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Nos Lecteurs ont la Parole

Santé... au Liban et aux Libanais !

Selon Chauvot de Bauchene, célèbre médecin français du XIXe siècle, « la santé est le trésor le plus précieux et le plus facile à perdre ; c’est cependant le plus mal gardé ». Ce trésor semble être négligé, non pas parce que l’homme ignore comment préserver sa santé, mais parce que les hommes se perdent fréquemment dans la quête de ce qu’il faut protéger le mieux, surtout lorsque des trésors font défaut. Ce manque de trésors n’a pas débuté avec les séquelles de la crise économique de 2019, ni avec la gestion complexe de la pandémie de Covid-19 ni même avec l’afflux dramatique dans les hôpitaux de la capitale et du Mont-Liban lors de l’explosion au port de Beyrouth. Il n’est pas non plus uniquement attribuable à une préparation insuffisante face à la menace d’une guerre générale qui se dessine à l’horizon. Ce déficit en trésors prend racine depuis les premiers jours du Liban tel que nous le connaissons et se pérennisera tant que l’émergence d’un nouveau code social dans un Liban renouvelé fait défaut.

Le deuxième chapitre intitulé « Des Libanais, de leurs droits et de leurs devoirs » dans la Constitution libanaise révisée en 1990 définit de manière plutôt méthodique ces droits et ces devoirs. Il énumère de manière exhaustive le droit à la nationalité, à la liberté, à la liberté de conscience, à l’enseignement, l’obligation de la langue, le droit à l’emploi, à la liberté d’expression et à l’inviolabilité du domicile. Cependant, une omission majeure se fait sentir dans ce chapitre, ainsi que dans l’ensemble du texte, en ce qui concerne le droit à la santé. Étonnamment, notre Constitution tire son inspiration de la Constitution française qui, dans le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, affirme qu’elle garantit à tous « la protection de la santé ». Plus tard, dans la Charte française de l’environnement de 2004, le premier article proclame que « chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ». Cette lacune dans notre Constitution, au regard des principes dont elle s’est inspirée, soulève des interrogations sur la pleine reconnaissance du droit fondamental à la santé pour les citoyens libanais. Ainsi, il est intrigant d’explorer la perspective du législateur, qui a omis de garantir explicitement le droit à la santé des citoyens dans la Constitution libanaise. Si cette omission résulte d’une négligence, cela relève du spectre de la catastrophe. Cependant, si elle résulte d’une intention délibérée, cela évoque une catastrophe dont l’auteur est depuis lors pris en flagrant délit. Néanmoins, il n’est pas extrêmement surprenant que le législateur n’ait pas considéré le droit à la santé parmi les droits sacrés consacrés dans la Constitution de notre peuple. De nombreux autres droits humains, tels que l’égalité entre les femmes et les hommes, pour n’en citer qu’un, n’ont pas captivé l’attention du législateur lors de l’élaboration des articles de notre Constitution. En outre, il est frappant de constater que ni le terme « santé » ni le terme « femme » ne figure dans les nombreuses pages de notre Constitution, tandis que les termes « confession » et « religion », et leurs dérivés, sont mentionnés à plusieurs reprises.

Les sociétés doivent assurer aux plus vulnérables le droit à la santé, non seulement pour démontrer leur développement et leur sophistication sur les plans économique et social, mais surtout parce que priver les individus de leur droit à la santé menace la cohésion sociale et met en péril l’existence même de la société. Les sociétés qui négligent d’assurer le droit à la santé à leurs citoyens ne préservent pas la vie de ces derniers. Dans un tel contexte, se vanter des droits d’expression, d’éducation et de l’inviolabilité du domicile perd de son sens. Une santé défaillante perturbe les foyers, interrompt l’apprentissage et étouffe toute forme d’expression.

Nous conservons tous dans notre mémoire l’image de nous-mêmes, d’un membre de notre famille, d’un voisin ou d’un compatriote ayant perdu notre dignité en tant qu’être humain simplement parce que notre tort était d’être des Libanais privés du droit d’être pris en charge lorsque notre santé était menacée. Nous pouvons facilement repérer autour de nous des patients atteints de cancer négociant des mois de leur vie avec des vendeurs d’espoir sur le marché noir. Nous avons tous entendu parler de patients en hémodialyse incapables de se connecter à leur station de survie. Nous avons tous été informés d’enfants nécessitant une opération salvatrice se voyant contraints d’exposer leur situation à la télévision, échangeant ainsi leur espérance de vie contre une compassion publique. En fin de compte, nous avons certainement été interpellés sur les réseaux sociaux par un homme qui n’a plus les moyens de soutenir financièrement sa famille ni de se soigner mentalement, et qui a été tragiquement retrouvé, soutenu inconvenablement par une corde enroulée autour de son cou. En somme, si la Constitution détourne son regard de ces personnes, il n’est guère surprenant que les tiers payants, qu’ils soient publics ou privés, simulent l’ignorance face à ces victimes.

En somme, certains chercheurs estiment que les inégalités en matière de santé représentent la forme la plus importante et sérieuse d’inégalité au sein d’une société. De la même manière que les individus deviennent violents et justifient moralement leur agressivité lorsque leurs biens sont attaqués, il est à craindre qu’un jour ils justifient leur agressivité face à l’atteinte à leur bien le plus précieux, à savoir leur santé. Ainsi, ne pourrait-il pas s’agir d’un acte de légitime défense, tel que garanti par le code pénal libanais ?

Rami BOU KHALIL, MD, PhD

Chef de service de psychiatrie

à l’Hôtel-Dieu de France

Professeur associé

à la faculté de médecine

de l’Université Saint-Joseph

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

Selon Chauvot de Bauchene, célèbre médecin français du XIXe siècle, « la santé est le trésor le plus précieux et le plus facile à perdre ; c’est cependant le plus mal gardé ». Ce trésor semble être négligé, non pas parce que l’homme ignore comment préserver sa santé, mais parce que les hommes se perdent fréquemment dans la quête de ce qu’il faut protéger le...

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Il y a encore une constitution au Liban ?

Eleni Caridopoulou

00 h 26, le 29 novembre 2023

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Commentaires (1)

  • Il y a encore une constitution au Liban ?

    Eleni Caridopoulou

    00 h 26, le 29 novembre 2023

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