Après un cessez-le-feu d'une semaine, Israël a repris la guerre à Gaza et largué des tracts incitant les Palestiniens à se diriger vers le poste-frontière de Rafah, en Égypte. Cette situation fait craindre que Tel-Aviv ne prenne des mesures préliminaires en vue d'expulser totalement les Palestiniens de l'enclave, en dépit d'une sévère mise en garde des États-Unis.
Qu'elle soit voulue ou non, l'expulsion aurait des conséquences catastrophiques pour la sécurité et la stabilité régionales. Les États-Unis et leurs partenaires arabes doivent intervenir de toute urgence pour contraindre les dirigeants israéliens à mettre fin à la guerre et à adopter une approche plus stratégique. Le traumatisme de l'attaque du Hamas du 7 octobre a peut-être aveuglé les dirigeants israéliens sur les effets de leurs décisions. Il faut leur rappeler qu'Israël – ainsi que les États-Unis et leurs autres alliés – ont beaucoup à perdre si la région sombre dans le chaos et la radicalisation.
Cette perspective risquerait de faire voler en éclats les accords de paix conclus de longue date entre Israël et ses voisins égyptiens et jordaniens. Ces gouvernements seraient incapables de résister au tollé général et aux accusations de collusion avec Tel-Aviv. Ce serait la fin des efforts menés par les États-Unis, lancés par feu Henry Kissinger juste après la guerre du Kippour de 1973, pour créer une architecture de sécurité au Moyen-Orient et œuvrer en faveur de la paix régionale.
L'Arabie saoudite et d'autres alliés arabes pourraient également être déstabilisés, ce qui éliminerait la possibilité de conclure à l'avenir des accords de paix tels que celui qui prenait forme entre Israël et le royaume wahhabite jusqu'au 7 octobre. Alors que les États-Unis s'efforçaient de faciliter ce processus, les événements sur le terrain à Gaza menacent aujourd'hui leur position dans la région.
Quel objectif ?
Si Israël a un objectif stratégique mûrement réfléchi pour la guerre, il ne l'a pas encore formulé. Même si une victoire militaire décisive sur le Hamas était possible, cela n'apporterait pas la paix ou un environnement sécuritaire plus stable pour Israël. De fait, la popularité du Hamas parmi les Palestiniens s'est accrue depuis le 7 octobre, tout comme sa présence en Cisjordanie et dans les camps de réfugiés palestiniens de toute la région – au Liban, par exemple, le Hezbollah a aidé le Hamas à en prendre le contrôle.
Loin de mettre fin au Hamas et à la menace qu'il représente, un exode palestinien de Gaza engendrerait un mouvement palestinien encore plus radical en Cisjordanie et ailleurs. Le plus grand gagnant serait l'Iran, qui se nourrit du chaos, et les plus grands perdants seraient ceux qui aspirent à un Moyen-Orient pacifique et prospère.
C'est pourquoi les États-Unis, en étroite coordination avec l'Arabie saoudite et d'autres alliés arabes, doivent de toute urgence faire pression sur Israël pour mettre fin à la guerre et reprendre les négociations en vue de créer un État palestinien viable et de parvenir à la paix avec les principaux pays arabes. Le Hamas et l'Iran veulent la guerre et entretenir la haine mutuelle : lorsque le mouvement islamiste a mené des campagnes d'attentats-suicides dans les années 1990 et 2000, son objectif était de faire échouer tout rapprochement israélo-palestinien. De même, l'une des raisons présumées de l'attentat du 7 octobre était d'empêcher la paix entre Israël et l'Arabie saoudite.
Israël doit éviter de servir aveuglément l'agenda du Hamas, dont l'un des objectifs est de radicaliser les Palestiniens et l'ensemble du monde arabe et musulman. Il est révélateur – et profondément troublant – qu'el-Qaëda et d'autres mouvements jihadistes mondiaux soient sortis de leur relative hibernation pour faire l'éloge du Hamas et appeler à la violence djihadiste partout dans le monde. Nous voyons déjà le fruit de leurs efforts dans la récente attaque à l'arme blanche à Paris.
Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu ayant été affaibli politiquement, voire mortellement, par l'échec des mesures de sécurité du 7 octobre, seule la guerre le maintient au pouvoir. Mais cela signifie que les États-Unis ont l'occasion de mettre fin à l'effusion de sang et d'écarter les extrémistes en même temps. Tout comme la guerre du Kippour a ouvert la voie à la paix, l'actuelle guerre de Gaza pourrait permettre de recadrer le conflit. Depuis des années, les sondages effectués en Israël et dans les territoires palestiniens indiquent que des pourcentages significatifs des deux populations seraient favorables à une résolution du conflit, si l'occasion se présentait.
Empêcher l'expulsion
Bien entendu, la conclusion d'un accord de paix sera douloureuse et nécessitera d'énormes sacrifices de la part des Israéliens et des Palestiniens. Cela impliquerait certainement le démantèlement des colonies juives en Cisjordanie, ainsi que l'abandon du rêve d'un État palestinien « du fleuve à la mer ». Mais aussi pénibles que puissent être ces concessions pour certaines parties, il ne s'agit en fin de compte que de détails dans un contexte plus large. Ceux qui, des deux côtés, veulent la paix savent depuis longtemps ce qu'il faut faire.
L'administration Biden a tout à gagner à faire comprendre à Israël quel devrait être son objectif stratégique, ce qu'il a à gagner de la paix et quels sont les impératifs stratégiques primordiaux des États-Unis dans la région. Sur le plan intérieur et international, M. Biden gagnera à réaffirmer leur position en tant que seul pays capable de contribuer à la résolution de ce conflit.
Le soutien de l'Arabie saoudite dans cet effort sera également crucial, compte tenu de son influence dans les mondes arabe et musulman et de ses tentatives répétées de rédiger une feuille de route pour une paix régionale complète. Le récent sommet arabo-islamique qui s'est tenu à Riyad a mis en évidence le pouvoir de rassemblement du royaume, et le communiqué final a montré qu'aucune des demandes radicales de l'Iran – comme son appel à un embargo sur le pétrole – n'a été prise au sérieux. Au contraire, les signataires ont réaffirmé pour la énième fois l'importance de la solution à deux États.
La guerre de Gaza offre aux États-Unis et aux pays de la région l'occasion de mettre fin au projet cynique du Hamas et de l'Iran, qui consiste à perpétuer le conflit et le chaos. Mais cette occasion ne peut être saisie qu'en empêchant Israël d'expulser les Palestiniens de Gaza et en donnant aux deux parties l'espoir d'une résolution pacifique d'un conflit qui dure depuis trop longtemps et a un coût exorbitant pour bien trop de monde.
Copyright : Project Syndicate, 2023.
Par Bernard Haykel, professeur d’études proche-orientales à l’université de Princeton.
On a bien essayé une paix à la Kissinger dans les années 90, on a vu comment les extrémistes des 2 côtés ont tout sapé. C'est bien l'esprit Kissinger: vouloir éviter à tous prix toute confrontation quitte à marchander la justice, qui a à la fois abouti à l'échec du processus d'Oslo, et au renforcement des milices palestiniennes armées par l'entité néo-safavide. C'est pas la poursuite de l'offensive sur Gaza mais bien son arrêt qui renforcerait le Hamas et l'Iran. Les USA devraient laisser Israël démanteler le Hamas mais en contrepartie imposer un gel total de la colonisation en Cisjordanie.
21 h 22, le 07 décembre 2023