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Économie - Finances publiques

Budget 2024 : pourquoi le projet du gouvernement ne doit pas passer tel quel

La commission parlementaire des Finances et du Budget a finalisé lundi l’examen du projet de budget de l’État – aussi appelé loi de finances – pour 2024.

Budget 2024 : pourquoi le projet du gouvernement ne doit pas passer tel quel

Mur principal du hall d'entrée du bâtiment hébergeant les commissions parlementaires, à Beryouth. Photo P.H.B.

La commission parlementaire des Finances et du Budget a finalisé lundi l’examen du projet de budget de l’État – aussi appelé loi de finances – pour 2024. La version définitive doit maintenant être mise au propre et envoyée au bureau du Parlement dans les prochains jours, à la suite de quoi le président de la Chambre, Nabih Berry aura une fenêtre de temps très réduite, avant fin janvier, pour convoquer une assemblée plénière qui aura la mission d’examiner le texte une dernière fois pour le voter ou le rejeter.

Si le second scénario se produit, et que le Liban se retrouve une fois de plus sans budget de l’État à la fin du premier mois de son année d’exécution, l’exécutif aura la possibilité de promulguer le budget par décret. Il sera alors publié au Journal officiel et exécutoire, bien que non voté par des élus.

« C’est une prérogative accordée au gouvernement dont la décision est publiée par décret présidentiel conformément à l’article 86 de la Constitution, et qui suppose que le projet de budget a été approuvé par un Conseil des ministres où le quorum des deux tiers a été atteint, et que ce même projet a été envoyé au moins deux semaines avant le début de la séance parlementaire d’automne », rappelle l’avocat fiscaliste Karim Daher.

Cette compétence pourrait être exercée par le gouvernement, même s’il est démissionnaire depuis mai 2022, en lieu et place du président, dont le poste est, lui, vacant depuis fin octobre de la même année. « La situation est inédite et il n’y a pas de jurisprudence pour donner une réponse fixe », souligne Me Daher.

Mais le vrai problème se situe ailleurs. Si le gouvernement décide de promulguer lui-même le texte et que le Conseil constitutionnel ne trouve rien à redire, ce sera alors la version du gouvernement qui entrera en vigueur, et non celle que la commission des Finances modifie depuis fin septembre.

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« Perspective terrible »

« Cette perspective serait absolument terrible pour une économie libanaise déjà meurtrie par plus de 4 ans de crise pendant lesquelles les autorités ont systématiquement retardé la mise en œuvre des réformes nécessaires et attendues », alerte le spécialiste.

En octobre, une coalition composée de l’Association libanaise pour les droits et l'information des contribuables (Aldic, de laquelle Me Daher est membre), les ONG Kulluna Irada et Legal Agenda, et le think thank The Policy Initiative (ou Siyasat al-Ghad) ont étrillé ce projet qui mélangeait pêle-mêle des mesures prévues pour 2024 et d’autres que l’exécutif voulait faire appliquer en 2023, une année pendant laquelle l’État libanais a fonctionné sans budget.

Elles avaient explicitement soupçonné le gouvernement sortant d’avoir déposé le projet de budget dans les temps avec l’idée de le faire entrer en vigueur par décret fin janvier, histoire de faire passer une pléthore de mesures fiscales dont le seul objectif était de gonfler les recettes sans toucher aux dépenses les plus problématiques. Des arguments qu’elles ont également partagés avec les députés de la commission au cours de discussions entre octobre et décembre.

La commission parlementaire des Finances, avec laquelle ces ONG se sont aussi entretenues, a également considéré que le projet transmis par l’exécutif était défaillant. Contacté, son président,  Ibrahim Kanaan (CPL), a notamment mis en avant l’absence de vision, de « prise de conscience de la réalité économique du pays » et des « calculs chaotiques ». Il assure que la commission a profondément modifié le contenu du projet qu’elle va transmettre au Parlement, sans dévoiler de détails. Contacté pour réagir, le ministre sortant des Finances, Youssef Khalil, n’est pas revenu vers nous.

Pour mémoire

Les budgets de 2023 et de 2024 ont finalement été fusionnés

La question des avances

Selon des informations sur ce budget que L’Orient-Le Jour a pu consulter par une source bien au fait du dossier, les députés ont effectivement mis en œuvre d’importants changements.

• Une majorité des nouveaux impôts, taxes et frais que le gouvernement a cherché à imposer ont été retirés ou mitigés. Des mesures coercitives, comme celles prévoyant de renvoyer devant le procureur financier les contribuables qui n’ont pas déclaré leurs revenus à l’administration fiscale ou de mettre leurs biens sous séquestre, ont également été supprimées.

• Les ajustements des prélèvements obligatoires encore calculés en fonction de l’ancienne parité officielle de 1 507,5 livres libanaises pour un dollar ont été plafonnés. Ils sont désormais multipliés par un facteur de 46 pour les frais et de 60 pour l’impôt sur le revenu (la TVA ou les droits de douane sont déjà quasiment alignés au taux du marché depuis des mois). Selon la source, les multiplicateurs proposés par le gouvernement étaient beaucoup plus élevés avant que la commission ne les modifie. Elle évoque un multiplicateur commençant à 100 et pouvant, dans certains cas, atteindre plusieurs milliers. À noter que le taux actuel de la livre sur le marché, qui atteint 89 500 LL pour un dollar et et qui est stable depuis le début de l’été, équivaut à 60 fois l’ancienne parité officielle, remplacé par un taux de 15 000 LL pour un dollar annoncé par la Banque du Liban (BDL) le 1er février 2023.

