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Nos Lecteurs ont la Parole

À travers l’histoire : l’art pour l’art, ou l’art au service du pouvoir établi ?

La représentation de l’artiste bohème contestataire, dévoué à son art en tant qu’âme libre et indépendante, n’a émergé qu’à partir du XIXe siècle. Jusqu’alors, et depuis l’Antiquité, l’art s’était principalement consacré aux pouvoirs établis, qu’ils soient religieux ou politiques, et cela à l’exception de quelques épisodes isolés dans le temps.

Ce texte explore l’évolution de la conception et du rôle de l’art à travers les époques, mettant en lumière la transition marquante vers une vision de l’artiste en tant qu’individu autonome. Comment cette transformation a ouvert la voie, au fil du temps, à de nouvelles formes d’expression artistique.

L’art plonge ses racines dans le paléolithique, débutant il y a environ quarante mille ans. Les artistes y bénéficiaient naturellement d’une relative liberté, donnant lieu à des formes artistiques telles que les peintures rupestres et les sculptures dans les grottes. En revanche, au cours des civilisations antiques, malgré des formes de diversité significatives, l’art était étroitement lié à la spiritualité, au pouvoir politique et à la commémoration. En plus, dans la Grèce antique, l’art était associé à la recherche d’une esthétique idéale, tandis qu’à Rome, il revêtait une dimension politique et était utilisé dans un but de domination des citoyens des colonies romaines.

Au Moyen Âge, en Europe (du Ve au XIIIe siècle), l’art était en relation étroite avec la religion chrétienne, jouant un rôle essentiel dans la propagation de la foi, et cela à travers les scènes reproduites des livres saints. Les représentations de l’enfer et du diable renforcent la crainte divine.

La Renaissance italienne (du XIVe au XVIe siècle) engendrera une transformation culturelle dans laquelle l’homme deviendra un élément central. Elle se montrera soucieuse de représenter la réalité de manière authentique, aidée en cela par la découverte de la perspective, célébrant les idéaux antiques et promouvant la valorisation de l’individu. Des maîtres tels que Michel-Ange, Raphaël, Léonard de Vinci et Botticelli, soutenus par des mécènes influents, dont l’Église, oscilleront entre la soumission au pouvoir et la quête d’une liberté créative pure.

Le maniérisme, émergeant au XVIe siècle en Italie et se propageant par la suite en Europe, constituera une réaction à la Renaissance. Les artistes maniéristes, dont Le Greco, Parmesan et Jacopo Pontormo, créent des œuvres artistiques caractérisées par des éléments stylistiques exagérés, une déformation délibérée des formes et une sophistication artistique poussée.

Entre le milieu du XVIe siècle et celui du XVIIIe siècle, l’époque baroque a considérablement intensifié l’art. Le baroque se caractérise par des formes dynamiques, l’utilisation de l’ornementation et une expression dramatique. Les compositions artistiques étaient souvent théâtrales et émotionnelles, comme les œuvres de Rubens. De la même époque, certains artistes ont affirmé leur indépendance, à l’instar du Caravage, avec des œuvres provocantes caractérisées par un clair-obscur et un naturalisme brutal. Poussin, en tant que représentant du classicisme, exprimait à travers son art des idées philosophiques, tandis que les frères Le Nain et Vermeer choisissaient des sujets liés à la vie quotidienne. Rembrandt était connu pour l’utilisation du clair-obscur, et Velázquez était reconnu pour ses portraits réalistes. Tous ces artistes ont initié la tendance vers l’art pour l’art.

En revanche, au XVIIIe siècle, le rococo est souvent associé à la délicatesse, à la grâce, à l’intimité et à la frivolité, comme illustré par le peintre Watteau.

Fondée en 1795, l’Académie des beaux-arts de Paris a exercé une influence majeure sur les artistes du XIXe siècle, et cela en contrôlant les concours, les expositions et les commandes officielles. Cependant, malgré ses efforts pour imposer sa propre vision artistique, divers mouvements artistiques ont cherché à s’affranchir de son influence. Néanmoins, la période néoclassique, du milieu du XVIIIe siècle au début du XIXe siècle, correspond aux critères artistiques de l’Académie, privilégiant l’ordre, la clarté et la rationalité, incarnés par des artistes tels que Jacques-Louis David et Jean-Auguste-Dominique Ingres.

Le mouvement romantique quant à lui, qui se développe durant les premières décennies du XIXe siècle, s’affranchit des conventions néoclassiques et de l’emprise de l’Académie des beaux-arts de Paris, avec des figures emblématiques telles qu’Eugène Delacroix et Théodore Géricault qui s’emploient à explorer les émotions humaines. Quant à la seconde moitié du siècle, elle a vu l’émergence de mouvements tels que le réalisme, l’impressionnisme et le postimpressionnisme, se rebellant contre les contraintes académiques et marquant une transition vers une expression artistique plus libre, soit l’idéal de l’art pour l’art, défendant une liberté créative totale et absolue.

