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Idées - Commentaire

Téhéran tente de rebattre les cartes palestiniennes au Liban

Téhéran tente de rebattre les cartes palestiniennes au Liban

De la fumée s'échappant du camp de réfugiés palestiniens de Aïn el-Héloué, suite à des combats entre factions rivales, le 30 juillet 2023. Aziz Taher/Reuters

Bien que plusieurs observateurs ont écarté tout lien direct entre la visite à Beyrouth, il y a plusieurs semaines, du chef des services de renseignements généraux palestiniens, Majed Faraj, et les combats entre des factions islamistes et le Fateh qui ont éclaté quelques jours plus tard à Aïn el-Héloué, le contexte régional reste essentiel pour comprendre ce qui se passe à l’intérieur des camps palestiniens. Ces combats reflètent en effet deux évolutions significatives sur les fronts palestinien et régional : premièrement, les affrontements ont eu lieu dans le cadre d’un changement stratégique du rôle des factions palestiniennes au Liban ; deuxièmement, ils mettent en évidence la nouvelle place qu’occupe le Liban dans l’épreuve de force régionale qui se dessine.

Alors qu’auparavant leur champ d’action se limitait aux camps de réfugiés, les factions palestiniennes, dont le Hamas, sont aujourd’hui impliquées dans des escarmouches et des attaques transfrontalières contre Israël. Le fait qu’une grande partie des dirigeants du Hamas et du Jihad islamique palestinien se soient installés au Liban ces dernières années est un facteur d’amélioration de leur statut : la présence du Hamas s’est particulièrement renforcée depuis la crise financière libanaise de 2019, qui a marginalisé l’État libanais qui aurait pu s’opposer à une telle expansion, notamment à travers un processus de renforcement de ses alliances locales.

Affaiblissement du Fateh

Traditionnellement, le Fateh est la force dominante dans les camps de réfugiés palestiniens, en particulier à Aïn el-Héloué, le plus peuplé d’entre eux. Toutefois, il est difficile d’imaginer que cette configuration ne sera pas affectée par la présence des dirigeants du Hamas et du Jihad islamique palestinien, ainsi que par les activités militaires de plus en plus interconnectées dans la bande de Gaza, en Cisjordanie et le long de la frontière méridionale du Liban. Il est cependant tout aussi difficile d’imaginer que le Fateh voit sa position totalement érodée, étant donné sa présence étendue et la résistance de l’organisation dans les années 1980, lorsqu’elle était assiégée par les forces pro-syriennes dans les camps de réfugiés de Beyrouth, et plus tard, dans les années 1990, lorsque la Syrie dominait le Liban. Le fait que le Hezbollah soit fortement aligné sur le Hamas et le Jihad islamique rend en réalité plus concevable un affaiblissement continu du Fateh.

Cet objectif apparaît d’ailleurs de manière implicite dans la couverture des combats par le journal pro-Hezbollah al-Akhbar. Deux éléments y sont significatifs : d’abord, le journal établit un lien entre les affrontements et la visite de Faraj à Beyrouth, y voyant une initiative israélienne visant à contenir le Hamas et le Djihad islamique et à riposter aux attaques palestiniennes contre les forces d’occupation en Cisjordanie ; ensuite, al-Akhbar a commencé à colporter un récit selon lequel le Fateh n’a plus de lignes de ravitaillement pour continuer à combattre les islamistes et a perdu un commandant important à Aïn el-Héloué.

Dans des circonstances normales, les nombreuses factions présentes dans le camp de réfugiés palestiniens surpeuplé font qu’il est souvent très difficile d’établir des liens clairs entre les combats et les acteurs extérieurs. Une simple querelle personnelle peut facilement dégénérer en affrontements plus larges entre factions. Cependant, cette fois-ci, les choses ont été différentes : les factions islamistes, habituellement divisées, entretiennent de bonnes relations avec les dirigeants du Hamas et ont toutes deux combattu le Fateh. Le rôle inédit du Hamas dans les négociations sur le cessez-le-feu montre qu’une nouvelle réalité se dessine dans les camps.

Tendances symbiotiques

Deux évolutions régionales majeures sont actuellement en cours, et toutes deux affectent la cause palestinienne. D’une part, les pays arabes s’efforcent de normaliser leurs relations avec Israël, sans tenir compte des réalités palestiniennes – une tendance qui pourrait bientôt s’étendre à l’Arabie saoudite. D’autre part, un front uni, soutenu par l’Iran, s’oppose à cette normalisation à Gaza, en Cisjordanie, en Israël, au Liban, en Syrie, en Irak et au Yémen. Néanmoins, cette stratégie du front uni iranien est peut-être rendue plus compliquée par la fragmentation des rangs palestiniens et les réalités politiques complexes des différents pays censés lui servir de relai. Il reste que ces deux tendances sont symbiotiques : plus les efforts de normalisation s’intensifieront, plus l’autre partie sera encline à empêcher cette évolution.

