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Société - Tensions au Liban-Sud

Après la mort de Issam Abdallah, les journalistes de terrain sont aux aguets

Les professionnels de la presse ont renforcé les mesures de précaution après la mort du vidéographe libanais de l’agence Reuters, ciblé par une frappe israélienne avec un groupe de journalistes, le 13 octobre.

Après la mort de Issam Abdallah, les journalistes de terrain sont aux aguets

Les funérailles du vidéographe libanais Issam Abdallah à Khiam, au Liban-Sud. Photo Mohammad Yassine.

À la frontière libano-israélienne, près du village de Alma el-Chaab, des affrontements se produisent entre le Hezbollah et l’armée israélienne. Nous sommes le vendredi 13 octobre, moins d’une semaine après le début de la guerre opposant le Hamas à Israël et le regain subséquent de tensions au Liban-Sud. Ce jour-là, les forces israéliennes tirent une roquette sur un groupe de journalistes couvrant le conflit, dont la majorité sont blessés. Issam Abdallah, vidéographe libanais de l’agence Reuters, meurt sur le coup. L’enquête est en cours.

Edmond Sassine, journaliste de la chaîne LBCI, se trouvait à une vingtaine de mètres de l’impact. « La scène apparaissait d’autant plus horrifiante après que j’y ai survécu. Quand je m’en suis approché, j’ai vu mes collègues blessés, leurs équipements et véhicules détruits », explique-t-il.

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La mort de Issam Abdallah a remis en question le travail de nombreux journalistes au Liban. Prêts à couvrir les affrontements au Liban-Sud, ils sont désormais beaucoup plus en alerte face aux risques encourus. Plusieurs agences de presse, dont Reuters, ont d’ailleurs décidé de ne plus envoyer leurs correspondants à la frontière, alors que s’y posait la nécessaire couverture des événements dont les médias libanais et internationaux devraient pouvoir être les témoins.

« Un message qui doit être transmis »

Edmond Sassine n’en est pas à son premier conflit. Il a couvert les combats dans le camp de réfugiés de Nahr al-Bared, au Liban-Nord, en 2007, ainsi que la guerre au Nagorno-Karabakh, entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, en 2020. Malgré les risques, il continue de se rendre à la frontière sud du Liban. « Un message doit être transmis : nous devons continuer à montrer la vérité. »

Après des journées entières passées à regarder la couverture des affrontements entre le Hezbollah et l’armée israélienne sur la chaîne qatarie al-Jazeera, Nawal Berry, correspondante de MTV Lebanon, a décidé d’aller sur le terrain. Elle y est restée 10 jours consécutifs. « Je pense qu’il y a un sentiment de malaise chez le journaliste s’il ne se rend pas là où les événements ont lieu, déclare-t-elle. C’est l’adrénaline qui vous guide, vous suivez les sons, vous voulez dépeindre exactement ce qu’il se passe sous vos yeux. C’est comme ça que meurent des journalistes passionnés par leur métier. »

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La correspondante explique aussi que, malgré son sens déontologique, elle se montre très prudente et a facilement peur. « Je n’aime pas les parcs d’attraction, j’ai peur de dormir seule à la maison, mais durant ce conflit, j’ai dormi seule à la frontière au milieu d’affrontements armés. C’est difficile à expliquer. Je dois pouvoir décrire les frappes et ce qu’elles ont touché. C’est un message à délivrer », conclut-elle.

La prudence reste de mise

Alex Spoerndli, un vidéojournaliste indépendant venu de Suisse, continue de se rendre à la frontière, principalement par curiosité, mais aussi parce qu’il se sent qualifié pour couvrir les zones de conflit au Liban. « Je vis au Liban depuis trois ans. Je suis très bien préparé à couvrir ce genre de choses : je parle un arabe correct, je connais la culture, je sais comment traiter avec les gens. Si je ne ressentais pas cela, je n’irais pas. »

Le 13 octobre, Alex Spoerndli se trouvait à Beyrouth. Il connaît toutefois certains des journalistes qui ont été pris pour cible, notamment Issam Abdallah. « Ce qui est vraiment bizarre et ce qui m’effraie le plus, ce sont les innombrables drones israéliens et leurs services de renseignements. Ils frappent et atteignent leurs cibles. » Il craint aussi que les forces israéliennes aient frappé l’équipe de journalistes pour intimider les autres professionnels et les empêcher de s’approcher de la zone frontalière.

