le fond. Parmi ces responsables, l'ancien président français François Hollande a déclaré, le 7 février dernier, sur France Inter : « Une vie est une vie et une vie est équivalente à une autre. Mais il y a les victimes du terrorisme et les victimes de guerre. » Il est pourtant impossible de nier le caractère intentionnel des massacres israéliens à Gaza. Parmi les dizaines de vidéos et témoignages qui nous parviennent quotidiennement, nombreux sont ceux montrant des civils femmes et enfants tués par des tireurs embusqués.
Cette hiérarchie entre les victimes de guerre et de terrorisme contribue à déshumaniser les Palestiniens, et il est incroyablement méprisant de ne pas évoquer l’ampleur de la riposte israélienne à l’attaque terroriste du 7 octobre 2023. Cette riposte, ou plutôt cette vengeance, ressemble de plus en plus à un nettoyage ethnique de la bande de Gaza, avec un bilan effroyable de près de 30 000 morts, dont une majorité de femmes et d'enfants, des dizaines de milliers de blessés et d'amputés, et environ 90 % de la population de Gaza déplacée. Il est important de rappeler que les deux tiers des 2,3 millions d'habitants de Gaza sont des Palestiniens réfugiés expulsés des territoires israéliens. Certains de ces réfugiés, ainsi que leurs descendants, vivent depuis plus de 75 ans dans des camps, dans l'espoir d'un retour, et ils voient aujourd'hui le semblant de vie qu'ils avaient construit disparaître à nouveau.
Leçons syriennes
Le gouvernement israélien mène la guerre de la même manière que Vladimir Poutine et Bachar el-Assad, en ciblant les civils et les infrastructures essentielles à la vie. L'attaque terroriste du 7 octobre ne peut justifier de tels crimes et manquements aux Conventions de Genève sur le droit international humanitaire. Benjamin Netanyahu a pu observer la tragédie du camp de Yarmouk en Syrie et semble vouloir répéter le même scénario à Gaza. Qu'est-il arrivé à Yarmouk ? Ce camp de réfugiés palestiniens à la périphérie de Damas a été assiégé à partir de 2013 par les forces du régime syrien et ses alliés, notamment le Hezbollah, en raison du soutien apporté par certains Palestiniens à la révolution syrienne. Des milliers de Palestiniens sont ainsi morts de faim ou lors des combats et des bombardements.
Deux ans plus tard, le régime d'Assad a ouvert la voie aux jihadistes de l'État islamique qui ont pénétré dans le camp. Ces jihadistes, alliés de circonstance du régime, en ont expulsé les forces rebelles du camp, avant d'être évacués en bus par le régime syrien vers la province de Homs. Le camp de Yarmouk a été largement détruit, et de nombreux Palestiniens ont fui vers le nord de la Syrie, certains vers la Turquie, et d'autres sont arrivés en Europe, dont Abdallah al-Khatib, réalisateur du documentaire Little Palestine, qui relate cet épisode de la révolution syrienne. Ce dernier rappelle que le régime de Damas n’a jamais été un allié de la Palestine, mais a toujours instrumentalisé cette cause. Le rôle joué par Hafez-el Assad dans le massacre de Tell al-Zaatar, commis par des milices chrétiennes en 1976, a d’ailleurs très tôt montré la vraie nature du régime syrien pour qui cette question n’est autre qu’un objet de propagande.
Effacement
Benjamin Netanyahu cherche lui aussi à forcer les Palestiniens à l'exil et les éloigner de leur terre. Et ses méthodes à Gaza rappellent l’exemple syrien, dont il a sans doute tiré les leçons. Le niveau de destruction des infrastructures civiles à Gaza rend ce territoire inhabitable. Combien sont-ils aujourd'hui à vouloir quitter cette enclave ? Et il ne fait aucun doute qu'Israël va bloquer la reconstruction du territoire – cela a déjà commencé avec l'offensive actuelle contre l'Unrwa, l'agence des Nations unies dédiée aux réfugiés palestiniens. Elle est accusée de soutenir le Hamas, en raison des accusations pesant sur douze salariés sur les trente mille que compte l'agence.
Sur le territoire dévasté de Gaza, les campements de toile réapparaissent, ceux-là même qui avaient disparu au fil des années. Mais, cette fois, beaucoup de ces réfugiés ne chercheront pas à reconstruire en dur quelques misérables mètres carrés, même si Israël leur en laisse la possibilité. La majorité des Palestiniens constituent aujourd'hui une population sans terre ni pays. Certains responsables politiques israéliens, dont le Premier ministre Netanyahu, souhaitent mettre un terme au statut de réfugié « par héritage » des Palestiniens. Ils demandent que les enfants palestiniens apatrides n'obtiennent pas ce statut et qu’ils soient assimilés au sein de leurs pays d’exil. Or, pour les Palestiniens, ce statut de réfugié est une reconnaissance de leur appartenance à la nation palestinienne. C'est un effacement de cette nation qui est orchestré aujourd’hui par le gouvernement israélien.
Alors que la tragédie de Yarmouk aurait dû interpeller la communauté internationale et remettre la question palestinienne au premier plan, elle a été ignorée. Continuera-t-elle à en faire de même avec celle de Gaza ?
Par Firas KONTAR
Opposant et essayiste syrien. Dernier ouvrage : « Syrie, la révolution impossible » (Aldeïa, 2023).
commentaires (8)
Il est pourtant impossible de nier le caractère intentionnel des massacres israéliens à Gaza". Sérieusement ? Vous êtes un auteur de scénarios pour Palywood YP ?
Dorfler lazare
17 h 09, le 22 février 2024