Ce qui pourrait donc émerger au niveau régional, c’est un camp arabe qui sape le Fateh en normalisant avec Israël et qui compromet toute perspective de paix entre Israéliens et Palestiniens, ainsi qu’un camp pro-Iran qui soutient les adversaires d’un Fateh affaibli. En outre, cette situation survient à un moment où l’équilibre des pouvoirs dans le paysage palestinien est en pleine mutation. Le président de l’Autorité palestinienne et chef du Fateh, Mahmoud Abbas, âgé de 87 ans, n’a pas de successeur clair, et nombreux sont ceux qui se disputent le pouvoir au sein d’une organisation de plus en plus affaiblie. Compte tenu de ces divisions, le Fateh pourrait devoir accepter cette nouvelle réalité, ce qui aurait des conséquences négatives sur son rôle dans les futures négociations.

Au Liban, le Premier ministre Nagib Mikati a fait une déclaration d’une portée considérable sur les affrontements de Aïn el-Héloué en rejetant l’idée que le pays devienne le point de départ d’un règlement de comptes entre les acteurs régionaux, reflétant ainsi la crainte croissante d’une telle issue. Le pays est désormais lié aux tensions interpalestiniennes et à la violence contre l’occupation israélienne. Et la distanciation du Liban n’est même pas à l’ordre du jour : les dissensions au sein de la classe politique libanaise continuent de vider l’État de sa substance, tandis que le Hezbollah et ses alliés entraînent le pays dans une épreuve de force régionale qui pourrait menacer son existence même.

Ce texte est disponible en anglais sur Diwan, le blog du Carnegie MEC.

Chercheur et directeur de la communication du Malcolm H. Kerr Carnegie Middle East Center

Bien que plusieurs observateurs ont écarté tout lien direct entre la visite à Beyrouth, il y a plusieurs semaines, du chef des services de renseignements généraux palestiniens, Majed Faraj, et les combats entre des factions islamistes et le Fateh qui ont éclaté quelques jours plus tard à Aïn el-Héloué, le contexte régional reste essentiel pour comprendre ce qui se passe à...

commentaires (3)

Ne vous demandez plus pourquoi les vendus n’ont aucun intérêt à ce que notre pays retrouve sa souveraineté. Ils seront les premiers perdants puisqu’ils n’auraient plus opinion sur rue quant aux réfugiés sur le sol libanais. Ils bloquent la démocratie afin de sacrifier le liban et ses citoyens sur un plateau d’argent et l’utiliser comme monnaie d’échange et comme solution à tous les problèmes pour que leurs commanditaires et leurs fournisseurs d’armes et de mercenaires dominent la region. Il n’y a pas de quoi être fiers ni de se faire passer pour des résistants lorsque ces enfants du pays se transforment en judas par pur opportunisme. C’est la honte qui doit les couvrir et les réduire au silence.

Sissi zayyat

14 h 15, le 20 août 2023

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Commentaires (3)

  • Ne vous demandez plus pourquoi les vendus n’ont aucun intérêt à ce que notre pays retrouve sa souveraineté. Ils seront les premiers perdants puisqu’ils n’auraient plus opinion sur rue quant aux réfugiés sur le sol libanais. Ils bloquent la démocratie afin de sacrifier le liban et ses citoyens sur un plateau d’argent et l’utiliser comme monnaie d’échange et comme solution à tous les problèmes pour que leurs commanditaires et leurs fournisseurs d’armes et de mercenaires dominent la region. Il n’y a pas de quoi être fiers ni de se faire passer pour des résistants lorsque ces enfants du pays se transforment en judas par pur opportunisme. C’est la honte qui doit les couvrir et les réduire au silence.

    Sissi zayyat

    14 h 15, le 20 août 2023

  • Ils font la joie d’Israël , je me demande qui les payent

    Eleni Caridopoulou

    19 h 14, le 19 août 2023

  • Une analyse très fine et très bien documentée des rapports de forces entre les factions palestiniennes et leurs différents alliés au Liban et dans la région. Et qui pointe ke gros risque que ke Liban en fasse les frais.

    Marionet

    10 h 21, le 19 août 2023

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