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Nos Lecteurs ont la Parole

Une francophonie en berne !


Ce n’est pas (ou plus ?) le moment d’en parler. Ce n’est pas au goût du jour. Ce n’est plus « in » comme on dit. Y a-t-il encore des francophones au Liban ?

J’étais dans une librairie récemment pour acheter le quotidien de tous les francophones libanais, en bon aficionado du bon vieux papier que je suis, décriant cette version numérique plus qu’honorable mais qui, hélas, ne donne pas la jouissance du vrai papier qu’on étreint avec la passion que tout homme donnerait à l’être aimé. Franchement, n’était-ce L’Orient-Le Jour, que nous resterait-il de francophonie au Liban ?

Habitant dans la zone des universités américaines en tout genre, je suis toujours étonné de constater que le journal disparaît des rayons vers 16 heures avant de comprendre, après les explications du libraire qui depuis me garde une copie, qu’ils sont rangés avec quantité d’autres quotidiens arabes dans les invendus. Il n’y a pas cinq personnes pour acheter un journal français à Hamra. Ou, du moins, pas aujourd’hui. Après vérification auprès des kiosques, même constat ! Ils n’en commandent que deux qui ne trouvent pas preneur. Donc en pure perte !

Pourtant, à voir le constat sur ces dernières années sur le Salon du livre, enfin sur les manifestations autour de ce qui fut une rencontre fusionnelle en un lieu (juste un seul !) entre les intellectuels libanais (ou ce qu’il en reste), les étudiants férus de culture (apparemment il en reste !) et quelques êtres originaux, manifestations qui – parait-il – continuent à avoir leur succès sauf qu’elles ne sont plus annoncées avec tambour et trompette comme autrefois et qu’il faut les détecter en entrant sur des sites particuliers, les francophones libanais continuent d’exister.

Certes, Hamra est loin d’être le lieu idéal pour faire une étude de marché sur la francophonie au Liban. Autant chercher une aiguille dans une botte de foin ! Pourtant, d’autres réalités se présentent.

Sans nier que l’anglais prend de plus en plus de l’ampleur (à juste titre !), les francophones – ou les nouveaux francophones, devrais-je dire – introduisent de plus en plus des anglicismes dans leurs mots, des mots plus pratiques et qui reflètent plus le sens de leurs idées pour certains. Il est vrai qu’il n’y a pas assez de nuances dans la langue de Molière. Il doit se retourner dans sa tombe !

Donc, ces jeunes, suivis par leurs aînés (ironie du sort, ce n’est plus le contraire), transforment une phrase en français pur jus en un magma de mots qui laisse à désirer. Le franglais a toujours existé, certes. Je ne le nie point. Mais c’était énormément pour des causes dites professionnelles et parce que l’anglais est plus simple. Franchement, à voir ce qu’on a fait avec sa langue, même Shakespeare se retournerait dans sa tombe.

Nous sommes le pays des trois langues. Nous l’avons toujours été. Mais ce qui fut une blague est devenu courant. Les nouveaux francophones ne savent plus aligner deux mots de suite sans introduire un mot d’anglais pour des prétextes abscons (même si j’exagère un peu !). Très peu de personnes lisent ou se basent sur les thèmes concernant leur travail ou les sujets à la mode. Il y a toujours une catégorie qui lit pour le plaisir, pour la culture, pour la connaissance des mots.

À une époque ou les réseaux sociaux et la mise en ligne de nouvelles fraîches à la minute, lire une ligne dans un bon livre ou un journal quelconque serait-il devenu une activité extraordinaire ou, plutôt, extraterrestre ? Lire en français, bien évidemment…

Certes, le français, à l’instar de l’arabe, est une des langues les plus difficiles à apprendre, notamment au vu des règles de conjugaison contraignantes. Mais, en même temps, c’est d’une telle richesse et d’une telle beauté qu’abandonner le peu de vocabulaire acquis par l’école ou l’éducation serait triste. Ne plus chercher à défendre un patrimoine acquis au bout d’efforts et de longues années de labeur et d’apprentissage au profit de quelques mots en anglais soi-disant plus simples à épeler ou dont le sens exprime plus leur pensée profonde et existentielle. Il est vrai que dire birthday est plus simple qu’anniversaire et acheter un dress est plus facile qu’une robe.

Je ne critique cependant pas ceux qui ont été éduqués dans des écoles à dominante anglophone ou qui ont eu une éducation anglophone. Mais bien ceux qui, pour des sombres raisons de mode, se sont laissés mordre par l’anaconda anglais.

« Le français, ça complique la vie. » Première nouvelle ! Alors que d’autres langues sont si simples et musicales. Attention ! Il ne s’agit pas de dire que lire en français est simple mais lire dans d’autres langues n’est pas aussi du ressort du premier venu.

Je déplore ce recul qu’ont les jeunes envers une langue qui était la deuxième langue du Liban. Non pas parce que le français soit difficile, mais parce qu’ils ne savent plus aimer la langue ou la chérir et se réfugient dans des alternatives simplistes sous prétexte que « c’est la langue des affaires ». On le saura…

Ce n’est qu’un énième cri face à ce que je considère comme une injustice. Mais bon, si le monde était vraiment juste, nous n’en serions pas là non plus à tous les niveaux.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

Ce n’est pas (ou plus ?) le moment d’en parler. Ce n’est pas au goût du jour. Ce n’est plus « in » comme on dit. Y a-t-il encore des francophones au Liban ? J’étais dans une librairie récemment pour acheter le quotidien de tous les francophones libanais, en bon aficionado du bon vieux papier que je suis, décriant cette version numérique plus qu’honorable mais qui,...
commentaires (2)

La perte de la francophonie au profit du franglais est regrettable. Certains, engagés professionnellement, succombent à la confusion linguistique. Nos parents ont cultivé notre amour pour le français à travers des lectures, de Martine à la comtesse de Ségur, de Delly et Max du Veuzit à Tintin, Astérix, Picsou, Spirou. L’Orient, la revue du Liban, Magazine, Paris Match, Elle et Marie Claire ont enrichi notre culture. Maintenir cette forteresse culturelle est crucial. Allons-nous perdre nos repères, ou résister pour préserver notre héritage dans un monde influencé?

Mireille Braidy

06 h 53, le 19 janvier 2024

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Commentaires (2)

  • La perte de la francophonie au profit du franglais est regrettable. Certains, engagés professionnellement, succombent à la confusion linguistique. Nos parents ont cultivé notre amour pour le français à travers des lectures, de Martine à la comtesse de Ségur, de Delly et Max du Veuzit à Tintin, Astérix, Picsou, Spirou. L’Orient, la revue du Liban, Magazine, Paris Match, Elle et Marie Claire ont enrichi notre culture. Maintenir cette forteresse culturelle est crucial. Allons-nous perdre nos repères, ou résister pour préserver notre héritage dans un monde influencé?

    Mireille Braidy

    06 h 53, le 19 janvier 2024

  • Vous avez parfaitement raison. De surcroît, la France elle-même ne fait pas l'effort de préserver sa "francophonie". Un exemple, la publicité est aujourd'hui truffée d'expressions anglaises (sans compter les émissions de télévision). Ce n'est certainement pas le petit Liban qui va sauver une situation très largement compromise. Malheureusement l'histoire nous rattrape et notre français perd de son "universalisme". Il faudra surtout parler à l'avenir des solutions. Le constat est là, mais que faire ? Toute la difficulté est là...

    Thierry BERCIN

    11 h 31, le 18 janvier 2024

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