• Les réserves budgétaires, à savoir des sommes mises de côté pour couvrir les dépenses prévisibles sans interruption ainsi que de faire face à des dépenses imprévues, ont atteint un niveau astronomique dans le projet de l’exécutif (78 000 milliards de LL ou 871 millions de dollars pour 35 % environ des dépenses). La commission les a affectées en grande partie à des dépenses spécifiques, dont le financement d’un ajustement des salaires du secteur public, qui équivaut désormais à 7 fois leur niveau sous l’ancienne parité officielle. Sans compter 20 000 milliards de LL (223,5 millions de dollars au taux actuel du marché, pouvant servir à financer des « bonus de productivité », entre autres ajustements. La source indique encore que la commission a affecté 10 000 milliards de LL (à peu près 110 millions de dollars au taux actuel du marché) au ministère de la Santé pour financer les importations de médicaments contre le cancer et les maladies chroniques. En outre, 1 000 milliards de LL ont été affectés au budget des élections municipales qui devraient en principe se tenir cette année. 

• La commission a refusé de financer le remboursement de plusieurs dizaines de milliers de milliards de livres correspondant à des avances du Trésor accordées en 2023, mais aussi en 2022 et 2021. Toujours selon les informations fournies par la source précitée, l’exécutif avait inscrit un total de 3 500 milliards de LL (près de 40 millions de dollars) d’avances à rembourser, mais en regardant les données, la commission a fini par en détecter près de 10 fois plus distribuées à de nombreuses administrations et directions.

• Selon la source, il s’agit du total que l’exécutif a fini par reconnaître, et le montant réel avoisinerait les 80 000 milliards de LL (près de 900 millions de dollars). Aucun de ces montants n’a été versé à Électricité du Liban (EDL), qui est généralement l’arbre qui cache la forêt du gaspillage d’argent public au Liban depuis plus de 20 ans. Ces dépenses n’incluent aucun service de la dette, vu que le pays est en défaut de paiement et n’a toujours pas restructuré sa dette.

La commission des Finances a réclamé un audit pour y voir plus clair. 

La place de l'Étoile où se situe le Parlement libanais. Photo P.H.B.

Changements insuffisants

Dans ce contexte, il semble évident en apparence que les Libanais ont tout à gagner à ce que le Parlement se réunisse et que leurs élus parviennent à s’entendre pour voter le budget avant le 31 janvier.

Malgré ces modifications qui rendent le budget potentiel de 2024 moins nocif pour les contribuables libanais, la version de la commission des Finances est loin d’être optimale. Elle ne résout pas de nombreux problème de base – comme celui de l’investissement public, inexistant, ou celui de l’absence de vision à long terme. Et au final, son effet principal reste d’aligner les impôts au taux du marché, mais sans que n’ait été résolu au passage le nœud de la crise dans laquelle le pays est plongé depuis 2019. À savoir le gel de dizaines de milliards de dollars de dépôts bancaires que ni les banques, ni l’État, ni la BDL n’ont les moyens de rembourser à leurs propriétaires, l’effondrement systémique d’un système financier libanais qui ne dispose que de peu de leviers pour subvenir à ses besoins en devises et la lente agonie des infrastructures du pays.

Dans un entretien accordé mardi aux médias, depuis le Forum économique mondial de Davos, le Premier ministre sortant Nagib Mikati a assuré que le gouvernement sortant travaille sur un « projet de loi sur le recouvrement des dépôts bancaires », qui sera finalisé « dans les meilleurs délais ».

Me Karim Daher précise enfin que l’article 58 du projet de budget, qui prévoit d’imposer les revenus de capitaux mobiliers réalisés par des Libanais résidant à l’étranger comme s’il s’agissait de revenus professionnels n’est pas un nouvel impôt comme cela a pu être compris par certains députés. Il existe déjà depuis 1959, et la promulgation de la loi instituant l’impôt sur le revenu, articles 77 à 82, et déroge au critère de territorialité qui prévaut pour la majorité des autres impôts. Ce qui a changé, c’est qu’avec le développement des échanges d’informations fiscales entre le Liban et plusieurs pays du Forum mondial pour la transparence en matière fiscale, l’administration fiscale libanaise va pouvoir avoir accès à des informations qui lui échappaient auparavant. Une perspective pouvant « frustrer » certains contribuables qui se retrouveraient alors contraints de payer des impôts auxquels ils échappaient auparavant.

La commission parlementaire des Finances et du Budget a finalisé lundi l’examen du projet de budget de l’État – aussi appelé loi de finances – pour 2024. La version définitive doit maintenant être mise au propre et envoyée au bureau du Parlement dans les prochains jours, à la suite de quoi le président de la Chambre, Nabih Berry aura une fenêtre de temps très réduite, avant fin...

commentaires (1)

Quel est le boulot d’un bandit? C’est voler notre argent en nous épargnant la vie. Que fait le gouvernement actuel ? Il confirme la séquestration de nos dépôts, il vole ce qui nous reste et ne nous assure même pas notre sécurité. En comparaison, ce gouvernement est bien pire que tous les bandits du monde réunis. OLJ de grâce ne censurez pas, laissez nous au moins ce droit de la libre expression, ça ne nous donnera qu’une bouffée d’oxygène de satisfaction morale

Lecteur excédé par la censure

08 h 22, le 18 janvier 2024

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Commentaires (1)

  • Quel est le boulot d’un bandit? C’est voler notre argent en nous épargnant la vie. Que fait le gouvernement actuel ? Il confirme la séquestration de nos dépôts, il vole ce qui nous reste et ne nous assure même pas notre sécurité. En comparaison, ce gouvernement est bien pire que tous les bandits du monde réunis. OLJ de grâce ne censurez pas, laissez nous au moins ce droit de la libre expression, ça ne nous donnera qu’une bouffée d’oxygène de satisfaction morale

    Lecteur excédé par la censure

    08 h 22, le 18 janvier 2024

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