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Société - Focus

Dans un Liban en crise, la crainte croissante des vols à mains armées

Alors qu'une série de crimes fait la une de l'actualité,  l'inquiétude des commerçants et résidents est palpable, tandis que les autorités démentent toute hausse significative. Des données en trompe-l’œil selon certains experts.

Dans un Liban en crise, la crainte croissante des vols à mains armées

Photo d'illustration : un ruban jaune de la police. João Sousa /L'OLJ.

« Donne-moi l'argent !  ». Il était 20h30, en cette soirée de septembre dernier, lorsque Wajdi Fayad s’entend dire ces mots, le canon d'une arme braquée sur lui. « Je me tenais là où vous vous teniez », raconte sa sœur à L’Orient-Today, Hanane Fayad, assise au comptoir de la supérette familiale d'Achrafieh. « Le voleur m'a prise pour une cliente, alors il ne m'a pas dérangée. » Figée par la scène, elle a continué de croquer une pomme, s'efforçant de comprendre ce qui se passe, avant de voir les voleurs disparaître avec leur butin : les 5 millions de livres (environ 56 dollars) qui se trouvaient dans la caisse et que Wajdi a remis sans résistance.

Sur l’année écoulée, et plus particulièrement le mois dernier, un certain nombre de crimes violents ont fait la une des journaux au Liban. Fin mars, trois hommes masqués, armés de deux pistolets, ont suivi et barré la route à un véhicule sur l'autoroute près de l'aéroport international Rafic Hariri de Beyrouth et ont volé 38 000 dollars et 127 000 000 LL. Un mois plus tard, le corps d'une femme d'origine américaine, assassinée et démembrée à Miyé w Miyé, près de Saïda, a été découvert. Quelques jours plus tard, deux jeunes hommes ont abattu le propriétaire d'une épicerie alors qu'ils tentaient de la dévaliser à Achrafieh, à Beyrouth.

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Baisse récente, hausse tendancielle

« L'augmentation n'est pas radicale, il y a toujours eu des crimes auparavant », réagit d’emblée Farouk Moghrabi, juriste et ancien conseiller ministériel. « Nous n'avons pas perdu le contrôle de la situation… » Des propos corroborés par une source au sein des Forces de sécurité intérieure : « Il n'est pas vrai que le taux de criminalité au Liban augmente », dit cette source, avant d’ajouter : « Les crimes dont nous entendons parfois parler, comme ceux qui ont eu lieu sur la route de l'aéroport, sont des exceptions, mais en général la situation est plus sûre et la criminalité est en baisse » par rapport au pic de la crise en 2021, a ajouté la source.

Selon Mohammad Chamseddine, spécialiste de la recherche politique au sein du cabinet d'études Information International, basé à Beyrouth, les données publiées par les FSI montrent bien que « les chiffres ont diminué » par rapport aux taux de 2021 et 2022, « le pic de la crise ». Et de citer l’exemple du nombre de vols, passé de 5 940 en 2021 à 3 152 en 2023, « soit une baisse de 33,9 % », ajoute-t-il. En revanche, le nombre de crimes aujourd'hui « reste élevé » par rapport aux données d'avant la crise, souligne-t-il, et de rappeler que le nombre de vols s’élevaient à 1 610 en 2019, soit près de la moitié du nombre enregistré l’an dernier. « Par rapport à 2013, qui était considérée comme une année stable au Liban, le taux a augmenté de manière significative, note-t-il par ailleurs, suggérant plusieurs facteurs contributifs, dont l'augmentation de la pauvreté et le laxisme des services de sécurité. »

Pour les victimes de la criminalité, comme Hanane et Wajdi Fayad à Achrafieh, les nerfs sont à vif. Les souvenirs des voleurs armés sont encore frais dans leur mémoire.

La propriétaire d'une épicerie à Achrafieh, Beyrouth, Hanane Fayad, le 24 avril 2024. João Sousa /L'OLJ

« Un homme attendait (le tireur) à l'extérieur sur une moto. Je pouvais dire que les deux étaient libanais par leur accent », dit la commerçante. « Mon frère lui a proposé des denrées, n'importe quoi, mais le voleur a insisté pour avoir de l'argent liquide », raconte Hanane, ajoutant qu'elle suppose que les deux hommes étaient probablement des « toxicomanes » parce qu'ils ne voulaient « que de l'argent et n'acceptaient pas de produits ». Bien que Wajdi ait déposé une plainte, la police n'a jamais donné suite à l'incident, poursuit-elle. Il a été difficile d'identifier les voleurs, qui portaient une casquette, des lunettes de soleil et un masque, et qui ont été filmés par la caméra du magasin. Interrogé sur l'incident, le responsable de la sécurité au sein des FSI a déclaré qu'il ne disposait pas d'informations dans l'immédiat.