Le mouvement réaliste du milieu du XIXe siècle, marqué par des artistes influents tels que Gustave Courbet et Honoré Daumier, cherchait à représenter la réalité de manière authentique, mettant en lumière les aspects ordinaires de la vie quotidienne. En parallèle, le mouvement « barbizonnais », comprenant des peintres tels que Théodore Rousseau, Jean-François Millet et Camille Corot, se concentrait sur la peinture des paysages. Ces artistes ont ultérieurement exercé une influence sur l’impressionnisme.

C’est l’exposition des impressionnistes de 1874 à Paris qui a inauguré ce mouvement. Le terme émane d’une critique sarcastique du tableau de Monet, Impression, soleil levant. Des artistes tels que Monet, Manet, Degas, Renoir, Pissarro et Morisot innovent en capturant des impressions visuelles immédiates, privilégiant la lumière naturelle par la peinture en plein air, rompant totalement avec les normes académiques. Un héritage qui a profondément influencé l’art moderne.

Le talent, l’effort et les sacrifices des artistes du XIXe siècle confrontés à l’Académie des beaux-arts, critiqués par la presse et les critiques d’art de l’époque, tout en étant incompris du grand public, ont ouvert la voie au postimpressionnisme, émergeant dans les années 1886-1910. Cette période a donné lieu à une diversité créative remarquable incluant le pointillisme de Georges Seurat et de Paul Signac, le symbolisme d’Odilon Redon et de Gustave Moreau, ainsi que le synthétisme de Paul Gauguin et d’Émile Bernard. Des artistes tels que Cézanne, Van Gogh et Toulouse-Lautrec ont également contribué à cette diversité artistique, avec des styles uniques, repoussant les limites de l’art et laissant une empreinte durable dans le développement de l’art moderne au XXe siècle.

Tout au long de ce siècle, héritier du précédent, une période marquée par une diversité et une expérimentation inédites verra le jour, reflétant les transformations sociales, politiques et technologiques de l’époque. La première moitié du XXe siècle connaîtra ainsi l’émergence de mouvements repoussant les limites artistiques et marquant une ère de liberté créative totale définie par les avant-gardistes artistiques. Parmi ces mouvements, il nous faut mentionner le cubisme initié par Pablo Picasso et Georges Braque, le fauvisme comme Henri Matisse, le surréalisme dirigé par André Breton, le dadaïsme avec Duchamp, l’art abstrait avec Wassily et Kandinsky et l’expressionnisme avec Edvard Munch. Dans la seconde moitié du XXe siècle, émergent des mouvements artistiques tels que le pop art, ainsi le postmodernisme remet en question l’art moderne au profit d’un éclectisme intégrant des éléments du passé. Le minimalisme, quant à lui, se caractérise par la simplification des formes et des couleurs.

Parallèlement, durant le XXe siècle en Russie, pendant le règne de Staline (1924-1953), les mouvements avant-gardistes « constructionnistes » et suprématistes qui avaient émergé sous Lénine cèdent la place à une propagande décadente promouvant l’idéologie du pouvoir et le culte de Staline. Les nazis (1933-1945), de leur côté, ont proscrit l’art avant-gardiste, le remplaçant par des œuvres au service de la propagande du régime. En revanche, dans l’Italie fasciste, l’art, orchestré par la conspiration du régime visant à faire revivre l’Empire romain expansionniste sous Mussolini (1922-1945), a donné naissance au mouvement Novecento, et cela grâce à la maîtresse de Mussolini, Margherita Sarfatti. Celui-ci a joué un rôle majeur dans l’art italien du début du XXe et en tant que précurseur du mouvement post-moderne, avec des artistes talentueux tels que Giorgio de Chirico.

L’évolution artistique, initialement liée au pouvoir, se métamorphose vers l’expression de l’art pour l’art, comme théorisé par Théophile Gautier (1811-1872), soutenant que la véritable beauté réside dans l’inutile. Les artistes naviguent entre soumission et liberté créative pour aboutir à une liberté totale à partir de la moitié du XIXe siècle, influencés par les changements sociaux, politiques et technologiques du moment.

De nos jours, le marché de l’art est souvent influencé par une nouvelle clientèle considérant les œuvres artistiques comme de simples investissements financiers, ce qui risque d’éloigner l’art de sa véritable essence.

Georges Élias BOUSTANI

Architecte D.P.L.G.

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La représentation de l’artiste bohème contestataire, dévoué à son art en tant qu’âme libre et indépendante, n’a émergé qu’à partir du XIXe siècle. Jusqu’alors, et depuis l’Antiquité, l’art s’était principalement consacré aux pouvoirs établis, qu’ils soient religieux ou politiques, et cela à l’exception de quelques épisodes isolés dans le temps. Ce texte...

commentaires (2)

Merci effectivement, l'Italie capitale de l'art

Boustani Georges

14 h 23, le 08 février 2024

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Commentaires (2)

  • Merci effectivement, l'Italie capitale de l'art

    Boustani Georges

    14 h 23, le 08 février 2024

  • Très intéressant votre article, j’aime beaucoup l’art et surtout ici en Italie c’est un musée du nord au sud .

    Eleni Caridopoulou

    19 h 10, le 07 février 2024

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