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Nos Lecteurs ont la Parole

Rêve d’une trêve... à Noël

Noël, avec ses festivités de dégustation, de profusion, de chants mélodieux et d’échanges de cadeaux, fait une réapparition dans un contexte marqué par les conflits armés. Bien qu’il marque dans le temps la naissance du fils de Dieu pour une grande partie des humains, il dépasse cette signification particulière qui affecte le monde entier lors de la nuit du 24 au 25 décembre chaque année. Avant même l’avènement de Jésus-Christ, cette célébration, qui s’étalait entre le 17 et le 23 décembre, trouvait ses racines chez les Romains, et des équivalents festifs se retrouvaient chez divers peuples européens. Saturnalia, chez les Romains, était une forme d’hommage dédié au dieu Saturne, se fondant sur le mythe selon lequel la prière et la consécration de plusieurs jours à la clôture de l’année persuaderaient le dieu de la lumière de prolonger les jours en vue de bénéficier dans l’agriculture. Durant cette fête, les individus franchissaient les barrières des stéréotypes : les hommes se glissaient dans des habits féminins, et vice versa ; les esclaves goûtaient à l’éphémère statut de maîtres ; des cadeaux étaient partagés, des jeux divers étaient pratiqués, et un roi, choisi parmi les non-méritants, était désigné pour régner pendant ces jours de fête. Certaines de ces coutumes ont traversé le temps avec l’avènement du christianisme, mais l’essence primordiale de Noël a perduré : l’échange de cadeaux et la libération des stéréotypes, célébrant le fait qu’un humble fils de menuisier ait été ultérieurement adoré comme un roi… un dieu. Peu importe la religion de l’être humain, l’esprit de Noël, dans sa dimension profonde, réside dans l’ouverture des parenthèses pendant une période de l’année. C’est le moment où l’on s’efforce de rentrer dans l’esprit de l’autre, de saisir ses émotions et de tendre la main pour offrir aide et réconfort, parfois même de manière symbolique.

Rentrer dans l’esprit de l’autre, une technique subtile adoptée en psychothérapie sous le titre de différentes techniques telles que le jeu de rôles, rend aux êtres humains une clarté sur la complexité de l’autre et restaure en eux un équilibre retrouvé une fois qu’ils réintègrent leur propre réalité. Ainsi, le monde réclame le temps de Noël, non pas uniquement pour commémorer la naissance divine dans une dimension religieuse, ni pour s’abandonner aux festivités dans une approche ludique et hédonique. Le monde attend le temps de Noël parce que c’est une nécessité psychologique intrinsèquement liée à la nature humaine. Il s’agit d’une tendance à s’évader des chaînes de la réalité, à rompre les liens monotones de la routine quotidienne, à surmonter les contours du banal, à éprouver, aux côtés de l’autre, les angoisses de la souffrance, et à s’immerger dans une réalité dont le seul objectif est l’absence d’objectif. Tout cela se démarque drastiquement de la monotonie du reste du cycle annuel, où les hommes auraient plus tendance à s’imposer impitoyablement les uns aux autres, à poursuivre sans relâche les besoins matériels, à exploiter les plus vulnérables sans le moindre respect et à accumuler des richesses sans répit...

Nous vivons actuellement dans un monde instable, où les guerres enfoncent leurs canines dans le corps de la terre, que ce soit à Gaza, au sud du Liban, au Soudan, en Ukraine, et bien d’autres encore. Ces conflits éclatent dans un contexte environnemental radicalement différent de celui des guerres du siècle dernier, malgré l’établissement, en 1945, de la Charte de Nuremberg, qui a lancé les fondations des principes du droit international humanitaire et a posé un précédent crucial en matière de poursuites pénales pour les crimes de guerre. Dans cette charte, il est proclamé : « L’humanité ne tolérera plus l’impunité pour les crimes contre la paix, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité, affirmant ainsi la primauté du droit et la responsabilité individuelle face aux atrocités. » Malgré cette charte, les atrocités persistent et ont atteint leur paroxysme au cours des dernières années.

En ce temps de Noël, l’humanité rêve à réécrire son propre récit, cherchant un contraste avec la grave réalité quotidienne. Une trêve devient ainsi impérative, agissant comme un lien essentiel avec notre existence, nous guidant à travers le chemin laborieux et labyrinthique du retour. Un exemple emblématique de trêve de Noël pendant une guerre remonte à la Première Guerre mondiale en 1914, la période la plus cruelle de l’histoire humaine ayant emporté 16 millions d’individus en quatre ans. Cet événement demeure singulier dans l’histoire des conflits. Il y a un siècle, en décembre 1914, des soldats allemands ont quitté leurs tranchées sur le front ouest en Belgique pour garnir des sapins de Noël. Marchant vers la ligne de front au son de Sainte Nuit, ils ont été applaudis par les soldats britanniques en face, qui ont franchi les barrières pour rencontrer leurs ennemis. Au cours de la semaine suivante, jusqu’à la veille du Nouvel An, cette scène s’est reproduite à maintes reprises le long du front ouest. Des chants de Noël résonnaient des deux côtés du front. Des ennemis d’hier s’approchaient les uns des autres, échangeant des vœux chaleureux. Peu à peu, des rencontres informelles ont eu lieu dans la zone neutre, où les soldats ont partagé nourriture, cigarettes et même des cadeaux. Certains ont saisi l’occasion pour rendre hommage à leurs camarades tombés au combat au cours des affrontements récents.

Bien qu’il semble que la règle soit devenue la violence, et que le crime ait envahi la vie de l’humanité, il est toujours temps de rêver. Rêver d’une trêve qui commence avant Noël. Rêver d’une trêve qui se prolonge à l’infini. Rêver d’une trêve qui transforme les violents, les tyrans et les agresseurs en humanistes. Rêver d’une trêve qui autorise les ennemis à échanger des cadeaux avec d’autres individus, instaurant ainsi un moment mémorable dans l’histoire, leur histoire. Un moment où l’on incarne celui qui s’intéresse à la vie présente en chaque être humain, et qui s’efforce d’ouvrir des voies pour préserver cette vie chez tous les êtres vivants sur terre. Rêver d’une trêve qui, en incitant les guerriers à panser leurs blessures, leur fait réaliser que leurs blessures se confondent avec celles de leurs ennemis. C’est alors que l’on comprend que ce qui se blesse en fin de compte, c’est notre humanité, qui semble avoir oublié l’art du partage et la capacité de se mettre à la place de l’autre même en ce temps béni de Noël !

Rami BOU KHALIL, MD, PhD

Chef de service de psychiatrie

à l’Hôtel-Dieu de France

Professeur associé à la faculté

de médecine de l’Université Saint-Joseph

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Noël, avec ses festivités de dégustation, de profusion, de chants mélodieux et d’échanges de cadeaux, fait une réapparition dans un contexte marqué par les conflits armés. Bien qu’il marque dans le temps la naissance du fils de Dieu pour une grande partie des humains, il dépasse cette signification particulière qui affecte le monde entier lors de la nuit du 24 au 25 décembre chaque...

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