Depuis, les horaires nocturnes du magasin ont été revus, les achats servis à travers une fenêtre en verre après 19 h, et l’argent liquide conservé sur place est réduit au strict minimum. Mais, malgré ces précautions, elle redoute un incident similaire, tout en étant certaine que si cela arrive, elle fera exactement comme son frère : « Lui donner l'argent… »

Récupération

Le ministre sortant de l'Intérieur, Bassam Maoulaoui, a déclaré lors d'une conférence de presse mercredi dernier que « le nombre d'arrestations effectuées par les services de sécurité est en augmentation et que tous les crimes seront résolus », sans préciser la période à laquelle il se référait. Ces commentaires ont été faits à la suite de deux réunions de haut niveau qui ont eu lieu mercredi et qui visaient à examiner la situation sécuritaire à Beyrouth et à mettre en place « un plan de sécurité clair qui rassure les citoyens », selon les termes du Premier ministre sortant, Nagib Mikati – qui a successivement rencontré des représentants des services de sécurité, et le président de la commission parlementaire des Affaires étrangères, Fadi Alamé.

La source sécuritaire précitée a déclaré que malgré l'augmentation des arrestations au cours des derniers mois, « ce n'est pas une indication forte que la criminalité est en hausse ». Les agences de sécurité ne peuvent toutefois pas résoudre des crimes pour lesquels elles ne sont pas appelées : parfois, les citoyens évitent de le faire en raison de circonstances personnelles complexes ou d'un manque de confiance dans les compétences de ces agences.

Les discussions ont également porté sur la régulation de la situation des réfugiés syriens. Ces derniers mois, les autorités libanaises ont intensifié leurs efforts pour rapatrier les Syriens, dans un contexte de tensions croissantes alimentées par l'assassinat de Pascal Sleiman, un cadre des Forces libanaises (FL), pour laquelle plusieurs membres d’un « gang » de ressortissants syriens ont été arrêtés. Dans un message posté sur X mercredi, le chef des FL, Samir Geagea, a appelé à des mesures plus strictes à l'égard des Syriens, à l'instar de celles adoptées par la Grande-Bretagne. Lundi dernier, le Premier ministre britannique Rishi Sunak avait promis de commencer à envoyer des demandeurs d'asile au Rwanda dans un délai de 10 à 12 semaines, la Chambre des lords ayant finalement adopté la législation nécessaire.

En parallèle, un autre meurtre dans le village de Azzouniyé, dans le caza de Aley, d'un homme de 60 ans, pour lequel deux ressortissants syriens ont été arrêtés, a conduit au démantèlement de deux camps informels de réfugiés syriens le 17 avril : l'un à Barr Élias et l'autre à Marj, dans le centre de la Békaa. Dans un autre incident, des adolescents syriens et libanais armés de pierres, de bâtons et de couteaux ont échangé des coups dimanche soir à Daouhet Aramoun, au sud de Beyrouth.

Pour Me Moghrabi, le sensationnalisme des médias autour des crimes récents, « comme ceux d'Achrafieh et le meurtre de Pascal Sleiman », est utilisé par « les politiciens pour pousser ce genre de récits et exacerber la tension entre les Syriens et les Libanais, dans l'espoir d'accélérer l'expulsion des Syriens ». La semaine dernière, Bassam Maoulaoui a déclaré que les Syriens qui n'ont pas de « raisons de sécurité » de se trouver au Liban ne peuvent pas y rester. « Les réfugiés syriens sont au Liban depuis 2012 », objecte l’avocat, se demandant pourquoi une recrudescence des crimes commis uniquement par des Syriens « augmenterait spécifiquement maintenant ».

Dans un nouveau rapport publié jeudi, Human Rights Watch (HRW) a accusé les autorités libanaises de détenir arbitrairement, de torturer et d'expulser des Syriens, y compris des militants et des transfuges de l'armée, en violation des normes internationales en matière de droits de l'homme.

« Avant, la sécurité privée était un luxe… »

La crise n’a pas nui aux affaires de Jihad el-Annan : le PDG de Metropolitan Security, une société de sécurité privée, explique à L'Orient Today que les effectifs de son entreprise, créée il y a 24 ans, ont augmenté de 30 % depuis 2017. « Avec l'effondrement du secteur bancaire au Liban, les gens ont transformé leurs maisons et leurs magasins en banques... ils ont commencé à déposer leurs économies à la maison », dit-il avant d’expliquer qu’un certain nombre d’entre eux ont ensuite franchi le pas en ayant recours à des professionnels pour faire face aux risques croissants en matière de sécurité. « Nous recevons des demandes pour des bâtiments, des tours, des hôpitaux, des hôtels, des ambassades et même des banques », détaille-t-il. « L'entreprise couvre principalement l'agglomération de Beyrouth, mais elle reçoit des demandes de tout le pays, en particulier pour des villas dans les montagnes. » Il précise que les demandes ont « clairement augmenté » au cours des quatre dernières années, mais qu'il n'y a pas de chiffres précis.

« Avant, la sécurité privée était un luxe, aujourd'hui, c'est une nécessité », vante le professionnel, avant d’ajouter : « Même les personnes et les familles à revenu moyen passent des appels aujourd'hui. »

Un homme conduit sa moto à Beyrouth, le 24 avril 2024. João Sousa/L'OLJ

Sur la base de ses observations dans le secteur de la sécurité, M. Annan estime que « le Liban est toujours sûr, compte tenu de toutes les crises qu'il a traversées et en comparaison avec d'autres pays ». Il suppose également que les « réseaux sociaux » ont joué un rôle crucial en « faisant apparaître ces crimes, dont beaucoup ont toujours existé, et en les rendant plus visibles pour le public, qui en conclut que la criminalité est en hausse ».

