Crachin d’apocalypse

Maintenant que les éléments se sont quelque peu calmés, petit flash-back sur nos misères domestiques. La survenue des orages, pensait-on, allait éclipser quelque peu les âneries proférées sur la scène politique locale. Loupé ! D’autres âneries étaient aussitôt débitées sous couvert d’expertise scientifique. Chassez le naturel libanais, il revient par la fenêtre… Voici donc venu le temps des cassandres climatiques, grands pourvoyeurs d’apocalypses à chaque frémissement du thermomètre.

La dernière tempête annoncée au son des trompettes et avec force coups de cymbales est partie en quenouilles, donnant lieu à un communiqué piteux sur la pluie-pluie qui pissoie. Bien avant le premier crachin, les réseaux asociaux nous promettaient pourtant les pires cataclysmes, certains chtarbés n’hésitant pas à nous annoncer le « déluge du millénaire » qui transformerait le pays en fange nauséabonde. Ce qui ne nous change pas beaucoup de l’ordinaire…

Entre tempête et vague de froid, voilà en plus qu’on recommence à nous réchauffer la planète dans les médias. Une vieille manie apocalyptique, qui pour l’instant ne réussit qu’à nous chauffer les oreilles. Avec toutefois cette variation intéressante : si on gèle, c’est parce que la terre a très chaud. Donc, quand viendra l’été, faudra sans doute bien se couvrir pour bronzer au soleil et brouter à l’avance les salades OGM du printemps d’après…

Hébété par l’ampleur des intempéries, le vulgaire de base a ainsi eu droit à un florilège de démonstrations farfelues, fatras de théories absconses emmêlant dynamique aérienne et mécanique des fluides, le tout assorti d’une pincée de complot poivré. « Analyste et commentateur », annonçait le bandeau affiché sous la hure de l’ahuri qui donne en direct un cours de physique des matériaux, sur fond d’images de trombes d’eau noyant les routes et transformant les autos en énormes étrons flottants. Sans aucun complexe, il explique le principe de la cage de Faraday frappée par la foudre, les méfaits du verglas sur l’asphalte, le danger d’une chaudière qui flambe… Et pour peu qu’il soit titillé par quelque journaliste famélique avide de scoop, il donnera même la densité de l’orage et la vitesse du vent à l’heure de la tempête. Autant de précisions capitales, indispensables au réconfort des automobilistes enlisés.

Encore heureux qu’on nous ait épargné cette fois ces sobriquets ridicules dont on affuble généralement les épisodes de temps mauvais. Des appellations puisées dans des patronymes du terroir, façon « Norma », « Zeina » ou autres « Tante Latifé », mais déjà regroupées dans un nom plus commun que les gens de bon sens appellent « l’hiver ». Petit rappel à l’adresse des ploucs qui croient vivre des événements diaboliques : nous sommes en janvier…

Lorsqu’au printemps s’estompera ce gloubiboulga neurasthénique, il nous restera encore heureusement quelques calamités en réserve : les élucubrations de Mikou pour montrer qu’il existe, les fanfaronnades du Victorieux divin qui se voit juché sur un char dévorant un falafel à Ramallah, et les mirages ratés d’une présidentielle inaccessible.

C’est ce qui s’appelle abrutir une population et transformer un pays en cloaque politico-climatique, calcifié dans l’espace, le temps et la médiocrité.

gabynasr@lorientlejour.com