Nawal Berry abonde dans ce sens : « Je viens du Sud et suis habituée aux frappes, au bruit des avions à réaction, à tous ces traumatismes d’enfance qui me rendent ces événements familiers », dit-elle. « Mais le meurtre de Issam indique que nous sommes aussi des cibles. Nous ne nous sentons plus en sécurité », souligne-t-elle.

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Alex Spoerndli explique également que lui-même et son équipe ont commencé à prendre davantage de précautions après que des journalistes ont été pris pour cible. Sur la route menant au sud du pays, un membre de l’équipe est chargé de la surveillance, tandis qu’une autre personne garde un œil sur les informations. Pour le journaliste suisse, la couverture de la zone frontalière reste importante afin que les journalistes puissent documenter les dommages subis par les communautés locales. Lui et ses collègues essaient de se rendre dans les zones frontalières quand il n’y a pas de bombardements pour faire le point sur les dégâts.

« Il est important de se rendre sur place le plus rapidement possible, car si nous prenons une photo de la voiture des journalistes qui a été touchée une semaine après les faits, cela n’a pas autant d’importance que si nous le faisons dans la demi-heure. » Mais ce travail devient de plus en plus difficile à mesure que les tirs transfrontaliers s’intensifient. « Les premiers jours, c’était plus facile. Désormais, c’est plus compliqué, bien qu’on puisse encore atteindre des endroits proches de la frontière. Il faut aussi être très calme, car l’anxiété peut vous faire prendre de mauvaises décisions », dit-il.

Pourtant, l’anxiété peut s’accumuler, comme l’indique Edmond Sassine : « Il devrait y avoir une prise en charge psychologique pour ceux qui couvrent les guerres. Voir des morts ou sentir qu’un missile aurait pu vous toucher n’est pas un détail, cela devrait être traité et suivi. »

« Aucune histoire ne vaut la peine de mourir »

Marta Maroto, une journaliste espagnole indépendante qui s’est installée au Liban il y a plusieurs mois, s’est retrouvée pour la première fois dans un pays qui vit des affrontements quotidiens à sa frontière méridionale. Elle explique qu’elle a déjà couvert des soulèvements au Chili et au Brésil, « mais c’est la première fois que je suis proche d’une guerre ».

Le 13 octobre, la journaliste était à Beyrouth. « Je n’ai pas d’assurance, je n’ai pas suivi de formation, je ne parle pas bien la langue et je n’ai pas un grand cercle social au cas où quelque chose arriverait. J’ai donc considéré que ce n’était pas une bonne idée d’y aller. Quelqu’un doit dire au monde ce qui se passe, mais pour moi, ma vie n’a pas de prix, alors, je ne suis pas prête à aller en première ligne pour une photo, pour une histoire à raconter. »

« Aucune histoire ne vaut la peine de mourir pour elle », renchérit Edmond Sassine. « La passion vous pousse à prendre des risques, mais il faut savoir faire la différence entre être imprudent, voire suividaire, et savoir prendre des risques avec précaution. Risquer sa vie n’est pas le but, mais on est comme un soldat en service, on ne souhaite pas être en première ligne ou mourir, mais quand cela arrive, c’est notre devoir d’aller couvrir la vérité, malgré les dangers que cela comporte », estime-t-il.

Nawal Berry, elle, est désormais plus consciente du fait qu’elle ne veut pas endeuiller sa famille. « Pour rien au monde vous ne voudriez que votre mère apprenne votre mort par une notification en ligne. »

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