Imad et Ali Ayoub, assis en face de de la laverie du premier, le 24 avril 2024 à Mar Élias, Beyrouth. João Sousa / L'OLJ.J

Assis devant sa laverie de Mar Élias, à Beyrouth, Imad affirme que « pour l'essentiel, (il se sent) toujours en sécurité au Liban ». Il a quatre enfants, dont l'un travaille dans un restaurant et rentre tard à la maison. « Sa mère a insisté pour qu'il porte une arme, mais la police a fini par la confisquer », dit-il avant d’attribuer le climat d’insécurité à la « crise économique et aux réfugiés syriens », affirmant que « n'importe qui s'engagerait dans cette voie s'il n'avait pas d'argent ». Assis à côté de lui et sirotant un thé, son ami, Ali Ayoub, l’interrompt : « J'ai vécu en Californie... Je n'oserais jamais me promener la nuit là-bas. Ici, au moins, on peut encore vivre normalement. »

« Donne-moi l'argent !  ». Il était 20h30, en cette soirée de septembre dernier, lorsque Wajdi Fayad s’entend dire ces mots, le canon d'une arme braquée sur lui. « Je me tenais là où vous vous teniez », raconte sa sœur à L’Orient-Today, Hanane Fayad, assise au comptoir de la supérette familiale d'Achrafieh. « Le voleur m'a prise pour une cliente, alors il ne m'a...
commentaires (7)

Ce n'est pas par coincidence que les libanais accuse et montre du doigt les réfugiés syriens comme étant responsable de la vague de criminalité récente au Liban. Il y a des faits bien établis qui confirment ce sentiment. Alors nul n'est censé défendre la présence syrienne au Liban quand les libanais se souviennent toujours de l'étape où le régime syrien régnait ici avec toutes ses exactions et crimes etc... ont été commis et restent impunis! Les syriens doivent forcément rentrer chez eux.

Effat Haber Mansour

12 h 49, le 01 mai 2024

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Commentaires (7)

  • Ce n'est pas par coincidence que les libanais accuse et montre du doigt les réfugiés syriens comme étant responsable de la vague de criminalité récente au Liban. Il y a des faits bien établis qui confirment ce sentiment. Alors nul n'est censé défendre la présence syrienne au Liban quand les libanais se souviennent toujours de l'étape où le régime syrien régnait ici avec toutes ses exactions et crimes etc... ont été commis et restent impunis! Les syriens doivent forcément rentrer chez eux.

    Effat Haber Mansour

    12 h 49, le 01 mai 2024

  • Les autorités doivent faire leur travail et assurer la sécurité des concitoyens Libanais. Les Syriens doivent rentrer en Syrie.

    K1000

    00 h 53, le 01 mai 2024

  • À Messieurs les ministres de l’intérieur, de La Défense et de la justice. En tant que libanais chrétiens, nous sommes menacés par l’envahissement des syriens dans notre pays. Je vous demande de vous engager de façon solennelle à nous protéger. Faute de quoi, sachez que nous allons reprendre les armes et assurer notre propre sécurité. En contrepartie nous ne payerons plus un souci à l’Etat que vous représentez

    Lecteur excédé par la censure

    21 h 53, le 30 avril 2024

  • Les propos des responsables sécuritaires se veulent rassurants mais ne sont pas convaincants .. En témoigne les pickpockets qui traquent des voitures et dévalisent les passagers sur l’autoroute de l’aéroport de Beyrouth qui ne désemplit pourtant pas ni de jour ni de nuit. Les forces de sécurité semblent être aux abonnés absents dans un pays envahi par quelque deux millions de réfugiés.

    Hitti arlette

    21 h 42, le 30 avril 2024

  • Le "pic" de criminalite au Liban a ete atteint en octobre 2019, quand les mafieux de l'etat, de la BDL et de l'ABL ont vole les miliards de $ de l'epargne des Libanais. Mais bien sur, ces chiffres la ne sont pas repris par les statistques officielles. Pourtant, des lors que les forces de l'ordre protegent les voleurs, il s'agit bien de "vol a main armee"....

    Michel Trad

    15 h 34, le 30 avril 2024

  • Il va falloir autoriser tous les libanais à s’armer pour se défendre et tant pis pour les conséquences. Tous ces criminels sont forts de notre faiblesse. Le pouvoir s’est acharné sur une categories de citoyens pour les rendre le plus vulnérables possible face à des fossoyeurs sur armés qui ont faciliter le passage de tous les voyous de la région pour pouvoir détruire ce qui reste de notre pays et de son peuple. Le jour où les libanais seront armés pour se défendre, les criminels se raviseront et iront voir ailleurs.

    Sissi zayyat

    11 h 33, le 30 avril 2024

  • Est-ce qu’on a le droit de se défendre à main armée?

    Gros Gnon

    11 h 13, le 30 avril 2024

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